Les entreprises et les droits humains: seulement les droits humains, ou tous les droits pour tous les humains?

Les gouvernements régionaux espagnols, quelle que soit leur orientation politique, comme dans les autres pays européens, promeuvent depuis quelque temps la participation du secteur privé, c’est-à-dire des entreprises, dans le domaine de la coopération au développement. Ce phénomène présente d’autant plus d’intérêt que le budget public consacré à la coopération diminue; par ailleurs, cela permet aux entreprises d’accroître leur activité extérieure et de renvoyer vers notre pays les bénéfices des différents projets de coopération et des investissements réalisés dans des pays dont le revenu moyen est plus faible.

L’Espagne est restée très discrète au moment de la Déclaration de Busan. Elle a soutenu le paragraphe relatif à l’entreprise privée dans la coopération au développement, comme elle l’a fait pour le travail décent, mais elle n’a pas voulu s’engager à l’égard de la corruption, de la transparence fiscale ou de la lutte contre les paradis fiscaux, qui compromettent la capacité des États à améliorer leur efficacité ou leurs ressources publiques, ni vis-à-vis de l’exclusion des principes de la Déclaration de Paris – préconisée par la Chine – dans le cadre de la coopération Sud-Sud.

Mais pour garantir une meilleure cohérence de sa politique extérieure, l’Espagne souhaite mettre en œuvre un Plan pour l’entreprise et les droits humains, qui concilie sa volonté de soutien à l’entreprise et à la coopération avec le respect des droits humains. Elle a préparé un projet, qui est actuellement discuté par les ONG de coopération au développement, par les syndicats et d’autres agents du secteur social, en plus des entreprises.

Ce projet a pour objectif d’appliquer officiellement les Principes directeurs aux entreprises et aux droits humains, qui ont été approuvés le 16 juin 2011 par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies dans sa résolution 17/4 (A/HRC/17/31). Ces Principes directeurs ont été élaborés par le professeur Ruggie, représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies chargé de la question des droits de l’homme, des sociétés transnationales et autres entreprises.

Les Principes directeurs clarifient et déterminent les trois piliers du cadre «protéger, respecter et réparer» des Nations Unies, soutenus en 2008 par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, à savoir:
1. L’obligation de protéger incombant à l’État lorsque des tiers, y compris des entreprises, portent atteinte aux droits de l’homme;
2. La responsabilité des entreprises de respecter les droits humains;
3. La nécessité d’un accès plus effectif des victimes à des mesures de réparation, tant judiciaires que non judiciaires.

Le projet indique que ces Principes directeurs se basent sur le droit international en vigueur, s’appliquent à tous les États et à toutes les entreprises, transnationales ou autres, indépendamment de leur taille, de leur secteur, de leur localisation (intérieure ou extérieure), de leurs propriétaires et de leur structure. Le projet souligne par ailleurs que ces Principes directeurs ne peuvent en aucun cas donner lieu à de nouvelles obligations de droit international ni restreindre ou réduire les obligations légales qui incombent à un État, ou auxquelles il est soumis conformément aux normes de droit international en matière de droits humains.

L’USO (Union syndicale ouvrière), directement, ou soit par le biais de l’Observatoire de la responsabilité sociale des entreprises, dont dépend également l’organisation syndicale CCOO, soit par le biais de l’Organisation coordinatrice d’ONG pour le développement, à laquelle appartiennent les diverses structures de coopération au développement des différents syndicats espagnols – dans notre cas SOTERMUN – a fait part de ses critiques et de ses commentaires à l’égard du projet.

Il a ainsi été signalé qu’il doit être entendu par «droits humains» tous les droits figurant dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et dans les autres conventions internationales.

Nous souhaitons en ce qui nous concerne éviter la dualité de comportement des entreprises de notre pays, entre la société mère, qui obéit généralement à la législation européenne, et les filiales et chaînes de valeur de ces entreprises. Il faut pour ce faire que chaque entreprise mette au point un plan et un calendrier afin d’harmoniser les normes propres aux comportements, en allant au-delà des réglementations «nationales» les plus fragiles.

La transparence de l’information et de la fiscalité, ainsi que les délais fixés avec précision pour la publicité ou pour les processus de dépôt de plainte et de demande de réparation, constituent le second bloc de propositions.

En dernier lieu, nous insistons sur un aspect qui ne figure pas explicitement dans les Principes directeurs de Ruggie et qui consiste à établir une protection contre les paradis fiscaux. Ces derniers représentent la base financière qui rend possible la corruption et les actions illégales, et qui favorise l’inégalité et l’incapacité des États à fournir des biens et des services publics.

Il n’est pas possible de parler de développement et, en même temps, de maintenir la validité et la légalité des paradis fiscaux. La lutte contre les paradis fiscaux est un défi à relever pour laisser la place au développement. Les syndicats doivent participer à la campagne contre les paradis fiscaux et renforcer les alliances sociales pour combattre les pires pratiques du capitalisme.

Article écrit par Santiago González Vallejo, USO-Sotermun (Espagne)