Comment les multinationales habituées des beaux discours peuvent gagner la confiance du monde du développement

Pour que la société civile s’ouvre au secteur privé, il faut que les grandes entreprises mettent de côté les clichés et établissent un environnement réglementaire transparent.

L’accent de plus en plus important mis par certains sur le rôle « du secteur privé » est une source croissante de tension dans les débats sur le développement mondial.

Ce terme couvre un large éventail d’opérations et est parfois plus qu’inutile dans la mesure où il alimente une ambiguïté parfois délibérée sur les points abordés. En réalité, le débat concerne les multinationales et la finance internationale - je n’ai pas encore rencontré d’opposants aux petites et moyennes entreprises nationales.

D’une part, de nombreux gouvernements membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques s’orientent vers un accent plus important sur le rôle du secteur privé international dans le domaine du développement pour trois raisons majeures : tout d’abord, comme moyen de combler le manque d’aide publique au développement (APD), employée à mauvais escient en associant les différentes caractéristiques des financements publics et privés .

En second lieu, ils considèrent l’APD comme un moyen de promouvoir les chances d’obtention de contrats étrangers par leurs entreprises, pas nécessairement en liant l’aide, mais en créant de nouvelles opportunités et de nouveaux contacts.

Enfin, de nombreuses personnes sont instinctivement favorables au secteur privé - de part leurs qualifications, et considèrent plus souvent les entreprises que les gouvernements comme la solution.

Les multinationales sont, sans surprise, favorables à ce type de réactions et il existe un cadre d’hommes d’affaires sympathiques de plus en plus nombreux dont la fonction est d’assister aux conférences telles que celle qui vient de se terminer au Mexique, soulignant l’importance des entreprises pour la croissance.

D’autre part, des voix opposées, émanant en particulier de la société civile et des organes des Nations Unies plus à gauche, expriment leurs préoccupations quant à l’orientation du débat et participant parfois à des campagnes percutantes contre les multinationales et le non-respect des normes sociales et environnementales fondamentales. Lorsqu’un porte-parole du secteur privé affirme que le secteur privé est essentiel au développement et à la création d’emplois, certains membres de la société civile tressaillent à l’idée qu’il s’agisse d’une manière déguisée de promouvoir une réduction de la réglementation et des allègements fiscaux accrus.

Alors même que les lignes sont en train d’être redéfinies entre deux parties apparemment opposées, le paradoxe est que le débat est déjà terminé.

De nombreux pays et mouvements politiques considéraient jadis le secteur privé comme l’ennemi du développement, mais ils sont peu nombreux aujourd’hui.

Inversement, l’analyse néolibérale dominante de la croissance et du développement qui cherchait à remettre en cause le rôle du secteur public n’est, heureusement, plus d’actualité. L’opinion largement consensuelle des experts d’aujourd’hui est que des secteurs publics et privés forts sont essentiels au développement.

Le vrai débat ne porte pas sur l’importance du secteur privé. C’est un fait. Le débat a trait au bon équilibre entre d’une part, une forte réglementation des entreprises et du secteur financier afin de renforcer l’impact sur le développement et, d’autre part, la suppression des lourdeurs administratives afin de permettre le développement de la créativité. Il porte sur le fait de savoir si la recherche du profit a sa place dans la fourniture des services de base aux pauvres, et sur le meilleur moyen de promouvoir la création d’emplois.

Ces questions seront en grande partie décidées à l’échelle nationale à l’issue de batailles politiques, comme elles l’ont toujours été, c’est-à-dire dans un contexte où les intérêts économiques exercent un impact bien plus important dans la prise de décisions que les faits avérés, là encore, comme elles l’ont toujours été.

Il est important de disposer d’espaces permettant à toutes les parties de se réunir et, dans l’idéal, d’établir un climat de confiance afin de mettre de côté les caricatures en faveur d’un dialogue constructif et d’initiatives communes. La première réunion de haut niveau du Partenariat mondial pour l’efficacité de la coopération au développement organisée au Mexique constituait l’un de ces espaces. Toutefois, le manque de confiance entre les deux parties y était manifeste. A cet égard, la décision des organisateurs de ne pas accorder d’espace spécifique aux représentants syndicaux dans le groupe principal de participants n’a pas contribué à améliorer la situation.

Les organisations de la société se sont plaintes de l’influence excessive exercée par les multinationales. Ce constat n’est pourtant probablement pas juste. Vous ne pouvez inviter les représentants du secteur privé à la table des négociations et penser qu’ils ne vont pas exprimer leurs opinions ou influencer les résultats des négociations. Soit les entreprises puissantes viennent à la table des négociations avec d’autres parties prenantes et débattent des questions, soit ils exercent leur influence considérable en privé, mais vous ne pouvez changer le fait qu’elles détiennent un certain pouvoir.

J’ai toutefois deux recommandations à l’intention des représentants des multinationales et leurs sympathisants cherchant à engager un dialogue de bonne foi avec la société civile dans les réunions internationales, telles que celle-ci.

Tout d’abord, n’essayez pas de minimiser les crimes commis par les grandes entreprises contre les pauvres. Lorsque j’entends de beaux parleurs qualifier les militants de la société civile d’enquiquineurs peu constructifs, je me demande combien de temps ils ont passé auprès des communautés déplacées par les entreprises minières ou agricoles, ou quel est le nombre de leurs parents travaillant dans des conditions révoltantes.

La nervosité qu’éprouve la société civile à l’idée de collaborer avec les grandes entreprises ne repose pas sur la théorie marxiste mais sur l’expérience viscérale.

Même s’ils portent des costumes lors des grandes conférences, les représentants de la société civile rendent ensuite compte aux communautés marginalisées, qu’elles soient urbaines ou rurales, dont beaucoup livrent une lutte permanente avec les entreprises - bien souvent soutenues par les gouvernements - provoquant leur déplacement, polluant l’air qu’ils respirent et ne respectant pas leur dignité et leurs droits de l’homme. Lorsque les lobbyistes essaient de minimiser cette réalité, ils compromettent les efforts visant à instaurer un climat de confiance.

Deuxièmement, n’employez pas le langage non-idéologique de l’inclusivité afin de promouvoir un programme politique restreint. Les craintes de la société civile sur les arrière-pensées du secteur privé ne relèvent pas de la théorie du complot, elles sont tout à fait justifiées. Quiconque estimant que les grandes entreprises n’ont pas passé les deux dernières décennies à faire pression, avec succès, sur les gouvernements afin d’alléger la réglementation est naïf. Les intérêts des puissants sont plus que jamais réels.

Si la société civile est tenue de lever ses réticences et d’accepter un rôle plus important des multinationales dans les débats sur le développement, les multinationales doivent également évoluer. Un environnement réglementaire stable et clair est nécessaire pour que le secteur privé promeuve les objectifs du développement, plutôt que de poursuivre ses propres intérêts et de plier bagage, comme de trop nombreuses communautés locales l’ont constaté.

L’investissement à lui seul n’est pas synonyme de développement. Lorsque les entreprises et leurs porte-paroles au sein des gouvernements commencent à affirmer qu’une réglementation accrue et non moindre est parfois nécessaire et lorsqu’ils commencent à insister sur la nécessité d’offrir une place aux syndicats à la table des négociations, en dépit de leur opinion à cet égard, ils pourront commencer à persuader les sceptiques qu’il vaut la peine d’établir un climat de confiance.