Gros Plan sur Ida Le Blanc (Syndicat des travailleurs domestiques –Trinidad)

« Les domestiques sont des travailleuses comme les autres »

« Les domestiques sont des travailleuses comme les autres »

Bruxelles, le 14 novembre 2007: Amélioration salariale, aide juridique, formation… le Syndicat national des employés domestiques (1) de Trinidad et Tobago a obtenu quelques avancées. Il reste toutefois bien du chemin avant de faire admettre aux employeurs et aux législateurs que les travailleuses domestiques doivent jouir des mêmes droits que les autres, nous explique Ida Le Blanc, secrétaire générale de ce syndicat.

Quels sont les principaux problèmes des travailleurs et travailleuses domestiques à Trinidad et Tobago ?

Le plus grand problème réside dans la non-reconnaissance en tant que travailleur. Toutes les personnes qui travaillent dans ou autour d’une maison et qui sont payées par le propriétaire de la maison sont exclues de notre principale législation du travail, la Loi sur les relations professionnelles. Ceci nous prive donc du droit d’organiser légalement les travailleuses domestiques et de négocier collectivement en leur nom. Les travailleuses domestiques, les chauffeurs, les jardiniers, les « hommes à tout faire » ne sont donc pas couverts par cette loi, ils n’ont pas le droit de négocier collectivement. C’est une grande injustice pour les plus de 10.000 travailleuses domestique de Trinidad et Tobago. Si par exemple une travailleuse domestique est employée durant 20 ans par une famille et que celle-ci la licencie du jour au lendemain, la travailleuse n’a aucun recours, que le licenciement soit juste ou pas. La Plate-forme d’action de Pékin(2) prévoit que toutes les travailleuses doivent avoir un recours en cas de problème. Notre gouvernement a ratifié la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, mais il prive les travailleuses domestiques de leurs droits, ce qui est contraire à la Convention.

Quels sont les autres problèmes ?

Si le gouvernement incluait les travailleuses domestiques dans la loi sur les relations professionnelles, cela réduirait tous les autres problèmes également. Par exemple, puisque ces travailleuses ne sont pas officiellement reconnues comme telles, elles sont ne sont pas couvertes par la Loi sur la santé et la sécurité au travail. Une travailleuse domestique s’est plainte auprès de notre syndicat après avoir contracté une maladie contagieuse sur son lieu de travail, en s’occupant du mari de son employeuse, un homme assez âgé. Elle a dû rester chez elle, tout en craignant que ses propres enfants contractent à leur tour la maladie, mais lorsqu’elle a demandé de bénéficier des jours de congé auxquels elle avait droit, elle a été licenciée. La santé et la sécurité de tout citoyen ne devraient-elles pas être considérées comme importantes ? Les travailleuses domestiques dénoncent aussi le fait que quand elles se renseignent au sujet du système d’assurance nationale, l’autorité gestionnaire de cette assurance entre en contact avec l’employeur, et que celui-ci les licencie immédiatement, sans le moindre recours.

Récemment, une travailleuse domestique m’a expliqué qu’elle avait travaillé durant six ans pour une femme qui lui avait promis de la déclarer auprès de cette assurance nationale. La travailleuse domestique approchait des 60 ans, l’âge de la pension, et lorsqu’elle a constaté que sa patronne n’avait entrepris aucune démarche, elle est allée elle-même auprès de l’administration de cette assurance, qui est entrée en contact avec l’employeuse pour lui signaler qu’elle devait un arriéré de six années de contributions à cette assurance. L’employeuse est entrée en colère et a immédiatement licencié cette travailleuse domestique. Celle-ci n’avait aucun recours car elle n’est pas une travailleuse selon la loi.

C’est à ce genre de difficulté que les travailleuses domestiques sont confrontées chaque jour. Il n’y a pas de législation concernant les allocations lorsqu’une travailleuse domestique atteint l’âge de la pension, ni au sujet d’indemnités en cas de licenciement. Certaines travaillent pendant 20-25 ans pour un employeur et lorsqu’elles atteignent l’âge de la pension, elles ne reçoivent rien. Nous avons créé notre syndicat pour lutter afin d’aligner les travailleurs domestiques sur tous les autres travailleurs, pour obtenir leur protection par la législation du travail.

Quels services offrez-vous à vos membres ?

Outre leur représentation sur un plan général, nous organisons au moins quatre programmes de formation par an, appelés « Travailleurs, connaissez vos droits », afin de leur apprendre leurs droits légaux. Nous leur expliquons les évolutions sur les plans national et international, les nouveaux développements dans le monde du travail.

Nos membres ne sont pas limités aux travailleuses domestiques. Depuis 1992, nous incluons aussi des travailleurs d’autres domaines, par exemple ceux qui sont couverts par la loi sur le salaire minimum mais qui sont trop vulnérables ou isolés pour s’affilier à un syndicat majoritaire. Nous les rassemblons chaque mois pour qu’ils puissent partager leurs revendications avec d’autres travailleurs confrontés à des difficultés similaires.

J’ai représenté des travailleuses dans de nombreux procès, avec beaucoup de victoires, mais uniquement dans des affaires de violations des droits liés à la protection de la maternité et au salaire minimum, qui peuvent être jugées par un conseil de prud’hommes. Nous représentons gratuitement nos membres lors de conflits du travail auprès du ministère du Travail et de conseils de prud’hommes, mais les travailleurs qui s’affilient uniquement pour bénéficier de ces services doivent nous verser 10% des compensations obtenues en cas de victoire. C’est ce qui permet au syndicat de continuer car les cotisations sont vraiment très petites en raison du type de travailleurs que nous représentons.

Nous menons également du lobbying afin de modifier la législation du travail pour qu’elle protège tous les travailleurs. L’une de nos victoires est d’avoir obtenu du gouvernement qu’il amende la loi sur le salaire minimum, qui s’applique désormais aux travailleuses domestiques, ce qui leur donne aussi des droits comme le paiement des jours de congés publics, des congés de maladie et de maternité. Le problème est que cette loi n’est pas appliquée efficacement par les inspecteurs du travail. Elle nous permet cependant d’aller devant les tribunaux pour représenter les travailleurs domestiques en cas de violation de la loi sur le salaire minimum. Nous avons obtenu que les violations de cette loi soient traitées par les tribunaux du travail, où nous pouvons représenter les travailleurs. Avant, nous n’avions pas les fonds nécessaires à payer des avocats pour les représenter devant les tribunaux généraux.

Quel est le salaire des travailleuses domestiques à Trinidad ?

Le salaire minimum est de 9 dollars de Trinidad par heure (1,4 US dollars), mais beaucoup reçoivent bien moins. Cette attitude des employeurs renforce la pauvreté de notre pays, d’autant que ces travailleuses domestiques passent la plupart de leur temps dans la maison des employeurs, prenant soin de la famille de leur employeur alors que leur propre famille, leurs enfants, restent chez elles parfois sans surveillance. On peut établir un lien entre cette situation et l’augmentation de la criminalité dans le pays car tous ces jeunes qui grandissent sans surveillance peuvent, à terme, contribuer à une hausse de la criminalité.

Les travailleuses domestiques se plaignent par ailleurs de ne pas être payées pour leurs heures supplémentaires. C’est particulièrement le cas de celles qui dorment chez leurs employeurs, elles se plaignent de devoir êtres disponibles 24 heures sur 24.

L’emploi de personnel domestique est-il réservé aux Trinidadiens qui ont un revenu élevé ?

Le Premier ministre, tous les parlementaires, des gens de toutes les classes sociales ont des travailleuses domestiques. C’est notre plus grand problème car ces employeurs ne considèrent pas qu’il est de leur intérêt de pousser une cause comme celle-là. C’est pour ça que nous ne restons pas dans le local de notre syndicat, que nous menons campagne dans des lieux publics où des milliers de personnes passent chaque jour. Certains employeurs sont des juges qui violent eux-mêmes les droits de leurs travailleuses domestiques. Quand nous découvrons ce genre de cas, les employeurs préfèrent payer directement ce qu’ils doivent à la travailleuse domestique car ils ont peur que nous les dénoncions publiquement. Mais certains employeurs sont aussi des enseignants, des infirmières, bref des gens de la classe moyenne qui dépendent des services de leurs employées domestiques mais qui n’ont pas peur de la pression médiatique. Il est difficile de négocier avec ces employeurs de la classe moyenne, qui jouent sur le fait qu’il n’existe pas de loi permettant aux travailleuses domestiques de chercher réparation en cas par exemple de licenciement abusif. Il y a aussi toutes ces travailleuses domestiques qui « aident » leurs amis et voisins, eux-mêmes employés en ne touchant que le salaire minimum, et qui leur donnent un « petit quelque chose » quand ils reçoivent leur paie. Le Gouvernement doit intervenir de la part des ces travailleuses domestiques pour leur assurer des conditions de vie normales.

Il existe également de bons employeurs, qui appellent le syndicat pour s’informer par exemple sur le salaire qu’ils devraient offrir à leur travailleuse domestique, sur les lois concernant leur sécurité sociale. Nous poussons les travailleuses domestiques à apprendre aux employeurs leurs responsabilités envers elles.

Beaucoup de syndicats éprouvent des difficultés à organiser les travailleuses domestiques, entre autres parce qu’il est difficile de les contacter. Quelles sont vos recettes ?

Nous essayons d’aller dans toutes les zones où des travailleuses domestiques sont employées, de leur donner des brochures, de parler avec elles de leurs droits. La principale façon de les contacter demeure cependant de passer par les médias. A chaque fois que nous parlons de leurs problèmes dans les médias, nous recevons des coups de téléphone d’employées domestiques qui viennent s’informer. Notre gros problème est de les maintenir affiliées : plus de 800 travailleuses domestiques sont déjà passées par notre syndicat, mais la plupart ne restent pas affiliées très longtemps. Nous ne savons pas vraiment pourquoi, même s’il est certain que nous manquons de fonds pour mener énormément d’activités en leur faveur. Sur nos 500 membres, environ 120 sont des travailleuses domestiques. Elles cachent leur affiliation syndicale à leurs patrons car elles craignent d’être licenciées.

Des enfants sont-ils travailleurs domestiques ?

Oui, même si ce n’est pas aussi visible que dans d’autres secteurs. Dans la plupart des cas, la petite fille travailleuse domestique n’est même pas engagée car elle ne reçoit qu’un abri et de la nourriture… Cela se passe principalement dans le voisinage, ou dans un environnement familial, mais cela demeure du travail des enfants.

Y a-t-il des migrants travailleurs domestiques à Trinidad et Tobago ?

Beaucoup de Trinidadiennes travaillent comme domestiques aux Etats-Unis. A Trinidad, nous avons des migrantes des plus petites îles : Trinidad est supposée être un pays riche car nous avons le pétrole et le gaz naturel, beaucoup viennent donc de Grenade, du Guyana ou d’autres îles pour améliorer leur situation économique. Ces travailleuses domestiques migrantes dorment généralement chez leur employeur. Un jour, une travailleuse domestique du Guyana est venue nous trouver car elle avait été licenciée et n’avait plus d’endroit où dormir. Il faudrait un centre pour abriter les travailleurs migrants dans ce genre de situation.

On parle de la possibilité d’une nouvelle convention de l’OIT qui concernerait le travail domestique. Une telle norme vous aiderait-elle ?

Oui, une convention de l’OIT serait très certainement une forme de reconnaissance que les travailleuses domestiques sont bel et bien des travailleuses et qu’elles devraient être traitées comme telles. Nous pourrions utiliser une nouvelle norme internationale comme un outil puissant pour mettre la pression envers les gouvernements de pays en développement. On atteint plus vite son but quand on peut s’appuyer sur des connections internationales. Ceci dit, une pression internationale ne se sera pas efficace si elle ne s’accompagne pas d’un lobby national.

Propos recueillis par Samuel Grumiau


(1) National Union of Domestic Employees, member du National Trade Union Center of Trinidad and Tobago, l’une des deux affiliées de la CSI dans ce pays.
(2) La Plateforme d’action de Pékin est un texte fondamental dans l’histoire de la lutte pour les droits des femmes. Adopté dans la foulée de la Conférence des Nations Unies sur les femmes de 1995 à Pékin, ce texte identifie les problèmes majeurs pour les femmes dans le monde et proposes des mesures pour y remédier.


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