Travail décent au Burkina Faso : des chantiers à perte de vue, plus nécessaires que jamais après le coup d’État

Travail décent au Burkina Faso : des chantiers à perte de vue, plus nécessaires que jamais après le coup d'État

Although the concept of ’decent work’ is gaining ground, the recent coup d’état and military takeover, in addition to ongoing insecurity in the country, magnified by chronic food crises linked to climate change, will not facilitate the task at hand.

(Juan Luis Rod)

Depuis des décennies, l’Organisation internationale du travail (OIT) s’efforce de promouvoir des politiques de travail décent dans le monde entier car, conformément au consensus international, celui-ci est considéré comme la pierre angulaire d’une « paix durable, du redressement et de la résilience ». Au Burkina Faso, l’idée a fait son chemin et s’enracine très progressivement dans la culture de l’emploi. Cependant, à l’aulne de ce chantier formidable se profilent aussi des défis colossaux, désormais accentué par les bouleversement politiques que traverse le pays et par la toute récente prise du pouvoir par les forces militaires (24 janvier 2022), mais aussi par l’insécurité croissante et aux crises alimentaires chroniques liées au changement climatique.

Selon la Banque mondiale, le Burkina Faso est « un pays sahélien à faible revenu et aux ressources naturelles limitées » où 40 % de la population vit sous le seuil de pauvreté – dont 11 % dans l’extrême pauvreté – surtout en milieu rural. Le secteur agro-sylvo-pastoral occupe près de 80 % de la population active. D’autre part, le pays compte une population très jeune. Sur 21 millions d’habitants, 78 % ont moins de 35 ans. Le taux d’emploi informel, pour sa part, avoisine les 95 %.

Outre les crises alimentaires chroniques qui accablent le pays depuis des décennies, l’insécurité croissante, qui vient de culminer avec un coup d’État, a perturbé la vie de nombreuses communautés depuis 2018. Ainsi, à la rentrée 2021, environ 11 % des établissements éducatifs du pays étaient fermés (2.682 écoles) pour cause d’attaques et de menaces de groupes armés. À cela vient s’ajouter un autre élément d’information non moins significatif : le Burkina Faso compte actuellement plus de 1,4 million des déplacés internes, soit 6 % de la population du pays. Ces chiffres devraient augmenter dans un avenir proche, même si l’on ne dispose d’aucune certitude à ce stade.

Politiques de l’emploi depuis une décennie : un bilan décevant

C’est dans ce contexte que le Burkina Faso, membre depuis 1960 de l’OIT dont il a ratifié 43 conventions internationales du travail, a récemment entrepris la révision de son code du travail. Et c’est dans ce même contexte que le pays s’efforce de mettre en œuvre des politiques de promotion de l’emploi et du travail décent, et ce depuis 2004, année où le sommet de l’Union africaine à Ouagadougou avait donné le coup d’envoi des politiques de lutte contre la pauvreté par la création d’emplois au niveau continental.

Des emplois, mais pas n’importe lesquels. En 2007, un premier agenda du travail décent a défini un cadre de référence pour la période 2007-2015. Et pour cause. « L’Afrique est le continent qui compte le plus grand nombre de travailleurs pauvres au monde. Le problème n’est certes pas le manque d’effort. Les gens en Afrique travaillent dur jour après jour (…). Il est temps d’appliquer des mesures qui soient à la hauteur de leurs aspirations », avait proclamé Juan Somavia, à l’époque directeur général de l’Organisation internationale du travail (OIT), dans l’introduction de cet agenda.

Dès 2015, l’OIT, de pair avec l’Union africaine, a lancé un programme ambitieux focalisé sur les jeunes, la protection sociale et le renforcement du dialogue social. Pour assister les pays membres à mettre en œuvre l’Agenda du travail décent, l’OIT a mis en place les « Programmes par pays pour la promotion du travail décent » ou PPTD. Ces programmes permettent de définir les résultats attendus et les activités prévues pour les atteindre, ainsi que les moyens nécessaires pour les réaliser et les acteurs impliqués dans leur mise en œuvre. À cela s’ajoute une série d’indicateurs permettant de mesurer le niveau de mise en œuvre de chaque programme.

Au Burkina Faso, le PPTD a été élaboré selon une approche participative, c’est-à-dire qu’il implique les différents acteurs nationaux (syndicats, employeurs et gouvernement) et est approuvé par décret en Conseil des ministres.

Loin d’être des programmes en vase clos, les PPTD sont étroitement liés aux politiques nationales d’emploi et de protection sociale. Tel est le cas de la politique sectorielle du Travail, de l’Emploi et de la Protection Sociale (TEPS) en cours. Cette politique intègre l’ensemble des principes de la promotion du travail décent, de la protection sociale et de l’autonomisation socio-économique des femmes.

Cependant, en 2020, lorsque l’OIT a réalisé un premier bilan de dix années d’intervention en faveur de l’emploi des jeunes (2009-2019), ses conclusions n’étaient guère encourageantes. Selon le rapport de l’OIT, alors qu’un nombre important de jeunes arrivaient chaque année sur le marché du travail, ceux-ci peinaient à gagner leur vie et à se projeter dans l’avenir dès lors que la proportion d’emplois informels précaires pour les jeunes augmentait et le parcours d’insertion professionnelle, lui, s’allongeait. Dix ans après son adoption, le bilan de la politique nationale d’emplois est « décevant, au mieux mitigé », selon l’OIT.

Dialogue tripartite : le PPTD en action

La conception et la mise en œuvre de l’actuel PPTD (2020-2022) – quoiqu’il reste à voir ce qui adviendra à la suite du coup d’État – sont portées par les organisations de travailleurs, notamment la Confédération nationale des travailleurs du Burkina Faso (CNTB), le Conseil national du patronat (CNPB) et des acteurs étatiques, dont la Direction générale du travail (DGT). La promotion et le renforcement du dialogue tripartite figurent, de fait, au nombre des résultats clés du programme.

Une telle articulation des efforts entre les trois interlocuteurs semblerait, toutefois, constituer l’un des défis majeurs à l’heure de faire avancer les politiques nationales et les programmes découlant de l’appui de l’OIT, selon ce qu’ont indiqué diverses sources à Equal Times.

Pour Ferdinand Zoungrana, responsable du service juridique, fiscal et social de l’organisation des employeurs CNPB, les acteurs de l’emploi sont prêts et déterminés à avancer sur le PPDT, cependant la volonté politique devrait être plus forte : «L’engagement des acteurs sociaux est acquis, mais il faudrait que le gouvernement travaille en symbiose pour éviter de continuer à chanter les mêmes chansons. »

«Tant qu’il n’y a pas une volonté politique pour s’approprier réellement des projets, ils seront mis en oeuvre, mais on va toujours revenir aux mêmes conclusions de déception », a déclaré M. Zoungrana.

Pour Marcel Zandé, secrétaire général de la confédération syndicale CNTB, l’engagement des acteurs est insuffisant et les objectifs ne sont pas atteints : « Les emplois qui ont été créés sont loin des objectifs prévus et moins de la moitié peuvent être considérés comme répondant aux critères de l’emploi décent. Si un employeur peut se permettre de renouveler un contrat autant de fois qu’il veut, l’emploi n’est pas sécurisé. Par exemple, dans le secteur des mines, on paie un salaire au-dessus de la moyenne, mais l’emploi est précaire et il sort du cadre du travail décent. »

Si le manque de synergie entre les acteurs constitue un frein important, l’insécurité contextuelle est un autre obstacle majeur (et manifeste). « Chaque acteur intervient dans son pré carré et on a des difficultés à cerner qui intervient à quel niveau. En plus, l’impact de la sécurité est systémique, les entreprises ont du mal à prospérer dans ce contexte instable et les effets des programmes sont amoindris », poursuit Ferdinand Zoungrana.

Pour Marcel Zandé, l’un des plus grands enjeux est désormais la finalisation des conventions collectives sectorielles, l’un des points-clés du PPDT : « Nous souhaitons que des dispositions sectorielles soient adoptées, notamment certaines conventions. Par exemple, la négociation d’une convention sur le secteur des mines est en cours depuis 2014 et n’a toujours pas abouti, parce qu’elle est très critiquée par les investisseurs. Mais aussi la convention du secteur BTP (bâtiment travaux publics) qu’on a déposé sur la table du patronat ou celle du secteur des artistes. »

Selon M. Zoungrana, le principal obstacle à l’avancement de la mise à jour des conventions collectives tient au volet salarial : « Selon les secteurs, il y a des gros poissons et des petits poissons et les gros poissons peuvent négocier la convention à leur avantage. »

Réforme du code du travail : employeurs et syndicats se mettent à table

En 2021, employeurs et syndicats ont procédé à la révision de 25 articles du code du travail. Plus de la moitié des articles ont été modifiés de manière consensuelle, notamment ceux relatifs à la durée des contrats ou au nombre de fois qu’un contrat temporaire peut être reconduit (trois fois maximum), à l’indemnisation en cas de licenciement abusif ou irrégulier (3 mois de salaire), au congé de maternité (15 mois), ainsi qu’aux congés payés et aux congés exceptionnels.

Des divergences sont apparues sur plusieurs questions liées au droit de grève, aux barrages et aux piquets de grève, à la résolution des conflits collectifs, à la représentation syndicale dans l’entreprise ou aux activités de travail temporaire et de sous-traitance.

« Le code du travail a été adopté en 2008 sous le gouvernement de Blaise Compaoré et avait pour objectif de susciter la venue des investisseurs. Après les travaux de relecture en 2021, on a pu trouver des convergences sur un certain nombre de dispositions et réduire les divergences sur d’autres aspects. Si la loi est adoptée dans le sens que nous proposons, on va équilibrer la balance, beaucoup de situations seront revues pour favoriser l’emploi décent », a déclaré M. Zandé fin 2021.

« On voulait s’entendre sur un maximum des points et les autres, on les a laissés au frigo. En gros, on s’est accordé sur notre désaccord. À présent, c’est au niveau du Conseil des ministres : on attend la suite », a précisé M. Zoungrana.

Il reste à voir quand et si un futur Conseil des ministres donnera le feu vert à cette proposition. Si tel est le cas, le chemin vers le travail décent aura franchi des étapes décisives et le dialogue tripartite s’en trouvera dynamisé. Cependant, en décembre 2021, alors que le climat d’insécurité et de troubles sociaux était à son comble (suite à une nouvelle attaque terroriste qui a fait 53 morts), le président burkinabé, Roch Kaboré, a limogé le premier ministre et son gouvernement et en a nommé un nouveau dont la direction a été confiée à Lassina Zerbo. Dans la foulée du coup d’État du lundi 24 janvier 2022, la junte militaire a déposé le président Kaboré, suspendu la constitution et dissous le gouvernement et l’assemblée nationale.

Au vu de toutes les questions qui restent en suspens au lendemain du coup d’État, et des précédents historiques, la possibilité que les autorités (restaurées ou nouvelles) ne tiennent pas pleinement compte des recommandations des employeurs et des syndicats est bien réelle. Par ailleurs, le débat sur le travail décent demeurera marginal et incomplet tant que les conditions de travail de la majorité de la population dans les zones rurales ou dans le secteur informel ne seront pas prises en compte.

This article has been translated from Spanish by Salman Yunus

Cet article a été réalisé avec le soutien du syndicat belge ACV-CSC et de la Direction Générale de la Coopération belge au Développement.