Gros plan sur Mariama Dioulde Diallo (Union des teinturières -Guinée)

« Nous les femmes, nous n’avons aucun droit »

« Nous les femmes, nous n’avons aucun droit »

Bruxelles le 8 novembre 2007 : Début 2007, la mobilisation sans précédent de la population par le mouvement syndical et la société civile a permis d’engager le pays sur la voie de réformes démocratiques. À cette occasion, les femmes de l’économie informelle ont apporté une contribution décisive à la lutte syndicale. Fondatrice de plusieurs coopératives et militante syndicale à Dalaba, Mariama, 47 ans, 5 enfants, exposent les discriminations dont sont victimes les femmes guinéennes et le soutien que le mouvement syndical peut apporter aux femmes de l’informel.

Pourquoi votre association vient-elle de s’affilier à la CNTG ?

Tout est parti des événements du début d’année. Quand il y a eu cet appel à la grève générale, nous n’avons pas hésité un seul instant. Pourtant, c’était une première. Jusque-là, nous pensions que la grève, cela ne concernait que les fonctionnaires, les enseignants et les transporteurs. Mais il y avait un tel ras-le-bol face à la pauvreté, à la corruption. Ici aussi, loin de la capitale, c’était perceptible dans la population. C’est la grève, cette solidarité entre tous ceux qui souffrent, qui nous a ouvert les yeux. Rendez-vous compte : même notre iman nous a encouragées à poursuivre la grève, tant la population est accablée par la pauvreté.

Comment se sont passés les contacts avec les syndicalistes ?

Cela s’est fait tout naturellement peu de temps après la grève générale. La CNTG au travers de ses structures locales nous a invitées à des réunions de sensibilisation. Le syndicat nous a contactées alors que nous étions déjà bien organisées, nous sommes par exemple déjà représentées à la chambre de commerce locale. Mais cela ne suffit pas. Nous en sommes bien conscientes maintenant, tant au niveau local que national, le syndicat est mieux armé pour défendre nos intérêts. Les militants de la CNTG nous ont expliqué en détail son mode de fonctionnement, les garanties d’équité dans la représentativité des membres. Pour l’instant, on se contente d’observer et d’écouter, mais nous sommes bien décidées à avoir notre mot à dire.

Comment est né ce désir de s’associer avec d’autres femmes il y a plus de 20 ans ?

C’est surtout lié à une grande frustration. J’aurais beaucoup aimé poursuivre mes études au-delà du bac, comme mes frères par exemple. Mais c’était et c’est encore très difficile pour une femme dans ce pays. Jeune fille, mes parents ont voulu m’imposer un mariage que je ne voulais pas. J’avais le « choix » entre deux prétendants : un cousin et un commerçant. Je n’en voulais pas et j’ai été battue. C’est toute une histoire, mais qui m’a profondément marquée. Je ne veux pas avoir à tendre la main toute ma vie. Heureusement, le mari que j’ai choisi d’épouser à 18 ans est compréhensif et me soutient totalement dans mes initiatives.

Comme pour cette première association de couturières que vous avez créée?

Oui, c’était en 1985. J’ai proposé à quatre femmes du quartier de mettre en commun nos compétences. Nous n’étions pas de la même ethnie et nous avions beaucoup de choses sur quoi échanger : des recettes de cuisine, des techniques de couture. Pour l’association, nous cotisions pour acheter la matière première ensemble. Nous étions très curieuses d’apprendre. En même temps, le ménage et les enfants nous accaparaient en permanence. C’est à partir de là que nous avons fait quelques rencontres très importantes. Comme cette Hollandaise de la FAO à qui nous avons demandé des idées. Grâce à elle, nous avons pu bénéficier d’un premier financement international venant de l’ambassade des Pays-Bas et destiné à restaurer un local public abandonné pour en faire une pouponnière. Ici à Dalaba, il n’existait pas de structure d’accueil pour les enfants avant la maternelle.

Comment avez-vous poursuivi la mobilisation des femmes de l’informel ?

Il y a eu une autre rencontre déterminante : Saskia, l’épouse d’un fonctionnaire de la FAO encore. Elle nous a aidés à rédiger un projet et à mobiliser près de 70 femmes dans cette association de couturières. La coopération technique belge et une ONG de ce pays sont intervenues. Nous avions enfin nos propres locaux pour la pouponnière, pour l’atelier de couture et aussi pour créer une classe d’alphabétisation. La Fondation Friedrich Ebert nous a assistés pour mettre en place ce volet éducatif. Sur 70 femmes, nous n’étions que 4 à savoir lire et écrire. On a inclus le planning familial dans nos activités. Jusque-là, pour toutes ces questions, il n’y avait que le marabout et ses grigris comme recours.

Elles ne connaissaient pas la contraception ?

Pas du tout. Et ce n’est qu’un aspect de la discrimination dont sont victimes les femmes. La polygamie, le lévirat, le mariage précoce sévissent encore. Je tiens aussi à parler des tabous alimentaires contre lesquels nous luttons en informant le maximum de femmes. Il existe toujours beaucoup d’interdits sur la nourriture qui peuvent entraîner de graves carences : le manioc et les carottes qui prendraient la virginité des jeunes filles, la viande qui serait mauvaise pour les enfants à cause des parasites, les œufs qui feraient voler. Notre travail de sensibilisation cible aussi les hommes qui doivent apprendre à nous respecter. La vie est dure en Guinée, mais les hommes parviennent quand même à s’octroyer quelques plaisirs, comme jouer aux cartes ou regarder le football. Nous, on n’a aucun droit. Pour les hommes, c’est normal que les femmes s’occupent des repas, des enfants et du ménage, avant, pendant et après le travail. Il paraît que si nous respectons ces traditions et que nous nous montrons dociles, alors nous irons au paradis ! Quand un enfant ne travaille pas bien à l’école, c’est la faute de sa mère. Quand il réussit, c’est parce qu’elle a fait tout ce qu’il fallait. La coutume veut qu’ici, on mesure la réussite des enfants à la souffrance des mères.

Comment ont évolué vos activités ?

Fin des années 90, le tourisme s’est développé dans le Fouta Djalon et à Dalaba. Cela nous ouvrait des perspectives. En 1998, nous avons créé l’Union des teinturières de Moyenne Guinée (UTMG) pour commercialiser nos pagnes indigo. Nous voulions aussi diversifier nos produits en créant de nouvelles techniques et de nouveaux motifs. Cela a commencé à bien marcher. Dans cette association, nous sommes 14 femmes, chacune ayant son propre atelier. C’est comme une toile d’araignée. Nous versons 50 000 francs guinéens par atelier. Cela fait 700 000 FG au total (un peu plus de 100 euros). Avec cette somme, on octroie des crédits à des taux équitables aux femmes qui veulent démarrer leurs propres activités. Les banques ne nous font pas confiance et même si c’était le cas, nous devrions supporter des taux beaucoup trop élevés. Avec nous, l’emprunt est beaucoup plus souple. Les femmes se sentent responsabilisées. Une ONG italienne nous a aussi permis d’acheter un bout de terrain, des bacs et des pousses d’indigotier pour nous permettre de replanter, parce que cette espèce est très sollicitée dans la région. Mais la situation sociale et économique s’est tellement dégradée ces dernières années dans le pays que le tourisme aussi est à l’arrêt. Nous n’arrivons plus à écouler nos stocks. À la mi-octobre, Rabiatou, la secrétaire générale de la CNTG (1) est venue nous rencontrer à Dalaba. C’était le jour du marché, il y avait beaucoup de monde pour l’écouter. C’est une femme, nous fondons beaucoup d’espoirs en elle.

Propos recueillis par Jacky Delorme


(1) Confédération nationale des travailleurs de Guinée.


- Lire l’intégralité du reportage de « Vision Syndicale » sur les syndicats en Guinée

- Lire aussi l’interview de Dilé Diallo (CNTG-Guinée)

- Lire aussi l’interview de Rabiatou Diallo (Secrétaire générale de la CNTG)

- Plus d’information également dans le chapitre consacré à la Guinée du rapport annuel de la CSI sur les violations des droits syndicaux dans le monde (texte et vidéo)


La CSI représente 168 millions de travailleurs au sein de 305 organisations affiliées nationales dans 153 pays.

Pour plus d’informations, veuillez contacter le Service Presse de la CSI au : +32 2 224 0204 ou au +32 476 621 018