La réforme de la sécurité sociale en Indonésie

Par Rekson SILABAN, Conseiller affaires internationales, Confédération indonésienne des syndicats ouvriers pour la prospérité

L’Indonésie ambitionne d’étendre la couverture de protection sociale à l’ensemble de la population. Depuis son amendement en 2002, la Constitution indonésienne reconnait le droit à la sécurité sociale pour tous, ainsi que la responsabilité du gouvernement dans l’élaboration d’une politique de sécurité sociale. Bien que les programmes existants en matière de protection sociale tendent à être fragmentés et épars, des progrès sont néanmoins en train d’être accomplis vers la prestation d’une couverture sociale plus exhaustive.

En termes généraux, l’Indonésie a introduit un système de sécurité sociale articulé autours de trois piliers fondamentaux, à savoir :

  • Assistance/Services sociaux. Ce système est financé par l’État. Les allocataires incluent les personnes du troisième âge, les pauvres, les écoles ou encore les micro-entreprises, sous forme de subventions
  • Épargne obligatoire. Tous les citoyens sont tenus de cotiser dans un fonds de prévoyance pour pouvoir bénéficier d’une retraite publique
  • Assurance sociale. Celle-ci est aussi obligatoire, tout le monde y contribue, que ce soit par cotisation ou le paiement d’une prime. Dans le cas des pauvres, la prime d’assurance santé est prise en charge par le gouvernement.

Un jalon historique a été franchi avec la mise en œuvre progressive de la Loi nationale sur la sécurité sociale (Arrêté de loi nº 40/2004 relatif au Système national de sécurité social). Cette législation prévoit l’extension de la couverture de sécurité sociale à l’ensemble de la population et inclut la santé, les blessures provoquées par des accidents du travail, la vieillesse et le décès du soutien de famille. La même loi prévoit l’application de régimes non contributifs pour les pauvres, de régimes contributifs pour les travailleurs indépendants et de régimes de sécurité sociale statutaires pour les travailleurs du secteur formel.

La Loi relative aux prestataires de sécurité sociale dans le domaine de la santé(Nº 24/2011), qui élabore la mise en œuvre du Système national de sécurité sociale, stipule que l’assurance santé universelle commence en 2014, cependant que l’entrée en vigueur de l’assurance couvrant accidents du travail, vieillesse et décès du soutien de famille est prévue courant 2015. Le fournisseur d’assurance médicale sociale (BPJS Kesehatan) est officiellement opérationnel depuis le 1er janvier 2014. BPJS Kesehatan est responsable de la prestation d’assurance médicale à l’ensemble de la population, par le biais de régimes contributifs et non contributifs, et devrait progressivement étendre sa couverture jusqu’à atteindre la couverture universelle d’ici 2019. Le lancement du service responsable de la prestation de sécurité sociale pour les travailleurs (BPJS Ketenagakerjaan) est prévu courant 2015.

Jusqu’à ce que le Système national de sécurité sociale ne devienne pleinement opérationnel, le système de protection social consiste principalement dans des programmes de sécurité sociale statutaires pour les travailleurs formels et un régime d’assistance sociale financés par l’impôt (allocation publique), qui s’inscrivent dans un cadre plus large de programmes de lutte contre la pauvreté et de subventions publiques. Outre le développement d’un Système nationale de sécurité sociale, l’extension de la protection sociale vise aussi l’assistance sociale, dans le but d’améliorer la couverture pour les pauvres et les plus vulnérables.

Divers programmes de protection sociale s’adressant aux différents groupes cibles sont en place aux niveaux national et local. Ces programmes ont, toutefois, tendance à être fragmentés car sous l’égide de différents ministères et de différentes instances gouvernementales et, partant, une meilleure coordination s’impose à ce niveau.

Quelles sont les principales réformes de la sécurité sociale en Indonésie ?

Au moins quatre changements fondamentaux sont prévus en vertu de la loi 24/2011. Premièrement, un régime supplémentaire portant le nombre total de régimes de quatre à cinq. Deuxièmement, l’engagement du gouvernement à étendre la couverture de l’assurance santé à l’ensemble de la population et où le gouvernement prendra en charge la contribution des pauvres. Troisièmement, la flexibilité de la loi, qui couvrira les travailleurs de l’économie informelle, de même que les indépendants. Quatrièmement, la rationalisation des institutions de sécurité sociale. Il n’y aura plus que deux institutions indépendantes chargées de l’administration de la sécurité sociale. Nommément la sécurité sociale médicale et la sécurité sociale emploi.

À compter du 1er juillet 2015, ces institutions seront chargées de l’application de la nouvelle loi. Il est prévu que tous les employés et résidents (y compris les résidents étrangers au terme de 6 mois d’emploi) bénéficient de la couverture santé, dans le cadre d’un système d’assurance santé unique. La sécurité sociale emploi (BPJS Ketenagakarjaan) sera chargée d’administrer une partie des prestations sociale en matière d’emploi, qui incluront des nouveaux régimes comme les soins aux personnes âgées, l’assurance accidents du travail et l’assurance décès et retraite.

Les lois furent, toutes deux, promulguées à la suite des récentes crises financières, qui ont alerté les pays à l’importance cruciale d’un système de sécurité sociale capable de résister à des catastrophes financières de ce genre.

L’ensemble de la couverture santé auparavant assurée par Askes (fonction publique), Jamsostek (secteur privé) et Asabri (police et armée) a été transférée à la BPJS Health Care en date du 1er janvier 2014. D’ici 2019, le système devrait couvrir l’ensemble de la population, estimée à plus de 250 millions d’habitants. Les deux entités BPJS seront des entités publiques sans but lucratif, ce qui constituera un changement significatif par rapport aux structures actuelles qui sont des entreprises appartenant, elles aussi, à l’État mais à but lucratif.

Les institutions existantes mentionnées ci-après administrent des programmes de sécurité sociale mais seront progressivement transformées au cours de la période 2014-2015 :

  • (1) PT Persero Asuransi Sosial Angkatan Bersenjata Indonesia (PT ASABRI Persero) est une entreprise publique (ou Persero) qui administre les prestations du troisième-âge (plan épargne et retraite) pour les forces armées, la police et les fonctionnaires employés dans l’armée et la police.
  • (2) PT Persero Tabungan dan Asuransi Pensiun (PT TASPEN Persero) est une entreprise publique (ou Persero) qui administre les prestations du troisième-âge (plan épargne et retraite) pour les fonctionnaires.
  • (3) PT Persero Jaminan Sosial Tenaga Kerja (PT JAMSOSTEK Persero) est une entreprise appartenant à l’État (ou Persero) qui administre les prestations de vieillesse (fonds de prévoyance), les prestations de décès et de santé, les prestations de maternité, ainsi que les prestations d’accidents du travail pour les employés privés. PT JAMSOSTEK administre également des programmes volontaires pour les travailleuses et travailleurs de l’économie informelle.
  • (4) PT Persero Asuransi Kesehatan Indonesia (PT ASKES Persero) est une entreprise publique (ou Persero) qui administre les prestations de santé et de maternité pour les employés de la fonction publique, les retraités de la fonction publique, les retraités de l’armée et de la police, ainsi que pour les vétérans.

Extension de la couverture de sécurité sociale aux travailleurs de l’économie informelle

L’ancien système de sécurité sociale était vivement critiqué du fait qu’il ne couvrait que les travailleurs de l’économie dite structurée ou formelle. Les travailleurs informels, marginalisés, constituent la majorité de la main-d’œuvre et la nouvelle loi permettra aux travailleurs informels et aux indépendants de bénéficier, eux aussi, de la couverture sociale. S’agissant de la couverture santé et médicale – à moins qu’il ne s’agisse de personnes pauvres, dans quel cas la contribution est prise en charge par le gouvernement – il existe trois possibilités.

  • La contribution pour une attention hospitalière de troisième classe s’élève à 22.500 Rp (2 USD) par mois
  • La contribution mensuelle pour une attention de deuxième classe s’élève à 44.500 Rp (3,8 USD)
  • Et pour une attention de première classe, elle s’élève à 55.000 RP (4,5 USD) par mois.
    Ces trois options couvrent jusqu’à 4 personnes (femme/mari et deux enfants).

Pour des motifs de facilité administrative, deux modèles d’affiliation sont prévus. Un travailleur peut introduire une demande individuelle pour s’inscrire à la sécurité sociale ; plusieurs travailleurs peuvent s’inscrire pour une assurance groupe. En vertu de cette réglementation, l’arrêté ministériel 5/2013 relève du ministère de la Main-d’œuvre.

En Indonésie, le nombre de travailleurs informels est, à l’heure actuelle, estimé à près de 54 millions. Ce chiffre est susceptible d’augmenter considérablement dans le cadre de la nouvelle loi, dû à la flexibilité de son application. Entre temps, le nombre de travailleurs formels actifs qui cotisaient à la sécurité sociale en 2013 s’élevait à 17 millions. Ce chiffre reste nettement inférieur au nombre total de travailleurs formels estimé à 44 millions. Il est, cependant, prévu que diverses amendes soient imposées aux entreprises qui enfreignent la loi et cette mesure devrait se durcir au cours des prochaines années.

Contribution et prestations de sécurité sociale pour les travailleurs formels

Il est prévu que la contribution totale de l’employeur et de l’employé s’élève à approximativement 19%/mois. Ce qui représenterait une nette augmentation par rapport à la contribution antérieure qui plafonnait à 13%.

Dès juillet 2015, l’Indonésie comptera cinq régimes de sécurité sociale, nommément :

  • (1) Le régime accident du travail, avec une contribution comprise entre 0,24% et 1,74% en fonction du type d’entreprise. La contribution est à charge de l’employeur.
  • (2) La couverture décès, avec une contribution de 0,3% à charge de l’employeur.
  • (3) Le régime prestations du troisième-âge ; contribution 5,7% (3,7% à charge de l’employeur et 2% à charge de l’employé).
  • (4) La couverture médicale de 5% (4% à charge de l’employeur et 1% à charge de l’employé).
  • (5) La régime de retraite (toujours en cours de négociation). La dernière proposition prévoyait une contribution totale de 8% (4% à charge de l’employeur et 4% à charge de l’employé).

Pression syndicale et sociale

Une autre singularité du système indonésien tient à la réticence apparente du cabinet du président Susilo Bambang Yudhoyono, depuis 2004, à adopter la Loi sur la sécurité sociale. Néanmoins, le gouvernement a fini par céder aux pressions, à l’issue d’un litige et de manifestations massives mobilisées par le Comité pour l’action en faveur de la sécurité sociale (KAJS), qui regroupait 66 organisations de la société civile dont des syndicats ouvriers, des associations d’étudiants et des ONG.

Les syndicats soutiennent que rien ne s’oppose à l’introduction en Indonésie d’une couverture de santé universelle compte tenu de l’ascension du pays sur la voie du progrès et son statut de pays à revenu intermédiaire. Plus précisément, la dix-septième économie mondiale en termes de PIB, avec un taux de croissance annuel de 6-7%, même durant la crise économique mondiale.

La lutte des syndicats indonésiens a mobilisé des millions de travailleurs aux quatre coins du pays et a inclus un grand nombre de manifestations, de meetings et de campagnes de pression. Les syndicats ont la chance que le climat démocratique que connait l’Indonésie à l’heure actuelle permet aux syndicats d’organiser des rassemblements, de s’adresser ouvertement aux médias et de rallier le soutien et la reconnaissance des différentes parties-prenantes.

C’est aussi la raison pour laquelle beaucoup d’observateurs affirment qu’on se trouve à un tournant historique pour le mouvement syndical indonésien. À l’heure de superviser la mise en œuvre du nouveau système de sécurité sociale, les syndicats ont été accueillis comme un partenaire digne de confiance au sein l’organe tripartite chargé du contrôle de la sécurité sociale. À travers cet organe de contrôle, les syndicats devraient disposer d’un canal d’information permanent leur permettant de veiller à ce que les dispositions en matière de sécurité sociale soient appliquées les plus efficacement possible.