Topic Cluster: Technologie

Si l’innovation technologique a depuis toujours fait partie intégrante du monde du travail, l’Internet a, au cours des vingt dernières années, contribué à une accélération significative et exponentielle du rythme auquel s’opère le changement. Avec l’avènement de l’« Internet des objets », il est prévu que le nombre d’appareils connectés au net atteigne plus de 20 milliards d’ici 2020. En attendant, près de 50% de la population mondiale n’a toujours pas accès au réseau. Alors que les nouvelles technologies intervenant dans le monde du travail dépendent directement ou indirectement de l’Internet, à moins d’un investissement rapide et massif dans la mise en réseau des 50% restants, il faut s’attendre à une augmentation massive des inégalités entre les « info-riches » et les « info-pauvres », avec des conséquences économiques et sociales dramatiques.

« Les avancées technologiques et l’expansion de l’accès à l’internet engendrent tour à tour des opportunités et des défis formidables pour les travailleurs. L’engagement des syndicats dans l’éducation, la formation et l’organisation revêt une importance cruciale dans l’ère de l’Internet. La CSI est engagée en faveur d’une gouvernance de l’Internet qui soit libre de la mainmise de tout gouvernement ou intérêt commercial et qui garantisse la libre circulation des informations, avec une protection forte des données personnelles et de la liberté d’expression, dans le plein respect de l’Etat de droit. »

Déclaration du 3e Congrès mondial de la CSI (Berlin, mai 2016)

Les avancées dans les domaines de la robotique, de la nano- et de la biotechnologie, de l’apprentissage automatique, de l’Internet des objets, de l’impression 3D, de la science des matériaux et dans tout un éventail d’autres domaines engendreront des bénéfices incommensurables pour la société, qui sont d’ores et déjà visibles dans une série de domaines comme la santé et la lutte contre le changement climatique. Dans le même temps, ces avancées auront une incidence profonde sur l’emploi et les travailleurs. Selon certaines estimations, près de 60% des emplois pourraient, à terme, être partiellement automatisés et jusqu’à 10% des emplois intégralement délocalisés. D’autres prévisions font état de répercussions encore plus drastiques. Bien que pratiquement toutes ces études indiquent que les emplois les plus menacés seront les emplois moins qualifiés ou ceux à haute intensité de routine, les professions hautement qualifiées n’échapperont pas aux répercussions.

Le rapport de la Commission syndicale consultative auprès de l’OCDE (TUAC) intitulé La numérisation et l’économie numérique offre un bon aperçu des principaux enjeux, dont une partie sont mis en exergue ci-après. Alors que les effets spécifiques de diverses technologies dans les différents secteurs et professions varient et continueront de varier considérablement, on peut distinguer un certain nombre de tendances globales et de risques clés qui ne sont pas adéquatement traités depuis une perspective globale :

  • La digitalisation entraîne une fragmentation du travail, une fracture dans les relations employeurs-travailleurs et un dumping social, à mesure que des entreprises qui organisent leur travail via des plateformes en ligne (ex. des plateformes de partage comme Uber et des services de travail à la pièce comme Mechanical Turk et UpWork) cherchent à s’étendre et mènent un lobbying efficace en faveur de la dérégulation. Les gouvernements doivent à tout prix s’assurer que ces entreprises sont tenues à des règles, qu’elles contribuent équitablement aux impôts et que les personnes qui travaillent pour elles ont les mêmes droits que les autres travailleurs, notamment à travers des droits transférables en matière de protection sociale, de pension et d’autres prestations ;
  • On voit surgir d’importants écarts de compétences qui limitent le potentiel de substitution des emplois perdus à cause des nouvelles technologies par des nouveaux emplois ayant un plus grand contenu IT, STEM ou service. Pour répondre à ces déficits de compétences, il convient de recourir à des systèmes d’éducation et de formation qui soient en adéquation avec l’évolution du travail dans l’ère numérique ;
  • Une dépendance accrue à une production et à des services numériquement gérés sous-entend des niveaux élevés de cyber-sécurité, pour protéger les systèmes et prévenir les dysfonctionnements. De là surgissent des défis particuliers à l’heure d’assurer que les droits des travailleurs ne sont pas enfreints et que les écarts de compétences croissants dans ce domaine sont comblés ;
  • Pour un nombre croissant de travailleurs, le « lieu de travail sous surveillance totale », avec des contrôles incessants et intrusifs qui s’étendent dans certains cas au-delà du lieu de travail et jusque dans la vie privée des travailleurs est devenu une réalité et donne aux employeurs un contrôle sans précédent. Certaines entreprises ont aussi recours aux techniques dites d’ingénierie sociale vis-à-vis de leurs salariés, pour maximiser la productivité et les profits, toutefois sans leur offrir d’augmentations salariales proportionnelles, ni de protections contre le surmenage et le stress. Ceci nous renvoie à la problématique plus générale des droits des personnes relatifs aux données les concernant, a fortiori quand une poignée de sociétés spécialisées dans les « métadonnées » se consolident et étendent leur influence ;
  • Le brouillage des lignes entre vie privée et vie professionnelle est aussi devenu une réalité pour un grand nombre de personnes, avec une disruption de l’équilibre vie/travail et fréquemment aussi des heures supplémentaires non compensées, a fortiori dans le domaine du travail mobile ;
  • Souvent, les normes de santé et de sécurité professionnelle et publique ne sont pas suffisantes ou suffisamment bien appliquées lorsque des systèmes automatisés sont déployés. Ceci est dû, d’une part, au recours fréquent à des algorithmes insuffisamment testés et, d’autre part, au fait que de nouveaux matériaux sont utilisés dans les processus de production ;
  • Il existe un écart hommes-femmes prononcé dans le secteur des technologies de l’information en particulier, où les femmes n’occupent approximativement qu’un quart des postes ; Cet écart se creuse là où de « vieux » emplois sont remplacés par de « nouveaux » emplois à plus fort contenu technologique, où la probabilité qu’ont les femmes par rapport aux hommes de trouver un « nouvel » emploi peut être aussi faible que 20%. Ce problème réclame une attention urgente, y compris à travers l’éducation et la formation, des mesures anti-discrimination et des prestations de maternité ;
  • Les limites du recours aux algorithmes et le préjudice potentiel pouvant en découler, dû notamment à l’intervention humaine pratiquement nulle, deviennent de plus en plus apparentes. UNI Global Union appelle à l’établissement d’une convention internationale concernant l’exploitation, le développement et le déploiement éthique de l’intelligence artificielle, des algorithmes et des métadonnées http://www.thefutureworldofwork.org/stories/uni-global/global-convention-on-ethical-ai/ ; et
  • Des développements tels que le déploiement de la « chaîne de blocs » (blockchain) ou de technologies de registre distribué par des entreprises de divers secteurs sont susceptibles d’avoir des impacts potentiellement considérables sur la manière dont les entreprises opèrent, de même que sur la nature des emplois futurs. Les syndicats se doivent d’accroître leur compréhension des effets et des applications possibles de tels systèmes, tant en termes de l’évolution du travail que de la manière dont les syndicats les exploitent pour atteindre et organiser les travailleurs.

Tous les travailleurs doivent jouir des droits fondamentaux que sont la liberté syndicale et la négociation collective, la protection contre la discrimination, l’exploitation et le travail dangereux, la garantie d’un salaire minimum vital et la protection sociale dans le nouveau monde du travail. Les plateformes en ligne, en particulier, doivent être tenues d’assurer que la protection sociale au même titre que les autres droits des travailleurs sont garantis, et que leurs droits sont respectés.

Le rapport de la TUAC « Digitalisation and the Digital Economy » (La numérisation et l’économie numérique) énonce les principes-clés pour une « transition numérique juste ». Ceux-ci incluent :

  • La recherche et l’évaluation anticipée des impacts sociaux et de l’emploi
  • Le dialogue social et la consultation démocratique des partenaires sociaux et des parties prenantes
  • Des politiques actives de marché du travail et la réglementation, y compris la formation et le développement des compétences
  • La protection sociale, y compris l’accès garanti à la pension
  • Renouvellement communautaire et plans de diversification économique
  • Des investissements sensés conduisant à des emplois de qualité et décents.

Accomplir une transition numérique juste relèvera du défi, d’autant que nombre de gouvernements ne semblent aucunement disposés à assurer une régulation adéquate de l’économie numérique, ni à protéger et promouvoir les droits des travailleurs au dialogue social et à la négociation collective. Relever ce défi sera essentiel pour assurer les bienfaits sociaux et économiques maximums de la numérisation et éviter une mêlée générale corporatiste dystopique, avec toujours plus d’inégalité, d’insécurité et d’exploitation.