Travailleurs d’origine haïtienne: la discrimination en héritage

Par Tula Connell (Solidarity Center)

Plusieurs dizaines de milliers de Dominicain(e)s d’origine haïtienne et de travailleurs/euses migrants haïtiens risquent d’être expulsés très prochainement de République dominicaine en raison d’une «crise qui menace depuis de nombreuses années», affirme Cathy Feingold, directrice du service international de l’AFL-CIO.

© Solidarity Center/Ricardo Rojas
 

« Il existe une discrimination de longue date à l’encontre des travailleurs et des familles d’origine haïtienne », précise Feingold, qui a récemment animé un groupe de travail sur cette question à Washington, D.C. (Cet article est également disponible en espagnol).

Le thème de « La perte de la citoyenneté et l’expulsion massive de familles d’origine haïtienne vivant en République dominicaine » a rassemblé des experts afin de discuter des obstacles pratiquement insurmontables que rencontrent les Dominicains d’origine haïtienne pour obtenir le statut qui les autoriserait à demander la naturalisation.

Le 17 juin était la date limite fixée pour s’inscrire auprès du gouvernement, qui n’a pas encore procédé aux expulsions massives.

Bien que le gouvernement ait annoncé que cette inscription serait gratuite et qu’il n’y aurait que quelques documents à fournir, la réalité est tout autre, selon Maritza Vargas, la secrétaire générale de SITRALPRO, le syndicat des travailleurs du projet Alta Gracia en République dominicaine.

Pendant la réunion du groupe de travail, elle a expliqué qu’il avait d’abord été demandé aux travailleurs qui venaient s’inscrire dans les bureaux du gouvernement de présenter deux documents, mais qu’ils avaient été informés par la suite qu’il fallait jusqu’à 12 documents, et que la constitution d’un tel dossier coûtait aux travailleurs l’équivalent d’au moins deux mois de salaire, une somme que les plus pauvres ne pouvaient se permettre de dépenser.

L’incapacité du gouvernement haïtien à fournir rapidement les documents demandés et le fait que le gouvernement dominicain ne prévoie pas suffisamment de personnels dans les bureaux pour gérer les inscriptions n’ont fait qu’aggraver la situation.

Le gouvernement dominicain justifie l’expulsion des Dominicains d’origine haïtienne en disant que chacun avait eu la possibilité de s’inscrire, signale Wade McMullen, conseiller du personnel du programme Partners for Human Rights (partenaires pour les droits humains) au centre Robert F. Kennedy des droits de l’homme.

Cependant, « le gouvernement a créé un système dans lequel il est impossible à ces personnes de sortir gagnantes. Sous le prétexte du respect du droit, des dizaines de milliers de citoyens dominicains sont en passe de devenir des migrants sans papiers ».

En raison d’une décision rendue en 2013 par le tribunal constitutionnel, les personnes nées en République dominicaine – qui, pour bon nombre d’entre elles, parlent uniquement espagnol et ne sont jamais allées à Haïti – doivent renoncer à leur citoyenneté dominicaine et faire la demande de papiers haïtiens, affirme Lauren Stewart, responsable de programme au Solidarity Center pour la République dominicaine et Haïti.

Un rapport réalisé en 2014 par le Solidarity Center et l’AFL-CIO a qualifié cette décision de « violation extrême des droits humains fondamentaux et de violation manifeste du droit international ».

Un décret présidentiel émis par la suite a certes reconnu la citoyenneté de près de 68.000 personnes, mais 130.000 autres citoyens nés en République dominicaine qui n’ont jamais eu de papiers ont été obligés de prouver qu’ils/elles étaient nés en République dominicaine pour solliciter la citoyenneté haïtienne et faire une demande de régularisation dans leur pays de naissance avec des papiers d’identité haïtiens.

Environ 10.000 personnes concernées seulement ont soumis une demande dans le cadre de ce programme. Les Dominicains d’origine haïtienne et les travailleurs migrants haïtiens représentent au moins 6% de la population dominicaine, ajoute Stewart.

Le réseau de soutien aux travailleurs migrants de la confédération syndicale National Confederation of United Trade Unions (CNUS) et l’organisme Migrant Justice Movement demandent que le programme de régularisation soit prolongé au moins jusqu’à la fin de l’année.

La coalition, qui se compose de syndicats et d’organisations de migrants, s’est formée en 2014 lors d’une formation de sensibilisation organisée par le Solidarity Center. Le Solidarity Center et ses partenaires syndicaux ont mis en place des formations avec les travailleurs sur le processus de régularisation et aident les personnes qui souhaitent s’inscrire auprès du gouvernement.

Cet article a été publié auparavant sur le site de Solidarity Center.