Gros plan sur Emmanuel Agbénou (CSTT- Togo)

"Percée syndicale dans la zone franche"

Créée il y a 20 ans, la zone franche industrielle (1) compte 9.000 travailleurs et travailleuses, dont 60 pour cent de femmes, employés dans une soixantaine d’entreprises. Pourtant garantis par le code du travail togolais, les droits syndicaux n’y sont pas appliqués. Emmanuel Agbénou, secrétaire confédéral de la CSTT chargé de l’éducation ouvrière, nous expose comment deux syndicats viennent néanmoins d’y être créés. Pour consolider cette percée syndicale, il lance un appel à la solidarité syndicale internationale, notamment en matière de formation.

Créée le 8 novembre 2009, l’Union syndicale des travailleurs de la zone franche (USYNTRAZOFE ) est le premier syndicat créé dans la zone franche togolaise. Quelles sont les raisons qui ont poussé à la création de ce syndicat ?

Les travailleurs et travailleuses de la zone franche sont des travailleurs au même titre que les autres travailleurs togolais, mais depuis la création de la zone franche au Togo, en 1989, ils sont privés du droit fondamental que constitue la liberté syndicale. Ils sont quotidiennement confrontés à la violation de leurs droits élémentaires. Plusieurs tentatives de création d’un syndicat avaient échoué à cause de la réticence des employeurs et de la SAZOF, la Société d’administration de la zone franche (organe semi-public). Les travailleurs ont forcé les choses, ce qui a abouti à la création de ce premier syndicat dans la zone franche. 87 travailleurs, venus de huit entreprises, ont participé à ce congrès constitutif, qui avait pour thème « Pour le travail décent, mobilisons-nous ».

Avant la création de ces deux syndicats, y avait-il jamais eu une forme d’organisation syndicale dans la zone franche au Togo ?

Jamais ! Il est pratiquement impossible aux syndicats d’aller mener quelque action que ce soit dans les entreprises de la zone franche.
A la création de la zone franche en 1989, le gouvernement a publié les textes régissant la zone. Ces textes ne disent pas que les travailleurs ne doivent pas se constituer en syndicats. C’est dans la pratique que cela pose problème. Les textes interdisent aux inspecteurs du travail de faire des contrôles de routine dans la zone franche. Au sein de la SAZOF, il y a une structure chargée de régler les problèmes entre employeurs et travailleurs. Lorsqu’il y a des conflits entre ces deux parties, c’est cette structure-là qui les règle. Cependant, les travailleurs se plaignent du fait que la SAZOF est souvent du côté des employeurs en cas de conflit. Nos camarades n’ont jamais gain de cause.

Concrètement, quelles méthodes d’organisation ont été employées pour parvenir à ce succès syndical ?

La tâche n’a pas été facile parce que nous n’avions pas le droit d’aller dans les sociétés pour faire de la sensibilisation. Nous avons été obligés d’inviter les travailleurs au-delà des heures de travail. Nous avons, par exemple, formé les travailleurs d’une cimenterie aux principes et aux valeurs du syndicalisme un soir entre 19h et 23h. Nous travaillons actuellement avec les délégués du personnel qui ont à leur tête un président.
Le Togo a ratifié la Convention 87 et la Convention 98 de l’OIT. Cela veut dire que les travailleurs ont la liberté de créer leurs syndicats sans l’autorisation de leurs employeurs. Ce qui comptait pour nous, c’était l’adhésion des travailleurs. Et ces travailleurs étaient d’accord pour créer un syndicat. Les travailleurs ont élaboré les textes statutaires et nous les avons accompagnés. Au départ, ils ont hésité à inviter les responsables de la SAZOF qui étaient réfractaires au syndicalisme dans la zone franche. Après la tenue du congrès, les travailleurs syndiqués ont envoyé un courrier à leurs employeurs et à l’administration de la SAZOF pour les informer de la création du syndicat.

Le mouvement en faveur des libertés syndicales dans la zone franche semble se renforcer puisqu’un second syndicat a été créé peu de temps après

En effet, le 19 décembre 2009, un deuxième syndicat, le Syndicat National des Travailleurs de la Zone Franche du Togo (SYNATRAZOFT) a été créé. 209 travailleurs venus de 12 entreprises ont participé à son congrès constitutif.

Quel est le problème majeur pour les travailleurs de la zone franche ?

L’employeur recrute librement les travailleurs et travailleuses, souvent sans contrat, et les licencie aussi librement, parfois sans payer leurs droits d’indemnité. Cela pose le problème de la précarité de l’emploi, car bon nombre de ces travailleurs sont des journaliers sans protection sociale.

Le Code du travail ne protège-t-il donc pas suffisamment les travailleurs de la zone franche ?

Le Code du travail a été révisé en 2006. Nous avons d’ailleurs contribué à sa révision. Les travailleurs de la zone franche ne sont pas exclus de la législation nationale. Les sociétés de la zone franche ont des avantages que n’ont pas d’autres sociétés, mais cela ne veut pas dire qu’elles peuvent violer les droits des travailleurs. Prenant en compte les huit Conventions fondamentales, le Code du travail respecte les principes et droits fondamentaux au travail. Les travailleurs de la zone franche sont protégés par le Code du travail au même titre que les autres travailleurs, mais les employeurs de cette zone n’appliquent pas le code du travail en matière de recrutement et de licenciement.

Que préconisent les résolutions et recommandations du congrès en matière de défense et d’organisation des travailleurs des zones franches?

Les congressistes se sont engagés à travers leurs résolutions à soutenir toutes les organisations qui œuvrent pour la défense des intérêts des travailleurs. Ils voudraient également mettre en place une structure pour accompagner les travailleurs licenciés de la zone franche. Dans les sociétés de la zone franche, les licenciements sont monnaie courante. Quand les travailleurs sont licenciés, ils sont privés de leurs droits. Le nouveau syndicat aidera les travailleurs licenciés à bénéficier de leurs droits et envisage la mise en place d’une commission qui discutera du taux de rémunération des travailleurs payés à la pièce (à la tâche). Le syndicat entend également œuvrer pour que le SMIG soit payé dans les entreprises de la zone franche au Togo conformément à un décret d’août 2008. Le syndicat œuvrera également afin que toutes les augmentations de salaires négociées avec les employeurs soient effectivement appliquées. Un grand travail reste à faire…

Quels sont les moyens d’action de ces tout nouveaux syndicats ?

Le nouveau syndicat voudrait d’abord compter sur ses propres moyens. Nous allons mobiliser les travailleurs afin qu’ils paient leurs cotisations, c’est la première source de revenu d’un syndicat. Tout récemment créés, ils ne disposent pas encore de siège, mais les responsables se rencontrent à la CSTT et c’est là qu’ils peuvent recevoir leur courrier. Ils auraient besoin d’un siège propre où réunir les militants. Il faut dire qu’ils n’ont pas d’argent. Ils se rabattent sur la CSTT même pour envoyer du courrier. Des camarades sont en train de faire de la mobilisation afin que les travailleurs adhèrent massivement au nouveau syndicat pour augmenter ses revenus. La CSTT a entrepris de former les nouveaux travailleurs syndiqués. La CSTT envisage également d’aller à la rencontre des employeurs pour leur expliquer que ces nouveaux syndicats ne sont pas de nature à porter atteinte à leurs intérêts. Le syndicat est un partenaire social qui doit travailler de commun accord avec les employeurs afin que la productivité soit assurée dans la zone franche, dans le respect des droits fondamentaux.

Quel message adressez-vous aux autres organisations syndicales membres de votre centrale ?

Nous demandons aux autres organisations syndicales d’être à l’écoute des membres de ces deux nouveaux syndicats et des travailleurs de la zone franche. Au Togo, personne ne pensait qu’on pouvait mettre en place un syndicat dans la zone franche, compte tenu de la réticence de l’administration de la zone franche. Il se peut que dans les jours à venir, nous ayons des problèmes avec les employeurs. Nous demandons alors aux autres syndicats d’être solidaires avec nous pour qu’au moment des négociations et des actions, nous soyons soutenus.

Quel message adressez-vous au mouvement syndical international ?

Parmi les six centrales syndicales togolaises, la CSTT est la seule pour le moment à intervenir dans la zone franche. Nous avons besoin du soutien de la communauté internationale. Nous voulons former les cadres du nouveau syndicat. Nous avons besoin de soutien tous azimuts.

Propos recueillis par Servais Akpaca et Natacha David.


(1) La zone franche industrielle d’exportation au Togo compte 57 entreprises actives et 32 entreprises en cours d’installation. Elle couvre les divers secteurs d’activité suivants : industrie pharmaceutique, industrie cosmétique, industrie du bois et de la construction métallique, industrie plastique, industrie de l’habillement et du cuir, industrie agro-alimentaire et horticulture, industrie du cheveu synthétique, bijouterie, services d’entretien de bateaux, services de développement de logiciels informatiques, conception et productions d’objets publicitaires.