Un doute sur le SPTDD: la nouvelle mesure de l’OCDE pour le Soutien public total au développement durable est-elle une bonne idée?

Par Jesse Griffiths, Eurodad

A la mi-novemnre 2015, j’ai assisté à une réunion du groupe d’experts pour discuter d’un nouveau cadre préparé par le Comité d’aide au développement (CAD) de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) afin de contrôler et de mesurer les flux financiers pouvant être considérés comme relatifs au développement mais qui ne sont pas actuellement intégrés à l’Aide publique au développement (APD). Ce nouveau cadre est provisoirement dénommé Soutien public total au développement durable (SPTDD). L’objectif déclaré de ce cadre n’est pas de remplacer l’APD mais de donner davantage de transparence aux autres sources de financement des nouveaux Objectifs de développement durable (ODD) adoptés par les Nations Unies.

Toutefois, je pense que ce programme comporte de sérieux risques: il pourrait décrédibiliser les objectifs de l’aide, encourager le mauvais type d’investissements privés, et attribuer aux donateurs le mérite indu de soutenir des biens publics mondiaux. Mais la semaine dernière je me suis demandé quel pouvait bien être l’aspect positif du SPTDD, ce qui a donné lieu à deux réflexions initiales:

1. Pour les bénéficiaires de l’aide: comptabilité transparente des coûts et des avantages?

En premier lieu, du point de vue du bénéficiaire, le SPTDD pourrait favoriser une comptabilité transparente des financements des donateurs, indiquant clairement dans les bilans les aspects positifs et négatifs, ce qui permettrait de mieux informer les bénéficiaires des flux financiers à destination de leur pays, et les aiderait à répondre aux principales questions qui se posent lorsqu’ils reçoivent un soutien financier de la part de donateurs:

• Quels sont les coûts et les avantages financiers totaux?

o Combien coûte au bénéficiaire l’ensemble de l’opération de financement? Ce coût est-il avantageux ou non par rapport à d’autres alternatives? Comme l’a souligné Eurodad, les partenariats public-privé (PPP), qui sont en passe de devenir une des méthodes de financement privilégiées, sont souvent conçus de manière à dissimuler cette information.
o Quels sont les engagements financiers explicites et conditionnels? L’investissement privé, par nature, part du principe que les projets peuvent parfois ne pas aboutir. Lorsque l’investissement est réalisé dans un service public ayant une incidence sur les droits humains (approvisionnement en eau, par exemple) ou d’importantes conséquences économiques (électricité ou télécommunications, par exemple), il est peu vraisemblable que le gouvernement laisse échouer le projet. Les gouvernements vont immanquablement intervenir, ce qui signifie que les engagements financiers conditionnels sont en fait bien réels, et ils peuvent être considérables.
o Quels sont, dans la globalité, les risques et les avantages? Cette question présuppose que l’on obtienne des informations sur de nombreuses autres questions:

  • S’agit-il d’un financement à court terme? S’agit-il de «capitaux fébriles» susceptibles de quitter rapidement le territoire en cas de problème perçu dans le pays?
  • Quels sont les risques d’endettement, y compris les risques occasionnés par les engagements financiers conditionnels?
  • Quels sont les risques liés aux devises étrangères? Ces risques pèsent-ils dans le contexte de la situation économique globale du pays (les pays déjà largement exposés aux risques dus aux devises étrangères préféreront contrôler ou limiter tout risque supplémentaire).
  • Quelles sont les incidences fiscales? Que peut-on faire pour garantir qu’il n’y ait pas d’évasion fiscale et que personne ne propose des réductions d’impôt injustifiées?

• Quelles sont les répercussions générales (positives et négatives) sur le développement?

o Au préalable (ex ante), il est important de veiller à ce que tous les financements obéissent à des normes de financement responsable – telles que celles qui figurent dans la Charte pour un financement responsable d’Eurodad – afin d’empêcher toute conséquence préjudiciable et de maximiser les éventuelles incidences positives.
o Pendant et après (a posteriori), il n’est pas acceptable de comptabiliser un investissement uniquement à son point de départ. Il faut suivre tout le déroulement de l’investissement (par exemple, si l’investissement s’interrompt brutalement et entraîne des pertes pour le gouvernement, le bilan global doit faire apparaître cet impact négatif).
o Ces réflexions contournent la question centrale, à savoir: pourquoi les bénéficiaires devraient-ils compter sur un organe contrôlé par les donateurs tel que le CAD pour jouer le rôle d’arbitre dans des questions de ce type, alors qu’ils ont si peu participé aux discussions sur le SPTDD jusqu’à présent?

2. Pour les donateurs: empêcher les mauvaises mesures incitatives?

En second lieu, du point de vue du donateur, le SPTDD présente le risque très élevé de prendre de mauvaises mesures incitatives, qui peuvent toutefois être atténuées si la comptabilité est complète (elle couvre l’ensemble de l’opération de financement), séparée (elle ne cherche pas à tout regrouper pour créer un faux objectif), et équilibrée (elle tient compte des flux financiers négatifs et positifs).

• Une comptabilité complète implique qu’il faut mettre de l’ordre dans l’APD, en reconnaissant que plusieurs éléments de l’APD ne sont pas adaptés – c’est le cas des coûts que les pays donateurs consacrent sur leur territoire aux réfugiés et à l’éducation, et des coûts supplémentaires relatifs à l’aide liée destinée à soutenir les entreprises donatrices. Bien entendu, ces coûts ne doivent pas être intégrés à l’APD, dans la mesure où ils n’impliquent pas de transferts vers les pays en développement, et qu’ils résultent de décisions politiques nationales. Si ces coûts sont inscrits dans le SPTDD, ils doivent réussir le test d’impact sur le développement – ce qui n’est évidemment pas nécessaire pour le coût supplémentaire de l’aide liée. Il conviendrait également de clarifier ce qu’on entend par «autres flux officiels», qui sont actuellement une sorte de «dépotoir» où sont regroupées les contributions des donateurs qui ne peuvent pas figurer dans l’APD. (Il serait très utile de disposer d’une comptabilité en bonne et due forme pour les flux officiels non destinés au développement, comme l’aide militaire, mais la catégorie des «autres flux officiels» ne prévoit pas cette possibilité).
• Une comptabilité séparée reviendrait à établir des estimations séparément pour chaque élément, mais sans céder à la tentation de réunir tous les éléments sous la ligne unique du SPTDD. Cela éviterait le danger de considérer le SPTDD comme un objectif auquel les donateurs cherchent à donner plus de poids. Étant donné que de nombreux éléments des bilans contiennent des données positives et des données négatives, comme indiqué plus haut, il n’est absolument pas judicieux de vouloir renforcer le SPTDD. Le risque est également d’entraîner une profonde modification des mesures incitatives de l’APD. Si les donateurs qui utilisent l’APD pour profiter du financement privé obtiennent un crédit pour 1 USD d’APD plus 20 USD de financement supplémentaire «à effet de levier» au titre du SPTDD, le but est clairement d’inciter à dépenser l’APD de cette manière. Tout cela en dépit des problèmes soulignés ci-dessus, et du fait que 1 USD d’APD consacré aux dépenses publiques traditionnelles – telles que l’éducation, la santé et les infrastructures – est, je dirais, plus à même de tirer parti de l’investissement privé.
• Une comptabilité équilibrée permettrait de reconnaître que, par exemple, les investissements privés peuvent donner lieu à un financement supplémentaire dans un premier temps, mais qu’ils peuvent aussi se traduire par des sorties de capitaux au fil du temps. Les projets qui échouent entraînent des coûts. Les deux parties du bilan financier doivent être prises en compte.

Pour finir, il faudrait éviter absolument de recourir au SPTDD pour justifier des contributions aux biens publics mondiaux, car cela n’a pas de sens si les contributions négatives ne sont pas intégrées aussi. Pourquoi valoriser, par exemple, les transferts financiers néerlandais visant à soutenir les efforts réalisés pour réduire les émissions de CO2 des centrales électriques chinoises, si l’on n’établit pas de comparaison avec les propres émissions de CO2 des centrales électriques néerlandaises? Il s’agit d’une tâche importante mais je pense, en toute humilité, qu’elle va beaucoup plus loin que la mission et les compétences du CAD.

Les suggestions que je viens de formuler rencontrent toutefois un problème: elles sont très éloignées de l’objectif que privilégient certains donateurs, par manque de vision, c’est-à-dire obtenir des crédits pour profiter du financement privé, sans se soucier des risques ou des éventuelles conséquences négatives. La question est de savoir si le CAD tient à considérer que le SPTDD est une bonne idée uniquement parce qu’il apporte des informations utiles aux bénéficiaires et qu’il assainit la comptabilité des donateurs. L’avenir le dira.

Article initialement publié par Eurodad: http://eurodad.org/arguing_the_tossd