Message de Sharan Burrow aux supporters de la campagne « Halte à la mainmise sur l’Internet »

Merci de votre contribution déterminante - La bataille est cependant loin d’être gagnée

La Conférence mondiale sur les télécommunications internationales (CMTI), à Dubaï, a touché à sa fin - et grâce à vos efforts, nous sommes parvenus à déjouer l’offensive contre la cyber-liberté, du moins pour l’heure.

La conférence de deux semaines a confirmé les craintes d’une grande partie de l’opinion.

Des pays connus pour leurs lourds antécédents en matière de censure ont saisi la moindre occasion qui s’est présentée à eux pour tenter d’astreindre l’Internet à l’étau des Réglementations sur les télécommunications internationales, objectif qu’ils ont largement manqué d’atteindre. L’Iran, en particulier, est allé trop loin dans sa surenchère, en tentant de forcer d’autres pays à légitimer la censure par le biais d’un traité de l’ONU.

Cet échec est, en grande partie, attribuable à la réaction intense qu’il a suscité auprès de l’opinion publique à niveau mondial, attestée par les centaines de milliers de signatures qu’ont recueilli les pétitions (pas moins de 100.000 signatures engendrées par la seule campagne syndicale), la pression faite sur les gouvernements pour leur signifier le degré de préoccupation et l’attention médiatique.

Tout ceci a pu être accompli en dépit du fait que l’UIT s’est évertuée à contenir les réactions du public, s’est gardée de consulter la société civile, a maintenu une chape de plomb sur les propositions les plus sensibles aux yeux de l’opinion publique et est allée jusqu’à nier, avec fourberie, que la régulation du Net figurerait à l’ordre du jour de la Conférence de Dubaï.

Une cinquantaine de pays, du Nord comme du Sud, se sont abstenus de souscrire le nouveau traité, alors que bon nombre d’entre eux ont dénoncé publiquement les tentatives de contrôle de l’Internet en vertu des réglementations de l’UIT.

Ce n’est pas une coïncidence si les pays qui ont le mieux réussi à démocratiser l’accès au Net pour leur population étaient au nombre de ceux qui ont refusé de signer.

Furtivement présentée par l’UIT lors d’une réunion technique quelques jours avant la CMTI, sa nouvelle norme sur l’Inspection approfondie des paquets (de l’anglais « Deep Packet Inspection » - technologie hautement intrusive utilisée dans la surveillance, le contrôle, voire la modification du trafic Internet) suscite une vive préoccupation.

Vu qu’il a été pratiquement impossible pour la société civile d’examiner cette norme avant qu’elle ne fût discrètement glissée sur la table des négociations, l’examen de ses implications possibles est toujours en cours. Il n’en reste pas moins que les préoccupations afférentes à la protection de la vie privée et à la liberté d’expression N’ONT PAS été adéquatement prises en compte dans le cadre des discussions et des conclusions relatives à cette norme (et ce malgré les objections de plusieurs pays, dont l’Allemagne).

La Conférence de Dubaï a révélé au monde entier les profondes divisions qui existent entre les partisans d’un Internet ouvert et ceux qui veulent voir les communications par Internet soumises au contrôle des gouvernements, au détriment du libre échange et de la liberté d’expression. En réalité, la conférence a probablement même exacerbé ces divisions, notamment en raison du manque de transparence patent, à la fois avant et durant l’événement.

Les gouvernements qui veulent avoir la mainmise sur l’Internet ne s’arrêteront pas à Dubaï. Au niveau national, la plupart de ces pays continueront à réprimer d’une main de fer les activités de leurs citoyens sur le Net et chercheront par tous les moyens à obtenir le blanc-seing de l’ONU pour parvenir à leurs fins. Le débat est loin d’être achevé et risque de se polariser encore davantage. Nous devons continuer à faire pression en faveur du maintien des mécanismes multipartites qui régissent actuellement l’exploitation de l’Internet, où toutes les parties concernées ont voix au chapitre.

Aussi, une bonne dose de vigilance et d’engagement de la société civile sera-t-elle nécessaire pour préserver l’accès libre et ouvert à Internet et garantir, ainsi, la protection continue de l’activité économique, des travailleuses et travailleurs, de l’environnement et des droits humains à l’échelle mondiale. Les Nations unies ont, elles-mêmes, un rôle déterminant à jouer en ce sens et devraient soutenir plus activement des institutions comme le Forum multipartite sur la gouvernance de l’Internet.

La CSI et Greenpeace ont adressé des messages en votre nom au secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-Moon, où elles attirent l’attention sur le caractère non transparent des activités de l’UIT. Ces lettres ont eu leur part d’influence en ce qu’elles ont signifié à l’ONU que l’UIT est en train de transgresser son mandat.
http://www.ituc-csi.org/IMG/pdf/ltr_un_sg_ban_ki-moon_27-11-12.pdf
http://www.ituc-csi.org/IMG/pdf/letter_to_sg_un_ban_ki_moon.pdf

Frank La Rue, rapporteur spécial de l’ONU sur la liberté d’expression, soutient pleinement notre position.
http://www.un.org/apps/news/story.asp?NewsID=43813&Cr=internet&Cr1=#.UNMvUHeWTq4

La société civile doit être prête à pousser l’ONU dans la bonne direction et à prendre activement part aux futurs débats sur la gouvernance de l’Internet.

Il reste de nombreux autres enjeux critiques auxquels il faudra s’attaquer dans le domaine de la liberté d’expression, notamment les préoccupations liées à la propriété intellectuelle et l’ouverture de l’accès au Net aux milliards de personnes qui n’en bénéficient pas encore à l’heure actuelle. L’UIT a clairement démontré qu’elle n’était pas le forum adéquat à cette fin. Il est d’autant plus primordial que la communauté constituée de l’ensemble des parties prenantes, celle-là même qui a contribué au développement et à l’essor du Net, reste active et maintienne son autonomie vis-à-vis des intérêts commerciaux, qui ne voient dans l’Internet qu’une source de lucre.

Nous vous remercions encore une fois de votre précieux soutien. Clairement, la bataille est loin d’être gagnée. À l’approche de la nouvelle année, nous devons nous préparer à porter en avant notre campagne avec une vigueur renouvelée et nous vous tiendrons informé(e)s de ce que vous pouvez faire pour nous aider à défendre la liberté du Net.

Sharan Burrow
Secrétaire générale de la CSI