Venir à bout du système de parrainage dans les pays du Golfe : Travailleurs et syndicats luttent pour trouver une solution à un problème croissant

Lorsqu’il s’est adressé aux bureaux de la Fédération des syndicats du Koweït (Kuwait Trade Union Federation – KTUF), Kamal avait auparavant épuisé tous les autres recours possibles pour tenter de régler un différend persistant avec son employeur. Ce ressortissant indien qui vit depuis six ans au Koweït, où il a consacré le plus clair de son temps à travailler en tant que gérant d’une chaîne de restaurants, a décidé de se mettre à la recherche d’un nouvel emploi.

Il était bien au courant des règles afférentes au système de parrainage par l’employeur en vigueur au Koweït et a dûment respecté le préavis obligatoire de trois mois lorsqu’il a sollicité la résiliation de son contrat. Alors qu’il était convaincu de la solidité de sa relation avec son employeur, surtout après autant d’années, il ne tarda pas à découvrir que celui-ci n’était pas prêt à accéder à sa demande. En réalité, l’employeur n’avait même pas daigné accuser réception de sa demande. Au moment où il s’est adressé à des représentants de la CSI, son cas était déjà en instance au tribunal.

« Pour nous, la KTUF a été un don de Dieu », dit-il en faisant allusion à l’assistance dont ont bénéficié lui-même et un de ses collègues, tous deux pris dans les rouages du système.

Malgré les difficultés auxquelles il doit faire face, Kamal, grâce à son éducation et son poste qualifié, peut être considéré parmi les plus chanceux qui, non seulement bénéficient de l’aide du syndicat mais savent où et comment l’obtenir. C’est grâce à ses propres recherches en ligne via les salons de discussion d’expatriés indiens qu’il a découvert la KTUF. Dans une immense majorité des cas, les travailleurs et travailleuses étrangers pris dans l’engrenage du système du parrainage s’exposent à l’exploitation, sans échappatoire possible.

Chaque année, des dizaines de milliers de travailleurs et travailleuses migrants partent pour les pays du Golfe, armés d’un permis de travail, dans l’espoir de gagner de l’argent comme ils n’auraient jamais l’occasion de le faire chez eux. Tous les postes et les permis de travail sont préalablement organisés dans leur pays d’origine, à travers des agences d’embauche – condition imposée par les pays de destination pour empêcher des chercheurs d’emploi d’arriver en quête de travail. En vertu de la Kafala, comme est connu le système de parrainage, les travailleurs doivent être parrainés par un employeur pour pouvoir entrer dans les pays du GCC. Or ce que les gouvernements et le secteur privé voient, à première vue, comme une procédure logique de prévention de l’entrée sur leur territoire de migrants sans papiers à la recherche d’un emploi finit, en réalité, par se retourner contre un grand nombre de travailleurs étrangers une fois que ceux-ci sont établis dans leur nouvelle demeure temporaire.

Beaucoup d’entre eux ignorent que le simple fait de quitter un emploi pour en chercher un autre peut entraîner de profondes frustrations, des abus de pouvoir de la part des patrons, voire, dans certains cas, des peines de prison.

La situation est encore pire pour les travailleurs et travailleuses domestiques, qui se voient confinés entre les quatre murs du domicile où ils travaillent, sans pouvoir disposer de leur passeport, qui a généralement été confisqué par l’employeur. De tels cas d’abus et de manipulation par les employeurs sont rarement rapportés par des femmes, vu qu’il leur est impossible de s’échapper. Celles qui réussissent à s’enfuir et n’ont nulle part où se réfugier se retrouvent dépouillées de tout statut légal et seraient exploitées en tant que prostituées ou vendues à d’autres employeurs par des intermédiaires.

Le système de la Kafala est utilisé dans l’ensemble des États du Golfe, du Koweït au Bahreïn, en passant par les Émirats. En dépit des efforts menés par les syndicats locaux, le parrainage et les règles y afférentes sont le seul recours possible pour les migrants qui veulent se rendre dans la région à la recherche de travail.

Une main-d’œuvre parrainée

Les travailleurs migrants arrivent généralement dans les pays du Golfe dans le cadre de contrats d’emploi d’une durée de deux ans, souscrits auprès d’employeurs qui les parrainent. Hormis les différences qui peuvent exister entre les législations des pays de la région – dont certains sont totalement dépourvus de législation - la majorité des États obligent les travailleurs et travailleuses migrants à donner un préavis de trois mois s’ils souhaitent être libérés de leur contrat, généralement pour aller travailler pour un autre employeur. Si officiellement, une simple lettre de démission doit suffire pour obtenir la libération du contrat, c’est loin d’être le cas pour beaucoup de travailleurs.

D’après des représentants syndicaux des pays du Golfe, les demandes des travailleurs seraient rejetées ou simplement ignorées. Et comme il a été mentionné auparavant, les employés qui soumettent des demandes finissent dans certains cas derrière les barreaux suite à de fausses accusations déposées par l’employeur en guise de représailles. À moins de d’abord faire appel à l’intervention des autorités, les travailleurs et travailleuses migrants n’ont aucune chance de débouter l’appareil judiciaire, étant dépourvus des droits de citoyens.

Le système de parrainage est assorti d’une difficulté supplémentaire résultant de la tendance généralisée chez les employeurs à confisquer les passeports de leurs employés – malgré les lois en vigueur qui condamnent cette pratique - spoliant, par-là même, ces derniers de leur liberté de mouvement et de leur pouvoir de négociation. Même en ayant rempli les formalités exigées, il est impossible pour les travailleurs et travailleuses domestiques de quitter leur employeur, au risque de se convertir en sans papiers et d’être passible de détention et finalement de déportation.

La dure lutte des syndicats

La Fédération générale des syndicats de Bahreïn (General Federation of Bahrain Trade Unions – GFBTU) veut abolir ce qu’elle considère comme un système qui dépouille les travailleurs et travailleuses de leurs droits et, a fortiori, de leur liberté de mouvement.

Karim Yousuf Radhi, secrétaire général adjoint de la GFBTU pour le secteur privé rappelle qu’en 2006, un accord avait été passé visant l’abolition du système de parrainage et la promulgation d’une loi en vertu de laquelle le gouvernement aurait eu charge de superviser l’ensemble des travailleurs et travailleuses étrangers.

« La loi en question renfermait un article en particulier, l’article 25, qui prévoyait le droit des travailleurs migrants à se mobiliser et à changer d’emploi sans permission de l’employeur, ni quelque limite que ce soit », a-t-il précisé. « Bien entendu, nous étions fortement en faveur. Nous le soutenions avec le gouvernement, alors que les employeurs y étaient opposés. »

Cependant, les pressions croissantes émanant du secteur privé, le changement de gouvernement et la vague de contestation de l’année dernière ont vu le gouvernement de Bahreïn revenir sur sa décision et il est désormais encore plus difficile pour les travailleurs de changer d’employeur. D’après M. Radhi, les travailleurs sont à présent obligés d’avoir travaillé au minimum un an pour un même employeur avant de pouvoir soumettre leur demande.

« Les employeurs sont allés voir le Premier ministre et ont affirmé que le droit de changer d’employeur n’était pas bénéfique pour l’économie et que cela jouait en faveur des syndicats, qui font partie d’un complot », a-t-il ajouté. « Les travailleurs qui demandent à changer d’emploi représentent un pourcentage infime, et les employeurs exagéraient donc l’étendue du problème et sa répercussion sur l’économie. »

Quand la GFBTU a contesté la volte-face du gouvernement, non seulement ses revendications ont-elles été rejetées mais le gouvernement et les employeurs ont riposté en réinstaurant l’ancien préavis de trois mois, en plus de l’exigence d’une année de service minimum. D’après Radhi, le système actuel avec ses contrats de deux ans empêche de fait les travailleurs de changer d’emploi dès lors qu’il rend tout changement fastidieux à la fois pour les travailleurs et les employeurs.

Vide juridique

Au Koweït, où la Kafala est dénuée de toute base juridique, la KTUF tient également à voir le système de parrainage aboli. À l’instar du Bahreïn, la KTUF voudrait que le gouvernement assume la responsabilité des travailleurs étrangers, retirant le pouvoir et le contrôle des mains des employeurs.

« Nous pressons les autorités de mettre en œuvre les changements qui verront le gouvernement lui-même devenir responsable vis-à-vis de toute personne qui se rend au Koweït », a indiqué Abdul Rahman Yousef Al-Ghanim, secrétaire général de la KTUF. « Il nous reste énormément à faire pour y parvenir mais le gouvernement avait auparavant promis de mettre fin au programme de parrainage. »

C’était en 2008, quand le gouvernement a proclamé pour la première fois son intention d’abolir le système. Toujours est-il que ces fameuses promesses de mettre fin aux parrainages n’ont été qu’une succession de détours et de redites dont on ne voit pas la fin et qui, aux yeux d’une majorité de syndicalistes, mettent en doute la volonté du gouvernement de mettre en œuvre des changements. « À présent, on vient nous affirmer que le gouvernement ambitionne de modifier le système mais on n’a pas le moindre détail. »

Et Al-Ghanim de poursuivre : « Le problème du programme de parrainage est venu bloquer tous les autres enjeux sur lesquels nous planchons, notamment les augmentations salariales. Si nous parvenions à détruire le système des parrainages, les travailleurs et travailleuses seraient libres de trouver de nouveaux emplois, mieux rémunérés », dit-il, en insistant que le fait de permettre aux travailleurs de chercher un autre emploi engendrerait une compétition salariale positive et améliorerait globalement la situation entre travailleurs et employeurs. « Tout le monde voudra une main-d’œuvre qualifiée », dit-il.

Al-Ghanim affirme que sans parrainages, l’économie tirerait avantage d’une compétition accrue entre les entreprises qui ont besoin de travailleurs qualifiés ; et les travailleurs, à leur tour, deviendraient plus compétitifs entre eux pour être les meilleurs dans leurs domaines.
D’après Al-Ghanim, « La majorité des problèmes affectant les travailleurs ici au Koweït trouvent leur origine dans le système de parrainage et, pour autant, son abolition engendrerait de nombreux changements positifs. »

Au cas par cas

Jusqu’à ce que des changements fondamentaux soient apportés dans la manière dont les travailleurs sont autorisés à exercer une activité rémunérée dans les pays du GCC, les syndicats devront continuer à travailler au cas par cas. Heureusement pour lui, Kamal peut être sûr de ne pas être renvoyé sur-le-champ, déporté ou accusé de chefs obscures fabriqués par la police. Sa décision, outre la possibilité qu’il a de recourir à l’aide de la KTUF et de faire appel au département du Travail le mettent à l’abri de toute nouvelle démarche par son employeur actuel. Mais en dépit du soutien syndical, la crainte est persistante. « Le risque de la déportation je l’ai constamment à l’esprit », affirme-t-il, rappelant que l’entreprise retient toujours son passeport, limitant du même coup ses options. Il ne reste à Kamal qu’à attendre que son cas soit résolu, cependant que de nombreux autres travailleurs espèrent un changement dans un système conçu pour les exploiter.