Gros plan sur Maung Maung (Fédération des syndicats de Birmanie)

« Des sanctions dans les services financiers et les assurances peuvent toucher la junte sans pénaliser les plus pauvres »

La FTUB (Fédération des syndicats de Birmanie) a tenu son premier congrès en mars dernier. Son secrétaire général, Maung Maung, fait le point sur le mouvement syndical birman et sur l’actualité birmane : sanctions internationales, procès d’Aung San Suu Kyi, élections de 2010, débâcle économique, etc.

Le premier congrès de la FTUB, organisé à Mae Sot (Thaïlande) en mars 2009, est considéré comme un grand succès. Qu’a-t-il apporté à votre organisation?

Après 20 ans de lutte pour une Birmanie démocratique et pour les droits des travailleurs en Birmanie, ce premier congrès était en effet un succès : tout d’abord, nous avons adopté des statuts, basés sur des normes internationales. Ensuite, nous avons pu obtenir la participation de travailleurs et travailleuses venus de l’intérieur de la Birmanie, et les droits des travailleurs ont été largement discutés durant le congrès. Au fil des années, la FTUB a construit un réseau syndical à l’intérieur de la Birmanie. C’est ce qui nous a permis d’obtenir la participation de représentant(e)s de nombreux secteurs comme le textile et la confection, la santé, l’enseignement, l’agriculture, le bois et les services publics.

La FTUB demeure illégale en Birmanie. Comment ces syndicalistes peuvent-ils représenter des travailleurs alors que les activités syndicales sont interdites?

Nous ne sommes pas en position de négocier collectivement de façon officielle, mais les travailleurs et travailleuses peuvent se rassembler et demander à leur employeur le respect de leurs droits, par exemple si des heures supplémentaires ne sont pas payées. Nous sommes déjà contents de pouvoir opérer de la sorte, même si le régime s’oppose à un enregistrement officiel de notre organisation. C’est un mouvement souterrain qui atteint sa vitesse de croisière.

Les représentants des travailleurs ne subissent-ils pas de représailles?

28 militants de la FTUB purgent actuellement de longues peines de prison en raison de leurs activités syndicales. Il y a donc des risques, mais à l’heure actuelle, quand des représentants parlent, tous les autres travailleurs s’assoient derrière eux. C’est une présence physique, un soutien aux représentants. Nous avons connu des cas où un représentant était licencié pour l’un ou l’autre prétexte, par exemple le fait d’être arrivé en retard, mais tous les travailleurs se manifestent alors et disent que s’il est en retard, ils sont tous en retard. Des mouvements collectifs prennent donc forme sur les lieux de travail.

Quelles sont les activités de la FTUB en dehors de la Birmanie?

Notre tâche principale est de sensibiliser aux questions des droits des travailleurs vivant en Birmanie, par exemple via des interviews dans les médias. Nous collaborons avec le mouvement syndical international, tout particulièrement la CSI mais aussi de nombreuses fédérations syndicales internationales. Notre syndicat de marins, le SUB (Seafarers Union of Burma) est ainsi devenu membre de l’ITF (Fédération internationale des ouvriers du transport). Il a souvent travaillé avec des syndicalistes thaïlandais au sujet des navires arborant des pavillons de complaisance qui arrivent dans le port de Bangkok. Le secrétaire général de l’ITF dans la région, Shigi Wada, est allé en Birmanie pour tenter de convaincre les militaires de reconnaître le SUB, sans succès jusqu’ici.

Vous menez également beaucoup d’actions de solidarité pour les migrants birmans…

La FTUB a un secrétariat aux migrants. Près de 2 millions de migrant(e)s birmans se trouvent en Thaïlande, environ 500.000 d’entre eux sont enregistrés. Nous essayons de les sensibiliser au sujet des trafics d’êtres humains. Nous leur disons que quand ils sont dans un pays où ils ont l’opportunité de s’enregistrer, ils devraient le faire, car ça leur permet d’utiliser le système légal et judiciaire du pays hôte. La FTUB essaie aussi de représenter les migrants en justice. En Thaïlande, nous collaborons avec des ONG et la Law Society of Thailand pour offrir cette représentation légale aux migrants. Nous avons gagné plus de 10 procès à l’issue desquels des compensations ont été payées aux migrants, qu’ils soient enregistrés ou non. Ca concerne des cas de salaire impayé, d’accidents de travail, etc. Nous avons par exemple traité le cas d’une jeune travailleuse, Masuu, brûlée à mort par son employeur qui l’accusait de vol. Son assassin, un officier militaire thaïlandais, a été envoyé en prison.Le système judiciaire thaïlandais permet aux migrants de faire valoir leurs droits. Nous avons aussi notre propre école pour les enfants de migrants, à Mae Sot, avec plus de 240 enfants. Elle est soutenue par le syndicat japonais de l’entreprise de communication NTT.

La FTUB essaie par ailleurs d’organiser les migrants birmans, de les affilier aux syndicats du pays hôte car l’unité entre travailleurs migrants et ceux du pays d’accueil est bénéfique pour tous. C’est ce que nous faisons en Thaïlande, en Malaisie où nous avons 50.000 migrants, et nous avons aussi réussi à former deux syndicats de migrants birmans au Japon, enregistrés auprès des autorités en vertu de la législation japonaise.

La FTUB et la CSI appellent à davantage de sanctions économiques internationales contre la junte. Que répondez-vous à ceux qui disent que ces sanctions font plus de tort aux Birmans pauvres?

Il y aura toujours des gens qui sont contre les sanctions, principalement dans le milieu des affaires. Cela dit, les sanctions de l’Union Européenne n’ont aucun impact, ni sur la population, ni sur le régime car elles n’existent que sur le papier. Il n’y a pas de mécanisme d’application au sein des 27 Etats membres de l’Union Européenne. Nous avons par exemple une base de données de tous les produits exportés vers les pays de l’Union Européenne qui montre que les sanctions liées au SPG (système de préférence généralisé) ne sont pas appliquées. L’interdiction de visa européen pour les dirigeants du régime est un signe positif et encourageant sur le plan moral, elle montre au régime qu’il est isolé de la communauté internationale, mais elle n’a pas de grand effet en pratique. C’est très différent aux Etats-Unis, où toutes les douanes et systèmes d’immigration sont sous la coupe d’un seul gouvernement. Les sanctions américaines fonctionnent, et le régime s’en inquiète, au contraire des sanctions européennes.

Nous souhaitons des sanctions qui ont un impact direct sur le régime, par exemple dans le domaine des services financiers. L’Union européenne pourrait interdire au régime birman l’utilisation de l’euro dans les services financiers, comme les Etats-Unis l’ont fait avec le dollar. Un secteur comme l’assurance et la réassurance n’a rien à voir avec les travailleurs des rizières, des usines, etc. Il a par contre un impact sur les avions, les bateaux aux mains des hommes du régime, dont les activités seront bloquées s’il n’y a pas d’assurance : leur bois, les produits de leurs entreprises ne pourront plus être exportés si leurs bateaux ne sont plus assurés. L’assurance est un petit secteur, mais il a un impact sur tous les autres. Nous appelons donc à des sanctions qui se concentrent sur les services financiers et de l’assurance.

Selon certains opposants aux sanctions, elles n’auront pas d’effet tant que la Chine sera l’alliée de la junte, car les généraux continueront à faire du commerce avec elle…

Ce n’est pas totalement correct. Les Chinois sont de bons businessmen, ils ne donnent rien gratuitement aux généraux. Par contre, tout ce qui est exporté en Chine l’est à des prix très bas, inférieurs aux prix internationaux. En dehors de quelques commerçants de la province de Yunnan, le commerce avec la Birmanie est négligeable pour l’économie chinoise, qui est gigantesque. La Chine cherche la stabilité dans la région. Or, tout le monde sait qu’avec un tel régime et avec Aung San Suu Kyi en prison, il n’y aura jamais aucune stabilité. La Chine sait que la Birmanie doit évoluer vers un environnement stable.

Qu’en est-il du procès d’ Aung San Suu Kyi, accusée d’avoir laissé un Américain lui rendre visite à la nage alors qu’elle se trouvait en résidence surveillée ? Cette histoire semble surréaliste, a-t-elle pu se dérouler de la façon présentée par le régime?

Lorsque les avocats d’Aung San Suu Kyi ont demandé à la police s’il y avait des gardes à l’arrière de sa maison, la police n’a pas répondu. Or, elle est supposée garder tous les alentours de sa maison. C’est bizarre… Et puis, l’ex-épouse de cet Américain a dit qu’elle était très étonnée d’apprendre qu’il aurait nagé si loin alors qu’il souffre d’asthme chronique. Pour nager si loin, dans le noir et en transportant des fournitures, il faudrait être un soldat formé aux opérations spéciales, ce que cet homme n’est manifestement pas si l’on regarde sa photo. Nous ne pensons pas qu’il a opéré de lui-même. Nous ne disons pas qu’il est un espion, mais qu’un plan a été établi à son insu. Il peut affirmer avoir agi selon sa propre conscience, mais je pense qu’une autre personne l’a poussé dans cette direction, afin de maintenir Aung San Suu Kyi hors du domaine public, pour l’empêcher de prendre part aux élections de 2010.

Pourquoi la FTUB appelle-t-elle au boycott des élections de 2010?

La raison principale est la Constitution adoptée après le référendum de 2008 organisé deux semaines après le cyclone Nargis, qui a provoqué la mort de plus de 100.000 personnes en Birmanie. Tout le monde pensait que ce référendum serait reporté, mais le régime l’a maintenu. Il n’était ni juste ni libre mais même avant sa tenue, le comité qui a établi le projet de Constitution n’était pas représentatif. Par exemple, Aung San Suu Kyi, notre leader nationale, aurait dû être l’une des personnalités impliquées, mais elle était assignée à résidence durant toute la période de la rédaction de ce projet de Constitution, qui a duré 10 ans ! Le parti d’Aung San Suu Kyi a gagné les dernières élections de 1990. Il était là au début de la discussion sur le projet, mais dès qu’il a commencé à poser des questions, à demander des amendements, on lui a refusé toute participation.

Il y a d’autres problèmes liés à cette Constitution. Les groupes ethniques qui, comme nous tous, veulent un système fédéral en Birmanie, n’ont pas pu en discuter. Et puis, les militaires ont affirmé qu’ils auraient 25% des sièges dans le parlement, sans même se présenter aux élections. La Constitution interdit par ailleurs à toute une série de Birmans de se présenter aux élections : ceux qui ont vécu en dehors de la Birmanie pendant cinq ans ou plus, ceux qui sont mariés à une personne étrangère, ceux qui ont un enfant hors de Birmanie depuis cinq ans ou plus, … Tout ça montre que le régime place dans la Constitution des clauses lui permettant d’interdire à Aung San Suu Kyi de participer aux élections. Il faut des amendements pour autoriser toutes ces personnes à être candidates.

Ne vaut-il pas mieux une mauvaise élection que pas d’élections du tout?

Les généraux actuels n’abandonneront pas leur contrôle du pays. Il n’y a aucune chance qu’un candidat du « moindre mal » soit élu.

Le BIT gère en Birmanie un programme de lutte contre le travail forcé. La FTUB est-elle satisfaite de ce programme?

Nous voudrions que ce programme soit étendu, avec l’ouverture d’un second bureau du BIT dans le pays afin que davantage de personnes puissent rapporter des cas de travail forcé au BIT. La FTUB est satisfaite du bureau actuel : d’une part, ses employés ont essayé de se rendre dans les endroits d’où proviennent les victimes du travail forcé, et d’autre part, il y a plus de gens qui savent qu’ils peuvent interagir avec le BIT. Ils sont encore réticents mais par rapport à l’année dernière, le nombre de personnes qui se plaignent a fortement augmenté. C’est positif car nous devons laisser savoir aux gens que le BIT est là pour eux, qu’ils ont le droit de témoigner.

En septembre 2007, l’augmentation du coût de la vie avaient déclenché les manifestations. Quelle est la situation économique aujourd’hui?

Une personne occupant un poste de direction, qui parle anglais et est diplômé, gagne environ 150.000 kyats par mois (150 dollars au marché noir). Un ouvrier d’usine reçoit environ 30 dollars par mois, mais si on regarde sa fiche de salaire, on remarque que son salaire de base n’est que d’environ 3.500 kyats (3,5 dollars) par mois, puis viennent les heures supplémentaires (environ 5.000 kyats), les salaires du samedi et du dimanche, … En ne travaillant que 8 heures par jour, 5 jour par semaine, vous n’obtenez donc que 3,5 dollars par mois ! Or le riz, la nourriture de base en Birmanie, coûte environ 1 dollar par jour pour une famille de 3 personnes. Si les deux parents ne travaillent pas, il n’y a donc pas moyen d’avoir quelque chose à manger chaque jour.

Beaucoup de personnes n’ont pas d’emploi fixe. Dans la banlieue de Rangoon, une famille se lève tôt, elle prépare la nourriture pour le matin et le midi, puis elle nettoie les plats qu’elle amène avec les couvertures, des vêtements, le filet anti-moustiques chez un individu qui leur donnera de l’argent en échange. Le père se rend à Rangoon avec cet argent pour chercher un travail, la mère et l’enfant attendent son retour. Quand il revient, s’il a suffisamment d’argent pour racheter les choses déposées le matin, ils les récupèrent. Parfois, l’homme ne revient pas car il est honteux de ne pas avoir trouvé de travail en ville. Dans une zone industrielle, il y a un endroit nommé « Lin-Hmaw-Gone » ce qui signifie « endroit où vous attendez le retour de votre mari », car de nombreux habitants se rendent le matin chez le prêteur sur gages local.

La Birmanie dispose pourtant de beaucoup de ressources naturelles…

Nous avons le gaz et le pétrole offshore, nous les vendons à la Thaïlande, nous sommes supposés en vendre à la Chine et à l’Inde, mais où est l’électricité pour la population ? A Rangoon, la nuit, ils doivent alterner l’alimentation électrique entre les quartiers. Les enfants doivent encore étudier à la lueur de la bougie! Nous exportons aussi le meilleur bois dans le monde entier, tout particulièrement en Europe, mais les victimes du cyclone Nargis n’ont toujours pas de maison car ils n’ont pas d’argent pour acheter du bois.

Propos recueillis par Samuel Grumiau