Le sommet des ODD et l’Agenda 2030 pour le développement durable

Par Matt Simonds

Les dirigeants des États membres des Nations Unies s’apprêtent à adopter le cadre de développement durable de l’après-2015 (dorénavant, Agenda 2030 pour le développement durable) lors de l’Assemblée générale des Nations Unies, en septembre 2015. Au terme d’un processus long et parfois difficile pour mettre au point et approuver ce cadre, auquel le mouvement syndical a participé activement, le Sommet de l’après-2015 qui se tiendra en septembre sera très certainement considéré comme un événement historique. Les raisons de se réjouir ne manquent pas, non seulement parce qu’un accord a effectivement été conclu, ce qui marque une victoire du multilatéralisme en général, mais aussi parce que cet accord représente l’aboutissement des efforts des gouvernements pour s’ouvrir à la diversité en laissant s’exprimer la société civile et d’autres acteurs non étatiques et non dirigeants dans un accord international. Il serait juste de dire que tout cela transparaît dans le niveau d’ambition qu’affichent les éléments fondamentaux du cadre de développement durable. Cela étant, quelques réserves et préoccupations subsistent.

Les objectifs et les cibles de développement durable (ODD) sont ambitieux, comme en témoignent de manière convaincante le préambule et la déclaration, qui appellent à l’action pour réaliser un programme immense et complexe. Mais là où le cadre de l’après-2015 manque peut-être d’ambition, c’est dans sa volonté de mettre en œuvre les ODD par le financement et une politique publique progressiste, et par un système de responsabilisation sain.

Il convient de signaler à ceux qui n’ont pas participé activement aux négociations intergouvernementales de l’an passé que les objectifs et les cibles de développement durable adoptés l’année dernière par le Groupe de travail ouvert (GTO) ont été plus ou moins maintenus. Il y a certes eu quelques petites modifications occasionnelles, en aucun cas futiles, mais qui n’étaient pas suffisamment significatives pour diminuer l’ambition globale des ODD. Le préambule et la déclaration du cadre de l’après-2015 vont de pair avec la volonté définie dans les objectifs et les cibles et constitueront un outil fédérateur utile pour solliciter le soutien de publics plus larges en faveur du programme. Il faut souligner que les objectifs généraux du mouvement syndical – plein-emploi productif, travail décent pour tous et protection sociale universelle, droit humain à l’eau et à l’assainissement, éducation de qualité gratuite et universelle, soins de santé pour tous, égalité entre les sexes, réduction des inégalités de revenus – sont pour la plupart pris en compte de manière satisfaisante dans la déclaration, les ODD et les cibles.

Le mouvement syndical accueille favorablement tous les objectifs des ODD, mais est particulièrement attaché à la réalisation des objectifs et des cibles suivants: mettre fin à la pauvreté sous toutes ses formes (ODD 1), en mettant l’accent sur la cible relative à la protection sociale (1.3); garantir un enseignement de qualité (ODD 4) et privilégier toutes les cibles y afférentes; parvenir à l’égalité des sexes (ODD 5), avec un intérêt particulier pour les cibles qui concernent la valorisation des soins et travaux domestiques non rémunérés par l’apport de services publics, d’infrastructures et de politiques de protection sociale (5.4), et les femmes dirigeantes (5.5); promouvoir le travail décent pour tous (ODD 8) et toutes les cibles qui y sont associées; réduire les inégalités (ODD 10), en favorisant la cible consacrée aux politiques budgétaires, salariales et de protection sociale (10.4); permettre un accès à la justice et à l’État de droit (ODD 16), en cherchant notamment à protéger les libertés fondamentales (16.10).

Toutefois, nous sommes moins enthousiastes à l’égard du système de soutien des ODD destiné à les mettre en œuvre et à suivre efficacement leur évolution. Les moyens de mise en œuvre* risquent de faire l’objet d’une certaine confusion et de dissensions dans les années à venir, notamment sur la manière dont les différents pôles d’influence au sein des Nations Unies interpréteront cet accord international. Il existe en effet des divisions sur les éléments qui seront utilisés comme moyens de mise en œuvre des ODD.

Les ODD mis au point par le GTO et approuvés par l’Assemblée générale en septembre 2014 comportaient un objectif spécifique (ODD 17) et diverses cibles sur les moyens de mise en œuvre propres à chaque objectif. Récemment, en outre, le Programme d’action d’Addis-Abeba a été adopté à la troisième Conférence internationale sur le financement du développement (lire la réaction syndicale). Il existe des désaccords entre les membres des Nations Unies sur le lien entre le Programme d’action d’Addis-Abeba et le cadre de l’après-2015: les pays de l’OCDE souhaitent en grande partie que le Programme d’action soit utilisé dans son intégralité comme moyen de mise en œuvre des ODD, tandis que les pays du G77 préfèrent privilégier l’objectif de mise en œuvre des ODD et les cibles correspondantes qui avaient été approuvés précédemment.

Du point de vue du mouvement syndical, ni l’objectif de mise en œuvre ni le Programme d’action d’Addis-Abeba ne sont particulièrement convaincants, parce qu’ils ne sont pas assez cohérents, ou pas assez concrets. Néanmoins, le Programme d’action est moins à même de soutenir le cadre de l’après-2015 et devrait simplement être considéré comme un accord international distinct avec son propre processus de suivi. Cela dit, en réalité, il se peut que la différence importe peu au moment de la véritable mise en œuvre, et il sera plus important de veiller à ce que les gouvernements et toutes les parties concernées soient reconnus comme responsables, en définitive, des engagements pris dans le cadre de l’après-2015. À cet égard, le processus de contrôle et de responsabilisation est fondamental.

Le processus de suivi et d’examen ainsi dénommé procède d’une intention complètement volontaire, depuis le niveau national jusqu’au niveau mondial. Nous avons l’impression que beaucoup de choses peuvent encore être accomplies grâce à un ensemble d’indicateurs novateurs englobant tous les aspects, qui seront conçus pour évaluer les progrès accomplis au niveau mondial, mais nous pensons que les gouvernements auraient pu atteindre un degré d’ambition plus élevé, en particulier en matière de suivi et d’examen, en faisant appel à des engagements contraignants basés sur les normes internationales existantes. Pour le mouvement syndical, c’est regrettable. La responsabilisation mondiale est indispensable pour garantir une gouvernance plus juste et plus équitable du développement, qui assure à son tour une meilleure cohérence politique pour le développement. Le contrôle obligatoire, à défaut d’engagements contraignants, permettrait au moins d’assurer que le comportement des acteurs contribue favorablement à la totalité des objectifs.

Cependant, peut-être parce que les modalités de suivi et d’examen n’ont pas l’obligation stricte de rendre des comptes, il subsiste une part de flexibilité et de capacité à influencer l’ensemble du processus. Par exemple, le Forum politique de haut niveau, qui est l’organe principal chargé de l’examen au niveau mondial, est censé être un organe supérieur qui regroupe les mécanismes de contrôle et de responsabilisation existants. C’est là que le cadre de l’OIT peut servir d’exemple «vivant» pour montrer comment les mécanismes de responsabilisation peuvent fonctionner depuis le niveau mondial jusqu’au niveau national et aussi, ce qui est plus important, comment ils peuvent être intégrés à l’ensemble des évaluations des progrès accomplis. De la même manière, le système de contrôle de l’OIT peut être utilisé pour atteindre des objectifs et des cibles appropriés.

De façon similaire, nous devons continuer d’insister pour faire en sorte le processus d’examen soit véritablement participatif au niveau national. À cet égard, le dialogue social, qui réunit les partenaires sociaux, les organisations d’employeurs et de travailleurs, est un excellent exemple de la manière de garantir l’appropriation des processus politiques au niveau national et devrait être utilisé et encouragé à chaque fois que c’est possible.

Il est également extrêmement important que le processus de suivi et d’examen adopte des instruments visant à reconnaître la responsabilité des entreprises à tous les niveaux. Au cours des négociations, le mouvement syndical s’est dit préoccupé par le fait que l’intérêt principal de la participation des entreprises au développement soit lié à l’investissement dans les infrastructures, à l’aide apportée par les partenaires privés et à une promotion systématique des PPP. Des critères sans réserve sont nécessaires pour garantir que l’intervention du secteur privé est effectivement compatible avec l’intérêt public, en particulier lorsque des ressources publiques sont utilisées pour soutenir le secteur privé. Par conséquent, le mécanisme de suivi et d’examen doit également évaluer la contribution du secteur privé aux objectifs de développement durable, en respectant notamment les normes relatives à la main-d’œuvre internationale et à l’environnement.

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* Les « moyens de mise en œuvre » se rapportent à la fois aux ressources financières et aux ressources non financières disponibles pour mettre en œuvre les objectifs et les cibles. Il peut s’agir, par exemple, de l’Aide publique au développement (APD) ou de l’investissement direct à l’étranger (moyens financiers), ou de politiques macroéconomiques favorables à l’emploi ou de la législation qui donne aux femmes un accès égal aux ressources économiques (moyens non financiers).