Lancement de l’étude de l’IFC sur l’emploi

L’organisme prêteur de la Banque mondiale auprès du secteur privé, l’International Finance Corporation, a lancé une Étude sur l’emploi, qui a, selon cet organisme, demandé 18 mois de préparation et fait l’objet d’une « coordination étroite » avec le Rapport sur le développement dans le monde 2013 sur l’emploi de la Banque mondiale (WDR 2013) publié en octobre dernier. L’IFC a organisé une conférence de deux jours, les 14 et 15 janvier afin de débattre du rapport et de ses recommandations.

L’objectif déclaré de l’Étude de l’IFC sur l’emploi était « d’évaluer les conséquences directes et indirectes de l’activité du secteur privé sur la création d’emplois » (p.1 de la version résumée du rapport). Pourtant, la préface signée par le PDG d’IFC, Jin-Yong Cai, indique que l’étude a été commandée plus particulièrement « afin d’étudier de plus près la façon dont l’IFC contribue à la création d’emplois » (p 3).

L’IFC a été critiquée par plusieurs analystes externes ces dernières années et par des organisations de la société civile en raison de l’absence d’évaluation d’impact de ses prêts et de ses investissements sur le développement et la réduction de la pauvreté, ainsi que de l’absence de politique d’investissement ciblant des résultats spécifiques en termes de développement. Ce rapport peut être considéré comme une première tentative de réponse à ces critiques.

L’Étude de l’IFC sur l’emploi s’assimile fréquemment à une tentative d’autojustification des politiques actuelles de l’IFC sous « l’angle de l’emploi ». Il est ainsi tout à fait fortuit que les principaux éléments de la stratégie globale de l’IFC coïncident avec les quatre domaines jugés essentiels, par les conclusions de l’étude, à la création d’emplois : « l’accent sur l’investissement climatique, l’infrastructure, l’accès au financement, la formation et les compétences » (p.34).

En réalité, l’Étude sur l’emploi ne présente qu’une évaluation fragmentée et approximative de l’impact des prêts et des investissements de l’IFC sur l’emploi et semble, à plusieurs reprises, faire abstraction des critiques fondées exprimées par des analystes d’autres divisions du groupe de la Banque mondiale sur certains types d’investissements de l’IFC (quelques exemples sont indiqués ci-dessous).

L’Étude sur l’emploi de l’IFC contient malgré tout plusieurs aspects positifs. Elle présente des analyses et des recommandations en faveur des « emplois de qualité », respectant les normes fondamentales de travail de l’OIT, adopte un point de vue différent de celui de la publication sœur de l’IFC Doing Business à propos des obstacles supposés à la création d’emplois créés par la législation du marché du travail, et identifie la formalisation des activités relevant de l’économie informelle comme l’une des priorités que devraient soutenir les IFI.

Absence d’évaluation rigoureuse de l’impact de l’IFC sur l’emploi

L’ Étude de l’IFC sur l’emploi reconnaît que les investissements de l’IFC contribuent très peu à la création d’emplois directs, mais soutient que les effets multiplicateurs – à travers les fournisseurs, les distributeurs ou les dépenses supplémentaires – peuvent être significatifs : « Le nombre d’emplois directs nets créés, en tenant compte de la perte d’emplois, au niveau des entreprises clientes de l’IFC, a tendance à être relativement modeste. Toutefois, le nombre d’emplois indirects générés peut être significatif même s’il est difficile à mesurer » (p. 8).

Cette affirmation repose sur quelques études de cas contestables. Le multiplicateur le plus élevé sur l’emploi identifié dans ces études concerne un projet minier dans un pays africain à faible revenu. Toutefois, lors de la conférence des 14 et 15 janvier, un intervenant de la Banque mondiale a remarqué que le Rapport sur le développement dans le monde 2013 concluait que les investissements réalisés par l’industrie extractive dans les pays à faible revenu donnaient souvent lieu à une destruction nette d’emplois dans la mesure où la valorisation des devises de ces pays compromettait la compétitivité des autres activités économiques. Ce facteur n’a pas été pris en compte dans l’étude de cas de l’IFC.

Une autre section de l’Étude sur l’emploi présente avec enthousiasme l’impact positif de la micro-finance (un secteur dans lequel l’IFC a réalisé plusieurs investissements) sur la création d’emplois et la réduction de la pauvreté (p. 23), tout en ignorant allègrement les nombreuses études qui concluent que cet impact a été fortement exagéré. Certaines de ces analyses critiques ont été réalisées par la Banque mondiale, comme celle consacrée à l’Afrique publiée l’an dernier. http://www-wds.worldbank.org/external/default/WDSContentServer/IW3P/IB/2012/02/22/000158349_20120222133705/Rendered/PDF/WPS5975.pdf

Contraintes sur la création d’emplois émanant du secteur privé

Une section plus pertinente du rapport analyse les obstacles pesant sur la création d’emplois par le secteur privé dans les pays en développement et présente une alternative bienvenue à l’obsession idéologique, considérant la législation du travail comme un frein à la création d’emplois, présente dans Doing Business et dans les recommandations politiques actuelles du FMI en Europe. L’Étude sur l’emploi conclut, sur la base d’une large enquête menée auprès des entreprises, que le manque d’accès au financement, la faiblesse des infrastructures – en particulier le manque de fiabilité du réseau électrique, le caractère informel de l’économie et le manque de compétences des travailleurs représentent les obstacles les plus importants à la création d’emplois (p 11). La législation du travail n’a, quant à elle, été mentionnée que par 3% des entreprises interrogées. (Le rapport fait état de la faiblesse inhérente des enquêtes réalisées auprès des entreprises eu égard à la subjectivité des points de vue exprimés.)

Un autre aspect positif de l’Étude sur l’emploi a trait à l’accent sur la nécessité de formaliser les activités issues de l’économie informelle afin de promouvoir la création d’emplois de meilleure qualité (p 15-16). En revanche, un aspect moins positif concerne l’évaluation favorable des zones économiques spéciales comme instrument afin de surmonter les obstacles à la création d’emplois (p.14-15). L’un des exemples cités comme succès est le Bangladesh, dont les zones économiques spéciales ont restreint les droits syndicaux, ce que le rapport omet de mentionner.

Un autre chapitre sur la « qualité de l’emploi » souligne l’impact positif du respect des droits des travailleurs, qui est officiellement une condition imposée à tous les emprunteurs de l’IFC à travers le Critère de performance 2 de l’IFC sur la main d’œuvre et les conditions de travail. Le rapport cite également des études illustrant l’impact positif de l’amélioration des normes de travail sur la réduction du nombre d’accidents, la rotation du personnel et l’amélioration de la qualité des produits (p.31).

Le rapport n’évoque malheureusement pas les lacunes des mécanismes de mise en œuvre de l’IFC liés au Critère de performance 2; les lacunes créées, au niveau de l’application, notamment par le recours, par l’IFC, d’intermédiaires financiers privés pour l’octroi de prêts; ni le fait que les Principes de l’Équateur, reposant sur le Critère de performance 2 et d’autres normes et adoptés par 77 institutions financières privées n’imposent aucune condition en matière de suivi ou de communication de l’information. L’Étude sur l’emploi appelle à une supervision accrue des normes de travail au niveau des chaînes d’approvisionnement. La version révisée du Critère de performance 2 présente quelques améliorations par rapport à la version précédente dans ce domaine.

L’IFC a rédigé le rapport en anglais uniquement. Une version résumée de 47 pages de l’Étude de l’IFC sur l’emploi est accessible en ligne (tous les numéros de pages ci-dessus se réfèrent à cette version) :
http://www1.ifc.org/wps/wcm/connect/5c201d004e2c09d28d32ad7a9dd66321/IFC_Job+Study+Condensed+Report..pdf?MOD=AJPERES

Le rapport complet de 148 pages est également disponible en ligne :
http://www1.ifc.org/wps/wcm/connect/0fe6e2804e2c0a8f8d3bad7a9dd66321/IFC_FULL+JOB+STUDY+REPORT_JAN2013_FINAL.pdf?MOD=AJPERES

Article par Peter Bakvis - ITUC/Global Unions - Washington Office