USO-SOTERMUN / Oxfam Intermon : Modifier la donne et définir notre programme : Pour un Sommet fiscal mondial

Par Santiago González Vallejo (USO-SOTERMUN) et Susana Ruíz Rodríguez (Oxfam Intermón)

Le mouvement syndical et les mouvements sociaux affichent très souvent une forte tendance à agir de manière réactive. Nous réagissons à l’ordre du jour des gouvernements ou à l’agenda international qui répondent, à leur tour, à des intérêts propres, en l’occurrence le pouvoir économique. De là surgissent bien évidemment aussi des concomitances pertinentes, aux dénominations communes, comme le changement climatique, l’élaboration d’une stratégie pour l’après-2015, etc.. Aussi trouverons-nous des lectures différentes des réponses à apporter et des tentatives de démarcation par rapport au cadre ou du langage imposés par la « culture » ou la pensée unique dominante. Or le moment est venu de faire valoir notre vision.

Et c’est d’autant plus pertinent à la lumière d’un problème éclipsé durant plusieurs décennies par la croissance économique et qui se dévoile désormais au grand jour dans le sillage de la crise financière mondiale, que beaucoup d’entre nous ne manqueront d’ailleurs de pointer parmi les causes de ce même problème : L’inégalité croissante et la contraction de la part des revenus salariaux dans le PIB, parallèlement à une augmentation du nombre de demandeurs d’emploi et la baisse progressive des dépenses publiques attribuable à un régime fiscal de plus en plus régressif.

Des dynamiques concomitantes, elles-mêmes dérivées d’une économie globalisée où l’augmentation des échanges commerciaux internationaux, la concurrence axée sur le prix et le libre mouvement des capitaux et de l’épargne prévalent en l’absence de normes sociales, salariales, écologiques, fiscales universelles, notamment, entraînant par-là même des basculements productifs, un rabaissement des coûts sociaux et salariaux (d’où la réduction des prestations sociales), et ce dans le but de maintenir ou d’attirer la production, les investissements et l’épargne, avec les conséquences mentionnées plus haut.

Oui, il existe bel et bien une préoccupation déclarée du G20 et de l’OCDE, le groupe des pays riches, concernant les paradis fiscaux ou l’inégalité. Mais tandis qu’ils rédigent leurs rapports et formulent des traités de coopération fiscale, les paradis fiscaux, les préférences fiscales discrétionnaires et l’imposition purement nominale, eux, continuent d’avoir cours dans nombre de pays qui agissent pour le seul privilège d’une oligarchie, comme cela fut démontré dans le cas du Luxembourg de Juncker, et qui ne font rien de plus que fomenter la concurrence fiscale déloyale. La multiplicité des paradis fiscaux se doit à la multiplicité des juridictions singulières en vigueur dans nombre de pays. Et, a fortiori, à l’incidence élevée de traitements abusifs dans chacune d’elles, comme les SICAV, les entités de gestion de valeurs étrangères et les crédits fiscaux ou tax lease en Espagne ; la défiscalisation des multinationales basée sur leurs stratégies fiscales agressives et les déductions fiscales au titre de patent box, soit la maximisation des possibilités de fraude au sein des sociétés numériques qui, sous une « apparente » légalité, tiennent lieu de paradis fiscaux.

Partout, des conditions sont créées pour que des entreprises et leurs principaux investisseurs ou propriétaires, des blanchisseurs d’argent noir, des hommes d’affaires véreux, des trafiquants d’armes ou de n’importe quel autre bien ou service puissent continuer à accumuler des bénéfices tout en étant exonérés de tout impôt, tandis que les citoyens ordinaires et les travailleurs voient leurs droits et leurs prestations sociales se réduire à vue d’œil.

Si à cette manne opaque des paradis fiscaux, estimée à quelque 20 milliards d’euros occultes et à plusieurs milliards d’euros en omissions d’impôts rien qu’au niveau de l’Union européenne – montant qui suffirait à résoudre plus d’un problème de l’humanité - on ajoute l’aplanissement de la progressivité fiscale et l’augmentation du poids des impôts indirects comme la TVA dans l’assiette fiscale, on comprend mieux comment un ou 10% de la population mondiale parvient à accaparer entre 50 et 83% de la richesse mondiale. À ce train, d’ici un an, les 1% les plus riches concentreront plus de richesses que les 99% restants de la population mondiale.

Il suffit de voir ce qui est en train de survenir depuis des décennies avec le recours aux paradis fiscaux et l’aplanissement de l’imposition progressive, outre les répercussions conséquentes eu égard à la redistribution et aux déficiences des instances publiques à l’heure de répondre aux problèmes de la misère criante, que ce soit en Ouganda ou au Mexique, à Chicago, Bhopal ou à Barcelone, pour comprendre qu’il relève de l’urgence et d’une priorité de centrer l’agenda international sur la problème de la fiscalité, le gouffre de criminalité que représentent les paradis fiscaux et la concurrence fiscale induite par les multinationales et les grands détenteurs de richesse.

Heureusement, nous nous trouvons en pleins préparatifs d’une conférence de haut niveau à Addis Abeba (Éthiopie), en juillet 2015, sur le thème du financement du développement. Cet événement s’inscrit dans le cadre du débat sur le contexte stratégique des Objectifs du millénaire pour le développement pour l’après-2015, lesquels prendront la relève des Objectifs du millénaire pour le développement adoptés en 2000.

Les pratiques abusives des grandes multinationales engagées dans le jeu international résultent d’un système fiscal international biaisé en faveur des intérêts des grandes puissances, où l’absence de coopération fiscale et d’une véritable volonté politique empêchent que se referment les brèches par lesquelles s’échappent les ressources vitales indispensables pour défendre une politique sociale plus juste et plus équitable dans tous les pays. D’où notre revendication qu’à l’occasion de ce Sommet fiscal mondial, ces aspects de la justice fiscale soient débattus avec tous les pays sur un pied d’égalité et que soient renforcés les éléments d’un financement du développement inclusif, en tant que condition préalable à la mise en œuvre d’un organisme fiscal intergouvernemental placé sous l’égide des Nations unies, qui ait pour finalité la formulation d’objectifs, de mesures visant à la réalisation de ces derniers, d’un calendrier et de modalités de suivi, y compris des sanctions afférentes à la fiscalité mondiale. Ceci représenterait une avancée transcendantale vers un développement inclusif de l’humanité.

Il ne suffit pas que l’OCDE se dise à présent préoccupée par l’inégalité alors qu’elle a cohabité avec elle, voire l’a hébergée depuis sa création, au moyen de juridictions opaques qui transgressent la fiscalité la plus minime. Du reste, la réforme qu’elle a engagée sous l’égide du G20 pour freiner les pratiques d’ingénierie fiscale des grandes transnationales risquent de s’avérer totalement insuffisantes ou biaisées en faveur d’une minorité de pays. Comment peut-on accorder davantage d’attention à de tels pays-gouvernements-juridictions qu’à ceux qui en subissent les conséquences ? C’est pourquoi il convient d’agir sous l’égide des Nations unies. Aussi incombe-t-il aux gouvernements de répondre aux intérêts des citoyens et non des multinationales et des détenteurs de la richesse. La justice fiscale est une priorité et le manque de justice sociale est un problème qui réclame une solution urgente. Et telle est précisément notre mission.