Professeur d’histoire et militant indigène à La Paz (Bolivie), Carlos Mamani achève son son mandat de quatre ans à la présidence du Forum permanent des Nations unies pour les peuples autochtones. Il dénonce la situation « extrêmement alarmante » des peuples autochtones Guarani dans le Chaco et explique comment l’alliance entre syndicats et peuples autochtones peut aider le combat pour les droits fondamentaux de ces peuples victimes de discriminations multiples.
Pourriez-vous nous expliquer le travail du Forum permanent des Nations unies pour les peuples autochtones que vous présidez?
Notre action découle du mandat dont nous sommes investis par les Nations unies et consiste en l’examen des grands enjeux se rapportant aux peuples autochtones : Le développement économique, social, culturel, environnemental et les droits humains.
Nous contrôlons l’application de la Déclaration de l’ONU 2007 sur les droits des peuples autochtones. Nous promouvons et diffusons tout ce qui touche aux intérêts des peuples autochtones de par le monde. Notre instance est composée de 16 experts internationaux et je suis l’un d’eux. Nous organisons chaque année un sommet de deux semaines qui réunit des représentants de communautés autochtones du monde entier.
Vous avez récemment assister au séminaire (*) de la CSI-CSA consacré au travail forcé au Paraguay et, plus spécifiquement, dans la région du Chaco, qui s’est tenu en novembre 2010 à Asunción. Comment décririez-vous la situation au Chaco ?
Commençons tout d’abord par définir ce dont nous parlons. Le Chaco ne se limite pas au Paraguay. Il s’étend également au Brésil, en Argentine et en Bolivie. Rien qu’en Bolivie, il couvre trois départements (États) et au Paraguay, il occupe une superficie de 200.000 kilomètres carrés, soit près de la moitié du territoire national.
La situation est extrêmement alarmante. La situation des peuples indigènes est pour moi une cause de tristesse et de profonde préoccupation. Ce n’est pas du néocolonialisme. Il s’agit de colonialisme pur et simple. Pour les peuples autochtones, c’est comme si le colonialisme n’avait jamais cessé d’exister. Et le pire c’est que les abus les plus sérieux ont été instigués par les mennonites (colons chrétiens d’origine allemande), partant de leur conviction de « peuple choisi de dieu » et de « terre promise. » C’est un système d’apartheid.
Dans l’ensemble, l’Amérique latine continue de fonctionner suivant les règles du système colonial espagnol. De la même façon, nous pourrions affirmer qu’ici au Paraguay, le colonialisme n’a jamais vraiment cessé d’exister. Tout au contraire, nous assistons à une expansion du colonialisme.
La Guerre du Chaco à laquelle se sont livrés mon pays la Bolivie et le Paraguay entre 1932 et 1936 pour le contrôle du territoire relevait d’un conflit colonial, car ce territoire n’appartenait à aucun des deux pays. Il appartenait et appartient toujours à ce jour aux autochtones guaranis. Les victimes de cette guerre étaient les Guaranis, qui sont passés aux oubliettes.
Le Chaco a été cédé aux Mennonites pour peupler la région, un concept typiquement colonial. Quand les colons espagnols sont arrivés ici, ils ont eux aussi tenté de « peupler » les territoires conquis.
Avant la conquête espagnole, la population guarani atteignait environ quatre millions d’habitants. Aujourd’hui, leur nombre est estimé à 300.000. J’estime qu’il s’agit ici aussi d’un génocide.
Ce sont là des dénonciations extrêmement fortes. Toutefois, quelles mesures concrètes vous et l’Instance de l’ONU pouvez-vous prendre pour améliorer la situation ?
Nous avons pour mandat d’exposer les faits et de montrer au monde ce qui est en train de se passer. Nous devons exposer les conditions politiques, sociales et économiques. Il est impérieux de déclarer sans équivoque que ce territoire appartient aux peuples autochtones.
Aucun des peuples autochtones n’aspire à l’indépendance. Comment peuvent-ils être indépendants puisqu’ils sont les propriétaires originels du territoire ? Ce qu’ils cherchent c’est l’auto-gouvernance dans le contexte de l’autonomie.
Une autre question à l’ordre du jour concerne l’accès transfrontalier ; car les peuples en question occupent tous les pays, comme je l’ai déjà mentionné. Nous ne parlons, toutefois, pas de sécession. Le territoire du Chaco a été partagé entre quatre nations et il nous faut donc un traité spécial où cela serait reflété – afin de remédier au problème de la liberté de mouvement à travers des frontières coloniales forcées.
C’est de libertés fondamentales qu’il s’agit. Il y a eu une discrimination permanente. Les autochtones sont traités comme des citoyens de troisième, voire de quatrième catégorie. Ils n’ont pas le droit de parler leur propre langue, ni de pratiquer leur propre religion. Ils sont victimes de ce prétendu « Développement. » Or le « Développement » pour nous c’est un holocauste.
D’aucuns diront que les Nations unies ne sont qu’une « tribune creuse. » Qu’en pensez-vous ?
Les Nations unies sont la seule organisation internationale qui lutte en défense des droits des peuples autochtones. Sans l’ONU, nous perdrions un puissant ami. L’ONU connait certes des difficultés. Les choses prennent du temps. Jusqu’à présent, l’ONU ne dispose toujours pas d’un représentant permanent, d’un siège permanent pour les peuples autochtones. Elle constitue néanmoins une voix puissante pour les peuples indigènes.
En quoi le mouvement syndical international peut-il contribuer à ce combat ?
Historiquement en Amérique latine, le mouvement autochtone a bénéficié d’une aide importante des syndicats, des partis marxistes et des médias internationaux.
Ici au Paraguay, l’alliance entre les peuples autochtones et les syndicats est très importante. Par exemple, si nous voulons dénoncer la façon dont les travailleurs autochtones sont traités et exploités, nous pouvons le faire à travers les syndicats. Comme les syndicats sont membres de l’OIT ils sont en mesure de porter la lutte à l’échelon international.
Votre pays, la Bolivie, a été le théâtre de progrès très concrets dans la lutte pour les droits autochtones. Que pouvons-nous apprendre de l’expérience bolivienne ?
L’exploitation qu’on trouve ici est la même que dans les autres pays en développement. Tout ce que les gouvernements et les transnationales veulent c’est exploiter les territoires autochtones. Ils détruisent les maisons, établissent des milices privées et divisent les communautés. Ces entités sont dotées de lois et de programmes prétendument axés sur la « responsabilité sociale. »En réalité, il ne s’agit que d’opérations cosmétiques destinées à détourner les critiques et à contourner les vraies responsabilités.
Le Paraguay reste doté d’un système extrêmement faible, hérité de son long passé dictatorial. En revanche la Bolivie a connu des progrès notables. Nous avons adopté la Déclaration de l’ONU sur les droits des peuples autochtones à titre de législation nationale bolivienne. En Bolivie, les territoires autochtones sont considérés comme des terres usurpées et un processus de restitution a donc été mis en œuvre depuis 2008. Ce qui est en train de se produire en Bolivie est un exemple pour le reste du Chaco.
Propos recueillis par David Browne (photo David Browne)
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indigènes et syndicats en Amérique latine
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