Gros plan sur Rasem Al Bayari (PGFTU - Palestine)

«Les agressions renforcent ma volonté de lutter pour les travailleurs»

«Les agressions renforcent ma volonté de lutter pour les travailleurs»

Bruxelles, le 7 mai : Etre syndicaliste expose à de grands dangers en Palestine. Rasem Al Bayari, secrétaire général adjoint de la Fédération générale palestinienne des syndicats (PGFTU), affiliée à la CSI, peut en témoigner : après la destruction d’un bâtiment de la PGFTU en octobre 2006, puis le tir de deux roquettes sur son domicile en janvier, Rasem Al Byari a été blessé par des hommes masqués qui l’ont attaqué alors qu’il circulait en voiture avec sa famille, le 6 avril dernier. Il revient sur ces événements et sur les difficultés énormes des travailleurs et travailleuses en Palestine.

Avez-vous une idée de qui pourrait avoir commandité ces attaques ?

Les autorités palestiniennes sont à blâmer pour la première et la deuxième attaque. L’une par tir à la roquette contre mon domicile, l’autre contre les locaux de la PGFTU. Des véhicules du ministère de l’Intérieur ont été utilisés pour ces attaques, elles sont facilement reconnaissables pour tout Palestinien. Nous savons que ceux qui ont attaqué la station de radio travaillent pour le ministère de l’Intérieur. Des employés de la PGFTU les ont vus, et ils ont peint des inscriptions sur les murs du local de la radio après l’avoir incendié, des inscriptions signifiant que « le Hamas est passé par ce chemin ». Un porte-parole du ministère de l’Intérieur a reconnu la responsabilité du ministère dans ces attaques. D’ailleurs, les autorités palestiniennes n’ont pas dénoncé ces violences à notre encontre, elles n’ont procédé à aucune enquête.

Ces attaques sont-elles typiques de l’anti-syndicalisme des autorités palestiniennes ?

Nous subissons régulièrement des tirs de la police lors de nos manifestations en faveur des droits des travailleurs. En octobre et novembre 2006 par exemple, 13 travailleurs ont été tués par les balles de la police lors d’une manifestation exigeant le paiement des salaires et d’allocations de chômage. Nous recevons aussi beaucoup de menaces, souvent par téléphone. On nous dit que le gouvernement va prendre des mesures très dures contre les syndicats et leurs bâtiments. Nous nous sommes plaints au ministère de l’Intérieur au sujet de ces menaces, nous leur avons demandé d’identifier les auteurs des coups de téléphone, mais le ministère n’a rien fait.

Même les membres de notre syndicat des médias qui sont partis en grève pour soutenir le journaliste de la BBC enlevé, Alan Johnston, ont été victimes d’attaques par la police. Leur mouvement se poursuit malgré tout. Ils ont placé des tentes près du Conseil législatif pour soutenir leurs protestations contre cet enlèvement.

Pourquoi ont-ils détruit la radio ?

C’était une radio syndicale dont l’objet était de défendre les droits des travailleurs, d’exprimer leurs opinions. Ils étaient contre cette radio, ils disaient qu’elle diffusait du poison contre le peuple. La radio est maintenant complètement détruite, ses équipements ont été volés par ceux qui l’ont attaqué. Il y en a pour 400.000 dollars de dégâts.

L’attaque principale a eu lieu le 2 février 2007 à 5 heures du matin. Six travailleurs étaient présents dans les locaux de la radio à ce moment. Cette attaque a semé la panique auprès des travailleurs, l’un d’entre eux a sauté du premier étage du bâtiment et est mort plus tard à l’hôpital. Les autres ont été arrêtés, puis relâchés.

Comment s’est déroulée la dernière attaque contre votre personne, le 6 avril dernier ?

Je circulais à Gaza dans un véhicule de la PGFTU avec ma femme, mes enfants et ma mère. Les agresseurs ont pointé des armes en notre direction, ils m’ont contraint à arrêter le véhicule et ont exigé que nous en descendions, mains en l’air. Ils ont alors voulu que je remonte seul à bord du véhicule et que je suive leur voiture. Comme je refusais, ils ont ouvert le feu en visant le sol devant moi. Des éclats de balles et des morceaux de sol m’ont blessé au cou. Ma femme et mes enfants ont hurlé. Leurs cris, ajoutés au bruit des armes à feu, attiraient beaucoup d’attention sur ce qui se passait. Les agresseurs ont alors pris la fuite avec leur voiture et le véhicule de la PGFTU. Celui-ci contenait nos effets personnels (mon téléphone mobile, le sac à main de mon épouse, etc.). Je ne sais pas ce qui se serait passé si je les avais suivis comme ils l’exigeaient, ils m’auraient peut-être tué. Ils ont peut-être hésité à le faire devant ma famille. Les assaillants portaient des masques sur leurs visages, je n’ai donc pas pu les reconnaître. Cette fois, leur véhicule n’était pas l’un de ceux du ministère de l’Intérieur. Des représentants de ce ministère m’ont certifié qu’ils mèneraient une enquête pour identifier ces agresseurs.

Quelle est votre vie quotidienne depuis ces attaques ? Envisagez-vous de délaisser la lutte syndicale ?

Je vis normalement mais prudemment. Je me déplace en faisant très attention. Certains ont parfois peur de devenir dirigeant syndical car ils craignent les attaques d’hommes armés. Cette appréhension hante les esprits de la plupart des dirigeants syndicaux palestiniens, surtout depuis les dernières attaques à mon domicile et au bureau de la PGFTU. Mais malgré ces attaques, le mouvement syndical palestinien est résolu à servir les intérêts des travailleurs au sein des territoires palestiniens. En ce qui me concerne, je veux absolument continuer la lutte syndicale. Je dirais même que ces agressions renforcent ma volonté de servir les travailleurs et les travailleuses.

Pourquoi êtes-vous visé personnellement dans ces attaques, et non le secrétaire général de la PGFTU ?

Je ne sais pas exactement. Il est possible que ce soit parce que je me trouve à Gaza, alors que le secrétaire général habite en Cisjordanie, à Naplouse, dans une zone qui demeure sous occupation israélienne. Gaza est sous la responsabilité directe de l’autorité palestinienne.

De quoi se compose le PGFTU et comment aide-t-il ses membres dans un tel contexte ?

15 syndicats sont affiliés au PGFTU, qui totalise environ 380.000 membres, dont 10% de femmes. 127.000 membres vivent à Gaza, les autres en Cisjordanie. L’un des services offerts à nos membres est une assurance santé qui leur garantit des soins médicaux gratuits. Nous offrons également beaucoup de formations à nos membres, grâce aux fonds de syndicats internationaux et de syndicats étrangers (des syndicats espagnols, norvégiens, suédois, …).

Nous aidons aussi les travailleurs palestiniens migrants à faire valoir leurs droits en Israël : depuis le bouclage de Gaza, il est impossible pour beaucoup d’entre eux de récupérer des arriérés de salaire ou des sommes déduites pour leur sécurité sociale par leurs ex-employeurs israéliens. Le département juridique du PGFTU est en contact avec des avocats israéliens, nous leur envoyons tous les documents nécessaires pour qu’ils défendent les droits des ex-migrants devant les tribunaux israéliens. Lorsqu’ils récupèrent les arriérés dus, ils prélèvent 10% pour leurs honoraires, puis transfèrent le reste au PGFTU, qui les remet aux travailleurs.

Nous demeurons attentifs à la démocratie interne au PGFTU : certaines personnes du Hamas ont été élues lors des dernières élections au sein de nos 15 fédérations, il faut faire attention à ce qu’elles ne confèrent pas des tendances islamistes aux syndicats. Le risque d’amalgame existe : sous l’ancien ministère du Travail, les aides aux travailleurs étaient distribuées par le canal des mosquées, et non par celui du PGFTU, qui distribue ces aides à travers ses bureaux, sans distinction entre les travailleurs. Le gouvernement palestinien d’unité nationale récemment formé nous laisse entrevoir un espoir. Il semble vouloir renforcer les relations tripartites, lutter avec nous contre la pauvreté et le chômage. Ce nouveau gouvernement doit obtenir la sécurité et la stabilité des Palestiniens, ce qui mènera à la paix et à la réconciliation dans la région. Et si la paix revient, la prospérité et le progrès suivront.

Que peut vous apporter la solidarité internationale des travailleurs ?

Nous voudrions de l’aide pour renforcer le mouvement syndical en Palestine, mais aussi pour réparer notre station de radio. Je voudrais par ailleurs que la CSI nous aide à lever le boycott imposé aux Palestiniens par Israël, et à jouer un rôle important dans le processus de paix pour la région. Les Palestiniens veulent la paix, le mouvement syndical international a pour rôle de coopérer avec les syndicats nationaux pour convaincre nos gouvernements d’aller vers la paix et la réconciliation. Il faut faire pression sur le gouvernement d’Israël pour qu’il ouvre les portes d’Israël aux travailleurs palestiniens, pour qu’il nous aide à développer notre économie. Ceci redonnera espoir aux Palestiniens, ça leur donnera le courage de continuer et cela aidera les autorités palestiniennes à maintenir la stabilité dans la société.

Le blocage des territoires palestiniens a des conséquences très concrètes pour l’activité syndicale…

Oui. Il y a 480 check points au sein de la Cisjordanie. Le mur construit par Israël a confisqué une grande partie du territoire palestinien, il a aussi séparé des familles et aggravé les difficultés de déplacement. Je ne peux même pas aller en Cisjordanie pour des raisons officielles, par exemple pour rencontrer des délégations internationales comme celles du BIT. Je dois passer par la Jordanie pour rencontrer mon secrétaire général en Cisjordanie. Les populations palestiniennes de Gaza et de Cisjordanie ont toutes les difficultés à se contacter en raison des blocages, nous devons utiliser le téléphone ou le fax.

Quelle est l’ampleur du chômage en Palestine ?

Il y a 400.000 Palestiniens sans emploi, soit 75 % de la main-d’œuvre. Beaucoup d’intellectuels, de scientifiques palestiniens ont quitté la Palestine car ils n’y trouvaient pas de travail. Ceci a des impacts très néfastes, par exemple dans le secteur des soins de santé. Cela génère également une grande pauvreté : près de 80 % des Palestiniens habitant à Gaza et en Cisjordanie vivent sous le seuil de pauvreté. Le fait que beaucoup d’ONG internationales ont quitté Gaza aggrave la situation.

Comment les Palestiniens survivent-ils dans cette situation ?

Une majorité est soutenue par des aides alimentaires des Nations Unies. Beaucoup de familles ont vendu leurs possessions, même les bijoux des épouses, pour survivre. C’est très dur aussi pour les employés du gouvernement, qui n’ont plus reçu de salaire depuis un an.


Propos recueillis par Samuel Grumiau


Créée le 1er novembre 2006, la CSI représente 168 millions de travailleurs au sein de 304 organisations affiliées nationales dans 153 pays.

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