Gros plan sur Renana Jhabvala (Inde - SEWA)

"La CSI doit encourager l’organisation des travailleurs de l’informel"

Interview gros plan sur Renana Jhabvala, coordinatrice nationale de SEWA (Inde)

"La CSI doit encourager l’organisation des travailleurs de l’informel"

Bruxelles, 21 novembre 2006 (CSI EnLigne) : Renana Jhabvala est la coordinatrice nationale de SEWA, un syndicat des travailleuses de l’économie informelle(1), qui est l’une des affiliées de la CSI en Inde. SEWA compte plus de 800.000 membres à travers l’Inde et veut montrer la voie aux autres syndicats dans l’organisation de l’économie informelle.

Comment SEWA négocie-t-elle pour le compte des travailleuses de l’informel?

Nos membres sont des vendeuses de rue, des travailleuses à domicile, des femmes actives dans l’artisanat, des travailleuses par intermittence (qui sont souvent employées au jour le jour dans l’agriculture, la construction, etc. Notre principal objectif est de les organiser et de négocier en leur faveur. Cette négociation ne se déroule pas toujours avec un employeur car la plupart n’ont pas de véritable relation employé-employeur. Par exemple, pour les vendeuses de rue, nous devons négocier avec les municipalités pour obtenir des espaces de vente. Pour les femmes actives dans l’agriculture, nous devons nous adresser à l’OMC pour qu’elle améliore ses politiques pour les petits agriculteurs. Notre façon de négocier est différente des façons traditionnelles de négocier car nos interlocuteurs sont très divers.

Quels services offrez-vous à vos membres ?

Nous avons donc dû promouvoir nos propres coopératives car les autorités publiques n’offrent aucun service aux travailleuses de l’économie informelle. Notre première coopérative est une banque active, entre autres, dans le micro-crédit. Nous sommes très heureux que le Prix Nobel de la Paix de cette année ait été décerné au fondateur d’une organisation de micro-crédit au Bangladesh, la Grameen Bank, mais notre syndicat avait promu le micro-crédit avant elle, même si ce n’est que pour nos membres. Nous avons aussi notre propre programme de sécurité sociale, notre propre compagnie d’assurance, notre propre fonds de pension, des centres de soins pour enfants, etc.

Quel intérêt SEWA trouve-t-elle à être membre d’une organisation syndicale internationale comme la CSI ?

Nous avons constaté au cours des vingt dernières années que nos membres ont vu leur situation se détériorer, elles subissent les conséquences de politiques mises en œuvre sans les consulter. A l’heure actuelle, ces politiques sont souvent dictées depuis l’étranger, elles dépassent notre gouvernement national. Il faut donc pouvoir influencer les décideurs à l’étranger. C’est pour cette raison que nous avons souhaité rejoindre un syndicat international. L’un de nos buts est aussi de convaincre les syndicats du monde entier que les travailleurs et travailleuses de l’informel doivent être inclus dans le mouvement syndical. Dans de nombreux pays, entre 60 et 80% de la main-d’œuvre se trouve dans l’économie informelle. Même dans les pays de l’OCDE, ce taux est maintenant de 20%. Nous espérons donc que la CSI encouragera l’organisation de cette catégorie importante de travailleurs et de travailleuses.

Le modèle de SEWA peut-il être reproduit ailleurs qu’en Inde ?

Le modèle en tant que tel n’est sans doute pas entièrement transposable, mais ses principes le sont : tous les pays ont des travailleurs et travailleuses dans l’informel, or notre expérience montre qu’ils veulent être organisés tout autant que les autres car ils ont besoin d’un voix unie pour être entendus. La façon de les organiser peut varier d’un pays à l’autre, selon les possibilités. En Inde par exemple, les travailleurs et travailleuses de l’informel ont le droit de former des syndicats, dans d’autres pays ils ne pourront peut-être former que des associations, mais peu importe : l’important est de les organiser, de les associer, c’est leur volonté. Des services comme le micro-crédit, les pensions, l’assurance santé peuvent intéresser tous les travailleurs de l’informel du monde, cet intérêt n’est pas limité à l’Inde.

Comment financez-vous de tels services ?

Les fonds de pension sont financés par les cotisations des membres, ils sont comme un programme d’épargne à long terme. Pour le programme d’assurance, nous récoltons les primes chaque année. Nos membres sont très contentes de payer des cotisations de pension : leur âge augmente, elles constatent que les structures familiales s’effondrent, que souvent les enfants n’ont plus la possibilité de s’occuper de leurs parents, qu’ils les traitent parfois très mal. Lorsque nous avons récemment lancé ce programme de pension, l’une de nos membres a dit qu’elle est enthousiaste d’y participer car elle ne veut pas qu’il lui arrive ce qui est arrivé à sa maman.

Il existe un système de pension en Inde, mais pas pour les travailleurs de l’informel. Nous essayons de persuader le gouvernement national de faire passer une nouvelle loi concernant la sécurité sociale pour l’économie informelle, il semble ouvert à ce sujet. Nous pourrions aboutir à un programme commun entre gouvernement et syndicats.

Collaborez-vous avec les autres syndicats indiens ?

Nous collaborons beaucoup sur des questions spécifiques, comme cette nouvelle loi sur la sécurité sociale, nous faisons pression ensemble sur le gouvernement à son sujet. Plus tôt, nous avions essayé ensemble d’obtenir une politique nationale au sujet des travailleurs et travailleuses à domicile.

SEWA a récemment appelé à l’aide concernant un conflit avec le gouvernement de l’Etat du Gujarat. Que s’est-il passé ?

Nous subissons les foudres du gouvernement de l’Etat du Gujarat, là où se trouve notre principal bureau et où nous organisons la plupart de nos activités. Il y a eu de grosses émeutes au Gujarat et un grave tremblement de terre, en 2001 et 2002. Nous essayons de venir en aide à nos membres qui en sont victimes. Nous avons par exemple un projet de développement rural mis en place en collaboration notamment avec le gouvernement du Gujarat, mais celui-ci, dominé par un parti nationaliste hindou, a stoppé tous les fonds. Une part du projet consistait à soutenir des emplois pour les femmes, SEWA y avait avancé beaucoup d’argent, mais l’arrêt du partenariat du gouvernement nous a causé de gros problèmes financiers. Puis, ce gouvernement du Gujarat a entamé une campagne à notre encontre, nous accusant dans les médias de détournement d’argent. Ca nous a placés dans une situation délicate, nous avons donc publié un communiqué annonçant que nous ne collaborerions plus avec ce gouvernement. Celui-ci s’est encore davantage fâché, il a décidé de cesser tout financement en collaboration avec nos coopératives, même celles assurant les soins des enfants. Nous avions financé le lancement de ces coopératives, puis le gouvernement prenait le relais, mais il a tout arrêté subitement et les programmes d’alimentation des enfants ont été arrêtés. D’autres mesures de rétorsion du gouvernement ont suivi.

Pour prouver que les accusations du gouvernement du Gujarat étaient fausses, nous avons ouvert tous nos comptes, un expert comptable les a examinés et a rendu un certificat accepté par le gouvernement indien (mais pas par celui du Gujarat) pour que les fausses accusations s’arrêtent. Ils nous harcèlent maintenant d’autres façons : nouvelles accusations, arrêts des financements, envoi de lettres nous critiquant à tous les gouvernements des Etats indiens, etc.

(1) Self Employed Women’s Association, www.sewa.org

Propos recueillis par Samuel Grumiau

Créée le 1er novembre 2006, la CSI représente 168 millions de travailleurs au sein de 307 organisations affiliées nationales dans 154 pays.

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