Gros-plan sur Irina Livkovich (PIT.Ua Ukraine, Décisions pour la vie)

« De plus en plus de jeunes femmes pourront accéder à la direction et oser aller au bout de leurs ambitions grâce à ce projet. »

Economiste de formation, Irina Livkovich est aujourd’hui dirigeante du Comité des femmes du Syndicat des travailleurs du secteur de l’informatique en Ukraine (PIT.Ua). Mis sur pied dans le cadre du projet Décisions pour la vie, le Comité des femmes en tant que tel partage énormément d’objectifs communs avec la campagne. Avec pour objectif d’organiser les jeunes femmes et de les sensibiliser à leurs droits au travail, la campagne Décisions pour la vie est actuellement en cours dans plus de 12 pays de par le monde - du Brésil à l’ouest, à l’Indonésie à l’est.

Quelles actions ont été menées en Ukraine dans le cadre de la campagne Décisions pour la vie?

- Nous avons organisé une multitude d’événements différents: Des groupes de discussion et des séminaires, notamment, et nous nous concentrons à présent plus particulièrement sur le leadership des femmes. Quelques semaines après la conférence Décisions pour la vie à Amsterdam, nous organiserons une conférence nationale sur les femmes et le leadership en Ukraine.
Nous avons invité des politiciennes, des dirigeantes d’entreprises, des organisations de femmes et des comités de femmes de syndicats. Les femmes en Ukraine occupent à peine sept pour cent des sièges au parlement national et dix pour cent des postes exécutifs dans le monde des affaires.

- Une jeune femme qui avait auparavant pris part à une de nos activités est aujourd’hui présente à cette conférence à Amsterdam. Elle dirige, à l’heure actuelle, le programme des campagnes et le site web « Helping Hand ». Elle est psychologue de formation et répond aux questions des gens en ligne. Ils peuvent choisir de poser leurs questions de façon anonyme ou ouvertement.
Sur le site web figurent également des articles concernant les droits des femmes, des informations, etc.

Pouvez-vous nous donner quelques exemples concrets d’activités que vous avez menées dans le cadre de la campagne Décisions pour la vie ?

- Nous avons organisé un concours national de rédaction où des jeunes femmes de toutes les régions ont envoyé des textes exprimant leurs points de vue à propos de l’égalité entre hommes et femmes et les conditions au travail, par exemple. Nous avons décidé d’organiser ce concours annuellement. Nous pensons que ce pourrait être un bon moyen d’attirer des jeunes dirigeantes.

- Autre exemple, celui de deux jeunes femmes qui, après avoir participé au concours, ont mis sur pied un cercle de conversation en langue anglaise. Cela leur permet d’aborder la problématique de l’égalité tout en s’adonnant à la pratique de la langue anglaise. Les jeunes femmes en question possèdent, toutes deux, un diplôme de professeur de langue anglaise mais n’exercent pas cette profession car les salaires sont insuffisants. À présent, elles travaillent en tant qu’office managers. Elles se réjouissent, néanmoins, d’avoir trouvé un moyen d’enseigner l’anglais.

- Une autre jeune femme qui rêvait de devenir journaliste rédige à présent des articles pour nos sites web.

Quelle est la situation des jeunes travailleuses en Ukraine ?

- À l’heure actuelle, avec la crise financière qui sévit dans le monde entier, la situation des jeunes travailleuses en Ukraine laisse énormément à désirer. Beaucoup de gens tentent de se réaliser mais ont besoin d’aide en ce sens, qu’on leur indique la voie à suivre. Nous devons les conseiller sur comment prendre des décisions. Bien entendu, il y a toujours le gros problème du plafond de verre ; les femmes peuvent atteindre les échelons intermédiaires mais pas le sommet.

- J’espère que de plus en plus de jeunes femmes pourront accéder au leadership et que ce projet les armera de la confiance nécessaire pour oser aller au bout de leurs ambitions. Les jeunes, en particulier, pâtissent d’une crise de dignité en Ukraine. Les jeunes femmes ont besoin d’horaires de travail flexibles qui leur permettent de concilier travail et vie personnelle.

- Dans notre pays, les gens ont peur d’adhérer aux syndicats. Après tant d’années de mauvais traitements, ils ne font désormais plus confiance à personne. Ils ne sont pas sûrs qu’en payant leur cotisation syndicale ils obtiendront réellement l’aide dont ils ont besoin au moment opportun. Les gens ne tiennent pas à ce qu’on leur fasse porter la responsabilité de leur propre vie ! Je pense que le fait que Décisions pour la vie soit une campagne internationale peut beaucoup nous aider – des gens aux quatre coins du monde luttent pour une même cause et nous ne sommes donc pas seules à mener ce combat.

Quelle est la situation des femmes en Ukraine ?

- Les hommes ne respectent pas les femmes en Ukraine. Nous avons une législation à peu près idéale en matière de droits des femmes et des travailleurs (congé de maternité, etc.) mais les employeurs ne respectent pas les lois et les enfreignent systématiquement !

- L’année dernière, j’ai écrit une lettre ouverte au nom du PIT.Ua adressée au Premier ministre ukrainien (dans le cadre de la campagne Décisions pour la vie) dans laquelle nous demandions des conditions de travail décentes pour les femmes. Cette lettre est malheureusement restée sans réponse. J’ai toutefois entendu le président déclarer dans un discours que « la place des femmes est à la cuisine ». Ces propos ont, bien entendu, suscité une réaction bien plus vive chez les femmes que chez les hommes en Ukraine ; force est de reconnaître que nous sommes un pays extrêmement traditionaliste en matière d’égalité hommes-femmes.

Que retiendrez-vous de cette conférence à Amsterdam ?

- J’emporterai beaucoup de choses avec moi de cette conférence! Avant tout, de bonnes idées émanant d’autres femmes et que j’essaierai de mettre en pratique en Ukraine. J’ai déjà cinq idées concrètes ! Permettez-moi de les partager avec vous :

1. Les journalistes dans notre pays rechignent à se mettre en rapport avec les syndicats. En gros, ils refusent d’écrire quoi que ce soit s’ils ne sont pas payés pour. Mon idée est donc d’adopter une approche plus personnelle. Je vais tenter de me faire des amis parmi les journalistes spécialisés dans l’égalité hommes-femmes pour ensuite faire appel à leurs services dans les domaines que nous traitons.

2. Je me mettrai en rapport avec le département du gouvernement chargé des affaires familiales et de la maternité. Les responsables de ce département pourraient éventuellement nous donner un coup de main avec la mise à disposition de salles de réunion pour nos séminaires etc.. Autrement, cela représente des frais supplémentaires.

3. Chaque syndicat impliqué dans le volet ukrainien de la campagne dispose de son propre site web. Nous devons nous efforcer de travailler en réseau et de partager les informations et les contacts entre nous. En œuvrant ensemble, nous saurons prouver aux gens qu’il n’y a aucune raison d’avoir peur des syndicats.

4. La quatrième idée est une idée pratique concernant un événement. J’ai été extrêmement touchée par le récit du dirigeant syndical azéri – comment il s’est rendu dans les prisons pour parler aux prisonnières ; il leur a parlé des syndicats et des possibilités qui s’ouvriraient à elles, pour les encourager à prendre leurs propres décisions dans la vie.

5. Et enfin, en cinquième lieu, un autre récit qui m’a profondément touchée, à savoir le témoignage d’une jeune femme sud-africaine qui a été victime d’une agression sexuelle par un chauffeur de taxi un soir lorsqu’elle rentrait chez elle. Quand elle a appelé la police pour dénoncer l’agression, celle-ci s’est contentée de répondre : « C’est ta propre faute car tu portais une minijupe. » Elle a prévenu ses amies qui se sont donné rendez-vous devant la compagnie de taxi vêtues de minijupes et armées d’étendards, pour y organiser une mini-manifestation. Elles ont remporté énormément de soutien et de notoriété grâce à leur action.

Propos recueillis par Kristin Blom

Voir aussi l’interview Gros-plan sur Jardélia Rodrigues (CUT Brésil – Décisions pour la vie), intitulé: «Les témoignages et les luttes des femmes me rendent plus forte»