La cohérence des politiques et les traités commerciaux

Par Santiago González Vallejo (USO-SOTERMUN)

Tout le monde s’accorde à dire que les budgets consacrés à la coopération au développement sont marginaux par rapport aux flux économiques que produisent les échanges commerciaux, les investissements et même le rapatriement des salaires des migrants.

Il est donc primordial que nous nous concentrions sur les causes de la pauvreté et des inégalités, et que nous établissions une politique de développement qui s’y attaque. C’est au fond ce que devrait signifier le changement de paradigme qu’implique le passage des objectifs du Millénaire pour le développement, sectoriels et axés sur les pays appauvris, aux objectifs de développement durable qui se veulent universels – pour le monde entier – et communs – pour toute la population. Ce nouveau modèle prévoit que tous les pays doivent définir de quelle façon ils comptent pallier leurs faiblesses, et que toutes et tous peuvent exiger la réalisation de ces objectifs.

Au niveau du monde du travail, les travailleurs et les syndicats ont toujours réclamé que les traités commerciaux contiennent des clauses sociales et environnementales. C’est pour nous une façon d’établir des « bases » et d’améliorer les normes du travail.
Actuellement, d’un côté comme de l’autre des océans, que ce soit entre l’Union européenne et les États-Unis (Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement, TTIP), ou entre ces derniers et les pays du Pacifique (Alliance Transpacifique, TPP), ou entre pays asiatiques (Coopération économique pour l’Asie-Pacifique, APEC), etc. l’objectif est de créer des blocs commerciaux sans aucune entrave au développement des échanges (et des investissements et des flux de capitaux). Le prix déterminerait ainsi la compétence.

Et peu importe la façon dont se passe la production ou la distribution le long de la chaîne de production, ou encore la façon dont on répartit les bénéfices le long de cette chaîne. Il faut baisser les taxes douanières, libéraliser les investissements et les flux de capitaux, contourner l’Organisation mondiale du commerce, et éviter tous mécanismes de compensation, de contrôle et de participation. Il faut aussi éluder la question des paradis fiscaux et de l’évasion fiscale des sociétés multinationales. Les personnes qui négocient de tels accords répètent que sur bien des points, ils respecteront les normes et les règlements nationaux de toutes les parties, en ce compris les clauses relatives au travail.

Quant au lien entre les éléments économiques et le monde du travail, il y a toujours des études contradictoires qui indiquent une augmentation ou une diminution du nombre total d’emplois, avec des résultats très divergents d’un secteur ou d’une région à l’autre, à court et à moyen termes. Peu d’études, voire aucune, s’intéressent à l’amélioration ou à la détérioration des conditions de travail une fois ces accords en vigueur et pleinement appliqués.

Pourtant, avec ces lois du plus fort, le commerce n’engendre qu’une hausse des inégalités selon que l’entreprise, le secteur ou même la région sont spécialisés dans des produits ou des services qui profitent d’une plus forte demande parce que « différents », rares, précieux, nécessitant des compétences professionnelles, etc. ou, au contraire, dans des produits homogènes, identiques, confectionnés à grande échelle, etc.

C’est pour ces raisons qu’il faut établir des « bases » normatives, les conventions fondamentales de l’OIT, mais aussi réclamer le travail décent et le dialogue social pour parvenir à de meilleures normes dans tous les pays. De plus, l’empressement des gouvernements à créer un réseau d’accords commerciaux, sans avoir consolidé dans le même temps les normes sociales et du travail, implique qu’ils encouragent une concurrence « déloyale » qui détricote les conditions de travail dans tous les pays, y compris dans les nations développées. Celles-ci pourraient bien ne pas être concurrentielles dans bien des secteurs, car les prix de nombreux produits, qui peuvent librement accéder à leur marché, pourront être déterminés dans d’autres régions où les coûts de la main-d’œuvre (parce qu’il n’y a pas de négociation collective, par exemple) ou environnementaux seront inférieurs. Certes, ce type de dumping a toujours existé, mais la mondialisation et les pratiques qui y sont associées (la fraude fiscale des multinationales, la facilité du transport, le développement des échanges commerciaux) l’ont aggravé et ont accentué les effets néfastes du commerce.

Par exemple, nous pouvons nous intéresser au déséquilibre en termes de ratification d’un côté et de l’autre de l’Atlantique, entre l’Union européenne et les États-Unis, des conventions de l’Organisation internationale du Travail (OIT). Les États-Unis n’ont pas ratifié six des huit conventions fondamentales de l’OIT, dont celles ayant trait à la liberté syndicale (n° 87) et à la négociation collective (n° 98), et n’ont ratifié que 14 des 189 conventions internationales actuelles. À l’inverse, tous les pays de l’Union européenne ont ratifié les huit conventions fondamentales et l’Espagne, par exemple, a ratifié 133 des 189 conventions en vigueur.

Qu’implique l’absence de négociation collective ou de syndicats dans une compagnie aérienne ? Quelle est la valeur de ses billets ? Quels seraient les effets sur une entreprise qui répond à toutes les meilleures normes du travail ? Où Fiat implantera-t-elle sa maison-mère et sa production et à qui bénéficiera la vente de l’un de ses véhicules ? Que fera Apple de tous les bénéfices produits dans 190 pays, où la société ne paie aucun impôt et où elle choisit aux enchères – inversées – les usines de montage de ses appareils ? Tous les actionnaires et les gestionnaires de fonds se moquent de nous.

Les chefs d’entreprise européens devraient être les premiers à plaider pour que les États-Unis ratifient ces conventions fondamentales dans le cadre de ce futur traité Union européenne/États-Unis. De notre point de vue, s’ils ne le font pas – adoptant la même attitude que les gouvernements –, c’est qu’ils espèrent à moyen terme, au nom d’une concurrence basée sur les prix, une déréglementation à la baisse des normes européennes.

Les paroles que Cecilia Malmström, la Commissaire européenne au Commerce, a prononcées au Parlement européen sur le sujet sont instructives : « Quant aux droits du travail, il n’y a pas d’harmonisation complète en Europe. On y retrouve différentes règles, mais une société étrangère qui fait des « affaires » en Europe doit suivre les lois européennes, les lois nationales et, nous, quand nous sommes aux États-Unis, nous respectons les règles américaines. Nous allons harmoniser tout cela. Ce que nous tentons d’obtenir lors de toutes les négociations, c’est que tous les autres pays ratifient les huit conventions fondamentales de l’OIT. Comme vous l’avez dit, les États-Unis en ont ratifiées deux et deux autres sont déjà plus ou moins incluses dans leur législation nationale. Nous allons voir si nous pouvons progresser pour les quatre autres. Il ne s’agit pas de leur faire ratifier le texte des quatre autres conventions, mais de progresser au niveau de leur esprit. »

Vu le scepticisme à ce propos, cette position accommodante en faveur des « affaires » est inacceptable. Il n’est pas suffisant que ce traité ou un autre parle de « travail décent », une soi-disant concession aux syndicats qui, à défaut de trouver un éventuel écho dans les normes en vigueur, en dévalue le principe.

L’OCDE, l’institution réunissant les pays plus riches, bénit ces accords et a toujours cherché à développer les échanges commerciaux, à accroître la « flexibilité du marché du travail » et à amplifier la libre circulation des flux de capitaux. Dans le même temps, depuis 50 ans que l’Organisation existe, tout le monde a conscience de l’absence de liberté syndicale et de l’impossibilité de négocier collectivement dans plusieurs pays de ce club, au même titre que de son indifférence normative face à la fraude fiscale des sociétés multinationales et à l’existence de paradis fiscaux parmi certains de ses propres pays membres qui appliquent des taux d’imposition sur mesure.

Pour résumer, ces accords n’encouragent pas une harmonisation à la hausse des droits sociaux et des réglementations environnementales favorables aux travailleurs, aux consommateurs et aux citoyens, qu’ils vivent en Europe, aux États-Unis ou en Malaisie. Leurs contenus pourront s’appliquer à d’autres accords commerciaux du monde par un effet domino et porteront ainsi préjudice aux autres citoyens de cette planète, encourageant un capitalisme mondial qui accorde davantage de puissance aux multinationales et moins de droits et de capacités d’intervention à la population. C’est pour ces raisons que nous les refusons. Parce que les « affaires » passent après les êtres humains.