Gros Plan sur Maitreyi Shankar (KKPK-Inde)

"Protéger le gagne-pain des récupérateurs de déchets tout en défendant l’environnement"

Dans la ville indienne de Pune, un syndicat a obtenu des améliorations concrètes pour les récupérateurs de déchets, un travail informel à 90% féminin. Maitreyi Shankar, l’une des militantes de ce Collectif des Récupérateurs de déchets, KKPKP (1), nous présente la démarche consistant à promouvoir un modèle de récupération des déchets socialement viable et soucieux de l’environnement.

Comment votre syndicat est-il né?

En 1990, la succursale de Pune d’une université de Mumbai, la SNDT Woman University, a entamé des cours d’éducation non formelle pour les enfants de bidonvilles qui ne vont plus à l’école. La plupart des participants à ces classes étaient des enfants de récupérateurs de déchets. Les gestionnaires du projet se sont alors aperçus que pour améliorer la vie de ces enfants, il fallait commencer à travailler avec les parents. Ils ont essayé de comprendre ce qu’était ce travail, combien de gens étaient actifs dans ce secteur. Au début, les récupérateurs de déchets pensaient que les gestionnaires du projet étaient des représentants de la police ou d’autres autorités gouvernementales qui les harcèlent souvent, ils craignaient donc de fournir leurs coordonnées. Mais quand ils ont compris que le but était de les aider, ils ont commencé à s’identifier.

De quels types d’emplois s’agit-il?

On estime qu’à Pune, les récupérateurs de déchets sont au nombre de 9.000 à 9.500, dont 90% de femmes. 6.500 sont affiliés à notre syndicat. Il y a plusieurs types de récupérateurs de déchets: ceux qui récoltent les déchets en rue et dans les poubelles publiques; ceux qui travaillent dans les décharges; ceux qui circulent avec une charrette pour acheter auprès des ménages les détritus qui ont un peu plus de valeur et que les gens ne jettent pas directement (bouteilles de bière, papier, …). Notre syndicat a mené une campagne auprès des autorités pour intégrer une dimension écologique à cette gestion des déchets : auparavant, tous les détritus étaient déposés dans une poubelle le long d’une route, les camions municipaux venaient régulièrement pour les amener en décharge, un processus coûteux. Nous faisons la promotion de la séparation des déchets au niveau des ménages: les familles répartissent leurs déchets entre biodégradables ou non, nos membres vont de domicile en domicile les récupérer, vendre ce qui peut l’être. Ce qui ne peut être réutilisé est envoyé en décharge tandis que les déchets biodégradables sont compostés.

Nous avons effectué une étude en 2007 pour identifier quels étaient les types de déchets qui aboutissent dans les sites de dépôts, elle a montré que 90% de ces déchets sont biodégradables. Donc, sur les 85 ou 90 camions de ramassage des déchets qui circulent chaque jour, 80 ne devraient pas le faire. C’est un gaspillage d’argent de la part du gouvernement.

Votre démarche s’inscrit dans la ligne de la promotion des emplois verts faite par la CSI et le BIT…

Oui. Ceci dit, notre objectif n’est pas de créer de nouveaux emplois, mais de sécuriser la vie des récupérateurs de déchets. La tendance actuelle est d’engager des acteurs du privé pour manipuler les déchets dans les villes. On entend dire par exemple que des villes comme Surat (Etat du Gujarat) semblent très propres, mais en réalité, une entreprise privée y collecte tous les déchets et les traite par une technologie d’incinération. Nous promouvons au contraire un modèle socialement viable qui protège le gagne-pain des récupérateurs de déchets, qui est positif sur le plan écologique et a un faible coût.

Les récupérateurs de déchet de Pune sont-ils tous des travailleurs de l’informel?

Ils ne sont enregistrés qu’auprès du syndicat. Toute personne qui devient membre reçoit une carte d’affiliation que nous envoyons aux autorités de la municipalité, celle-ci y appose un cachet et une signature, tant de la part du département de la santé que de celui de la gestion des déchets solides. C’est très utile pour lutter contre le harcèlement de la police : en cas de problème, ils peuvent utiliser cette carte, expliquer que la municipalité les autorise à collecter les déchets à tel ou tel endroit. Nous avons instauré ce système dès 1996 lorsque les récupérateurs de déchets recensés ont mis en tête de leurs priorités le besoin de reconnaissance de leur travail et d’arrêt du harcèlement. La municipalité de Pune est le premier organisme urbain local d’Inde qui a délivré des documents d’identité aux récupérateurs de déchets.

Quels sont les autres grands avantages d’être membres de votre syndicat ?

Ils sont couverts par un système de mutuelle santé. Là aussi, nous avons obtenu le soutien des autorités de Pune, qui paie la prime de cette assurance. Le syndicat est l’intermédiaire entre les travailleurs et la compagnie d’assurance. Auparavant, quand un travailleur ou une travailleuse était malade, il ou elle ne recherchait pas de traitement médical car c’était trop cher. Avec ce système de mutuelle, les membres ont accès à de meilleurs soins de santé. Nous essayons aussi d’établir des partenariats avec différents hôpitaux pour obtenir des subsides pour certains traitements médicaux plus spécialisés. Nous envisageons aussi de conclure des accords avec certains hôpitaux pour que nos membres reçoivent un traitement sans devoir avancer le paiement et attendre un remboursement, c’est le syndicat qui paiera l’hôpital.

Peut-on parler de négociations collectives dans ce secteur?

Oui, parfois. Par exemple, nous négocions avec les autorités afin qu’elles prévoient un espace où les récupérateurs peuvent trier les déchets (notre argument est que si les autorités municipales prévoient des espaces de parking, pourquoi ne pas en réserver à des activités en faveur de l’environnement, comme le tri des déchets ?). Quand ils collectent beaucoup de déchets dans un sac, ils doivent les trier entre verre, papier, plastique, métal. En général, ils le font sur le côté d’une rue, ou non loin d’un magasin. Les gens sont alors fâchés à leur égard, ils les accusent de prendre leurs espaces. Nous voulons que des espaces soient alloués dans différentes zones de la ville pour qu’ils puissent y trier leurs déchets avant de les revendre.

La vente des déchets est-elle formelle?

Non, c’est informel car ils les revendent aux plus petits détaillants. En général, ceux-ci les revendent à des gens qui peuvent les stocker en plus grande quantité, qui eux-mêmes les revendent à des grossistes, et ceux-ci à des recycleurs. Ces deux dernières catégories se situent dans l’économie formelle, elles travaillent avec davantage de capital. Le système de vente fonctionne en pyramide, ce qui fait perdre beaucoup d’argent aux récupérateurs de déchets. A l’avenir, nous pourrions envisager que les récupérateurs vendent directement les déchets aux grossistes, mais le problème est que ceux-ci n’achètent pas d’aussi petites quantités.

L’une des initiatives de notre syndicat est d’avoir créé un premier magasin de rachat des déchets de première main, car beaucoup d’acheteurs trichent avec nos membres. Par exemple, quand elles amènent dix kilos de déchets, ils n’en paient que neuf. Ce type de magasin créé par le syndicat assure que les femmes reçoivent un prix juste, et elles reçoivent aussi 10% du profit du magasin. C’est comme une coopérative, mais le premier magasin ne concerne que 35 femmes dans une seule zone. Les autorités nous ont fourni l’espace pour ouvrir quatre autres magasins de ce type.

Y a-t-il un problème de travail des enfants dans ce secteur?

Lors d’une première étude à ce sujet, en 1995, nous avons découvert que 650 enfants étaient récupérateurs de déchets à Pune, et que chacun d’entre eux était le fils ou la fille d’un de nos membres. Nous avons donc commencé une campagne contre le travail des enfants à l’attention de nos membres. Par ailleurs, au cours des dix dernières années, les politiques concernant l’enseignement ont changé, le gouvernement a rendu l’enseignement primaire plus accessible, a ouvert davantage d’écoles. Ces deux éléments ont conduit à beaucoup de changements. En 2007, nous avons mené une deuxième étude qui a montré que 360 enfants étaient récupérateurs de déchets à Pune, dont seuls 40 sont des enfants de nos membres. Il y a dix ans, nos membres pensaient que s’ils éduquaient leurs enfants, ceux-ci n’obtiendraient de toute façon pas d’emploi mais que comme ils seraient éduqués, ils ne voudraient pas ramasser les déchets, resteraient à la maison et seraient une charge financière pour les parents. Aujourd’hui, nos membres veulent que leurs enfants aient accès à un bon enseignement afin qu’ils ne doivent plus effectuer le même genre de travail.

Quel est le revenu de ces travailleurs?

Le revenu journalier varie aux alentours de 2 dollars par jour. Ils doivent travailler de 8 à 10 heures par jour pour atteindre ce montant, et beaucoup marcher. Ceux qui suivent le modèle que nous promouvons, la collecte des déchets auprès des ménages, gagnent le même montant en 4 à 5 heures de travail.
Nous voudrions ajouter de la valeur à ces déchets, en favorisant un traitement via des récupérateurs de déchets quelque peu éduqués ou par leurs enfants qui sont allés à l’école. Ce sont les récupérateurs de déchets eux-mêmes qui comprennent le mieux ce type de business.

Quels sont les problèmes de santé et sécurité de ce type de travail?

L’un des plus gros problèmes pour les femmes réside dans les douleurs de vertèbres car elles portent d’énormes poids sur leur tête ou dans les sacs sur leur dos. Beaucoup sont aussi victimes de morsures de chiens, ou coupées par des morceaux de verres. Et puis, les grandes poubelles de rue sont vraiment hautes, il faut sauter à l’intérieur, et certaines travailleuses s’occasionnent des fractures en tombant de la sorte. Durant la mousson, des récupérateurs de déchets sont également électrocutés en entrant en contact avec des fils électriques à nu. Leur mauvaise alimentation amène également une série de problèmes, comme l’anémie. Notre syndicat s’est associé à une entreprise pour étudier les suppléments nutritifs qui pourraient remédier à leurs problèmes alimentaires. Nous avons aussi créé un programme de santé où nous commençons par proposer certains tests aux récupérateurs de déchets (anémie, diabète, pression sanguine). Ceux chez qui est diagnostiqué un problème de ce type sont référés à de plus grands hôpitaux. Nos membres reçoivent également des vaccins contre le tétanos.

Coopérez-vous avec d’autres syndicats?

Il y a environ 20 organisations qui travaillent avec les récupérateurs de déchets à travers l’Inde. Certaines sont des syndicats, d’autres sont des coopératives, ou des organisations de charité.
Le mouvement syndical est très fort à Pune, y compris dans l’économie informelle, et il y a une bonne collaboration entre syndicats de différents secteurs de l’économie informelle. En 2007, deux de nos employés ont visité SEWA, l’Association des femmes auto employées (membre de la CSI) pour comprendre son système d’assurance santé, et nous nous demandons si nous ne pourrions pas nous lier à SEWA car dans notre programme, il s’écoule un long délai entre la dépense médicale de notre membre et le remboursement : la compagnie d’assurance cherche tous les moyens de retarder les remboursements. Mais pour nous associer à SEWA, il y a plusieurs obstacles à lever, comme le fait que SEWA opère principalement dans l’Etat du Gujarat , alors que de notre côté, la prime d’assurance est payée par le gouvernement du Maharastra.

Propos recueillis par Samuel Grumiau


(1) Kagad Kach Patra Kashtakari Panchayat (en langue maharathi)