“The Times They Are A-Changin”: Points de vue issus des consultations africaines sur l’agenda de développement post-2015

Au début du mois de mars, le Parlement panafricain organisait, en collaboration avec le PNUD, une consultation thématique de plusieurs jours sur la gouvernance et l’Agenda post-2015, à Midrand, Afrique du Sud. Ce débat animé, mené par l’Afrique, a mis en exergue les principales préoccupations et attentes du continent africain pour un cadre mondial de développement plus inclusif et durable.

À l’approche de l’année butoir 2015, la communauté internationale évalue les résultats des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) qui ont été omniprésents dans le débat sur le développement depuis 2000.

Nombreux sont pourtant les regards qui scrutent déjà l’horizon plus lointain, au-delà de la date insigne de 2015.

Les différentes parties prenantes sont, en effet, engagées dans des consultations dans près de 100 pays à travers le monde pour tenter de donner forme au nouvel agenda de développement post-2015. L’information récoltée à travers ce processus consultatif devrait influencer les débats du Panel international de haut niveau de l’ONU sur les objectifs post-2015.

Ce panel, coprésidé par le Premier ministre britannique David Cameron, la présidente du Liberia, Ellen Johnson Sirleaf et le président indonésien Susilo Yudhoyono est composé de 27 personnalités internationales éminentes. Il s’est réuni à trois occasions au cours des derniers mois et se réunira à nouveau fin mars dans le cadre exotique de l’île de Bali avant de présenter ses conclusions au secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-Moon, en mai, à New York.

Selon la tradition, les débats portant sur de nouveaux agendas de développement sont largement dominés par les agences multilatérales et les pays membres de l’OCDE du « Nord ». En tant que principal « donateur » à la coopération au développement, l’UE joue un rôle déterminant dans ces débats.

La semaine passée, la Commission européenne a publié une Communication présentant les grandes lignes d’une proposition de position de l’UE sur l’agenda post-2015. Début avril, l’UE lancera son Rapport européen sur le développement 2013, un dossier exhaustif qui se concentrera exclusivement sur l’Agenda mondial post-2015.
Quelle est la place de l’Afrique dans ce processus ?

Il y a tout juste une semaine, le Parlement panafricain organisait, en collaboration avec le PNUD, une consultation thématique de plusieurs jours sur la gouvernance et l’Agenda post-2015, à Midrand, Afrique du Sud. Ce débat animé, mené par l’Afrique, a mis en exergue les principales préoccupations et attentes du continent africain pour un cadre mondial de développement plus inclusif et durable.

Ci-après sont repris certains des points saillants de ces discussions :
Malgré des progrès accomplis aux volets pauvreté et développement social en Afrique, les OMD restent « un chantier inachevé » dès lors qu’ils manquent de s’attaquer aux causes et aux tendances profondes de la pauvreté et de l’inégalité. Le moment est propice à une profonde transformation politique et économique en Afrique, selon des conditions locales, afin d’engendrer un développement inclusif et durable pour les générations à venir. Pour citer une des interventions : « La pauvreté et l’inégalité ne sont pas purement accidentelles mais sont le résultat de jeux de pouvoir et de l’injustice. Tout agenda de développement post-2015 devrait, pour autant, s’attaquer à la question de la gouvernance, qui est critique pour améliorer la vie des populations africaines. »
Les droits humains devraient se convertir en un pilier central du cadre de développement post-2015. Les participants ont demandé si « le développement était possible en l’absence de liberté et de respect des droits humains »… « Les gouvernements qui entendent retirer les droits humains de l’agenda post-2015 risquent de se retrouver du mauvais côté de l’histoire », a dit un des intervenants. À ce propos, il a été fait référence aux « modèles de développement » africains largement applaudis - notamment ceux du Rwanda et de l’Éthiopie – qui affichent des scores élevés pour ce qui a trait aux OMD mais où la situation en matière de droits humains et de libertés politiques reste relativement médiocre.

De sérieuses mises en garde ont été exprimées quant à la dépendance excessive des économies africaines aux industries extractrices, un secteur en plein essor. La croissance économique rapide dérivée de ces secteurs est alimentée, en grande partie, par des jeux d’alliances entre des entreprises étrangères et les élites africaines, cependant que le fruit de cette croissance ne semble pas être partagé par la majorité des citoyens africains en termes de création d’emplois et d’une distribution plus équitable de la richesse. Les petites et moyennes entreprises africaines et le secteur informel recèlent un potentiel plus important en termes de croissance inclusive. La création d’une entreprise en Afrique n’en demeure pas moins un « pari à haut risque » en raison des coûts liés à la bureaucratie et, une fois de plus, l’absence de cadres de gouvernance adéquats.

De fermes intentions ont été exprimées de devenir moins dépendants aux financements volatiles en provenance de donateurs extérieurs, qui ont créé une « addiction et une dépendance » excessives au fil des cinquante dernières années. L’Afrique devrait être à même de prendre en charge une grande partie du financement de l’agenda post-2015 à travers la mobilisation et le déploiement efficaces de ses ressources internes. À terme, cela contribuera à des rapports État-citoyens renforcés, ainsi qu’à un développement plus équitable. Même des sociétés africaines pauvres, avec des secteurs informels démesurés, devraient être en mesure de générer des ressources considérables. La confiance entre gouvernement et citoyens et des institutions fortes, capables et crédibles sont essentielles pour mobiliser les ressources indispensables au développement.

La communauté internationale pourrait jouer un rôle nettement plus affirmé pour contrôler les grandes sociétés internationales et juguler la fuite massive et illicite de capitaux vers le « Nord ». Il est, en effet, frappant de constater que les capitaux exportés par l’Afrique vers le reste du monde sont nettement supérieurs à ce que le continent reçoit sous forme d’aide internationale et d’envois de fonds depuis l’étranger.

Clairement, le continent africain ne veut plus être assujetti à des programmes échafaudés ailleurs. Beaucoup d’Africains se montrent plus que jamais déterminés à réduire la dépendance à l’aide et à forger des alliances pour le changement avec un large éventail de partenaires et selon leurs propres termes. Manifestement, l’agenda africain post-2015 recèle un potentiel en termes d’un changement d’attitudes et d’un programme de développement fondé sur une transformation structurelle allant au-delà de l’aide. Le sevrage d’une addiction de longue durée représente, néanmoins, un processus extrêmement pénible qui requiert énormément de temps, une bonne dose de courage et… un contexte de gouvernance national et international propice.

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Article écrit par Geert Laporte,
Geert Laporte est directeur adjoint du Centre européen de gestion des politiques de développement (European Centre for Development Policy Management, ECDPM)