Libye : face à l’urgence humanitaire, priorité à la solidarité

D’après les chiffres de l’OIM et de l’UNHCR, avant que n’éclate le 17 février le mouvement libyen de contestation populaire contre la dictature du colonel Kadhafi, 2,5 millions de travailleurs migrants, dont environ 1 million d’Egyptiens, se trouvaient en Libye. Aujourd’hui, ils seraient encore plus d’un million, beaucoup d’Afrique sub-saharienne.

Soumettant de façon persistante sa politique migratoire à une diplomatie versatile, le gouvernement libyen a successivement ouvert les bras aux migrants arabes au nom du panarabisme, puis aux migrants sub-sahariens au nom du panafricanisme. Par la suite, dans le but de satisfaire la politique sécuritaire de l’Europe, le gouvernement libyen a soumis les migrants arabes et sub-sahariens à l’obligation de visa, contraignant ainsi des milliers d’entre eux, privés de papiers, à se retrouver dans l’illégalité. Exposé au conflit dans lequel le colonel Kadhafi a précipité le pays par son refus d’écouter les aspirations de son peuple, les migrants sans papiers se retrouvent pris au piège, privés du soutien réel de nombreuses ambassades à leur venir en aide.

Des milliers de travailleurs originaires de pays asiatiques comme le Bengladesh, le Vietnam, ou encore la Chine se sont retrouvés complètement abandonnés pendant plusieurs semaines avant que leur rapatriement ne puisse s’organiser. C’est ainsi que les derniers travailleurs vietnamiens viennent seulement de quitter la Libye cette semaine. Malgré l’insistance des autorités de leur pays d’origine à les faires rentrer, près de 2.000 infirmières et une centaine de professeurs philippins préfèrent encore affronter les risques de violences en Libye plutôt que se retrouver sans emploi aux Philippines. Un choix qui en dit log sur la détresse économique dans les pays d’origine qui poussent les migrants à braver tous les risques.

Aujourd’hui, des familles entières de migrants sub-sahariens se terrent dans leurs logements par crainte de se retrouver sous le feu des combats ou d’être pris pour cible pour leur seule couleur de peau, confondus avec les mercenaires africains recrutés par Kadhafi. Selon Human Right Watch, des dizaines d’arrestations d’Africains sub-sahariens ont eu lieu ces derniers jours dans les zones contrôlées par les rebelles.

Plusieurs centaines de migrants subsahariens arrivent chaque jour à la frontière tunisienne où ils se retrouvent dans des camps où plusieurs milliers de leurs compatriotes, surtout Erythréens, Somaliens et Ethiopiens, sont déjà entassés.

D’autres ont fui vers le sud à travers le désert dans des conditions inhumaines, victimes de racket, avant d’échouer à Agadez, carrefour des routes reliant le Maghreb à l’Afrique occidentale, à 1.000 km au sud de la frontière libyenne. De retour au Niger dont ils sont originaires ou en transit vers d’autres pays d’Afrique de l’Ouest, ils n’y sont pas les bienvenus compte tenu du marasme économique que connait le pays.

Environ 20.000 Algériens et Marocains ont pu être évacués par bateau grâce à la coopération entre autorités marocaines, algériennes et tunisiennes. Mais il resterait encore quelque 180.000 migrants Algériens et Marocains en Libye.
Depuis mi-janvier, quelque20.000 migrants, la plupart Tunisiens, mais aussi Erythréens, Somaliens et Ethiopiens, ont pris la mer pour rejoindre la petite île italienne de Lampedusa, à seulement 113 kilomètres des côtes africaines. Plus de 6.000 d’entre eux y sont parqués dans des conditions d’hygiène épouvantables et dégradantes.

Pour rappel, le gouvernement Berlusconi avait conclu un accord avec le colonel Kadhafi en 2010 portant sur une compensation financière de 5 milliards de dollars en échange du renforcement par la Libye du contrôle de ses côtes et l’application d’une politique de retour en arrière (turning back) de ces « immigrants illégaux », pour beaucoup en réalité des réfugiés fuyant la dictature libyenne .

Laissant l’Italie traiter seule le problème de façon bilatérale et exclusivement sécuritaire sans appliquer les procédures en matière de droits humains élémentaires, l’Union européenne continue de se montrer incapable d’apporter une réponse à cette crise devenue pourtant ces dernières semaines d’une urgence humanitaire brûlante. Hier encore, douze migrants sans papiers ont péri par noyade au large du port tunisien de Sfax.

« La Communauté internationale doit faire face à cette crise historique de façon coordonnée et respectueuse du droit international. Il faut que cesse la confusion entre immigration « illégale » et droit humain fondamental à l’asile politique tel que prévu par l’article 14 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme», appelle Sharan Burrow.

« En première ligne géographique, l’Europe doit d’urgence développer une politique coordonnée et solidaire. Il est plus que temps de sortir de l’approche purement sécuritaire qui fait le lit de la xénophobie et des violations des droits fondamentaux des travailleurs migrants », déclare la secrétaire générale de la CSI.

Pour le mouvement syndical international, les politiques globales de soutien à la transition démocratique et au développement économique en Tunisie et en Egypte sont indissociables de la mise en place de politiques migratoires cohérentes et humaines. « La communauté internationale doit saisir cette opportunité historique d’aider ces deux pays qui se sont courageusement débarrassés de leurs régimes dictatoriaux. Construire une vraie démocratie porteuse de développement économique et de justice sociale, c’est la seule façon de donner un avenir à une jeunesse pour qui l’immigration n’était qu’une échappatoire à l’absence de libertés et de perspectives d’avenir », poursuit Sharan Burrow.