Pour sauver la planète des déchets électroniques, nous devons garantir le droit à la réparation

Pour sauver la planète des déchets électroniques, nous devons garantir le droit à la réparation

The 600 million smartphones currently in use in Europe are responsible for some 14 million tonnes of CO2 emissions, which is more than the annual emissions of Latvia.

(Mehmet Murat Onel /Anadolu Agency via AFP)

Les mouvements qui plaident pour le droit à la réparation se développent aux quatre coins du monde. Le message commun de tous ces mouvements, qui existent des Amériques à l’Europe en passant par l’Australie et même plus loin, est simple : réparer les objets devrait être plus facile que de les jeter.

L’Union européenne semble partager cette opinion. L’année dernière, elle annonçait deux projets cruciaux : le pacte vert européen et le plan d’action pour l’économie circulaire, qui reconnaissent la réparation comme étant une stratégie clé contribuant à réduire les impacts environnemental, social et climatique découlant de notre consommation implacable. Toutefois, renoncer à la culture des produits jetables au profit d’un système économique conçu pour être circulaire exigera bien plus qu’un peu de bonne volonté politique.

Infiltrées dans pratiquement tous les aspects de la vie de tous les jours, les technologies n’ont pas uniquement transformé notre quotidien de fond en comble, elles ont également modifié nos façons de produire et de consommer à tel point qu’elles sont méconnaissables.

Notre relation avec les appareils à l’origine de cette révolution numérique et le modèle économique linéaire « take-make-use-dispose » (prendre, fabriquer, utiliser, jeter) qui la caractérise aujourd’hui entraîne un coût colossal pour notre planète et nos sociétés.

Prenez l’omniprésent smartphone, par exemple. Les 600 millions d’appareils actuellement utilisés en Europe sont responsables de quelque 14 millions de tonnes d’émissions de CO2, soit plus que les émissions annuelles de la Lettonie. Ajoutez à cela la contribution apportée au flux de déchets qui croît le plus rapidement au monde ainsi que les impacts sur l’environnement et les communautés résultant de l’extraction des plus de 50 métaux différents nécessaires à la fabrication d’un appareil ordinaire et vous vous ferez une image de l’ampleur du problème.

L’idée que les gouvernements devraient soutenir la réparation des appareils avant qu’ils ne deviennent des déchets semble être une solution plutôt évidente. Bien qu’elle soit fondamentale pour réduire la demande en énergie et en ressources, pour limiter les émissions sans cesse croissantes liées aux activités de fabrication et pour accroître la résilience des communautés locales, la réparation reste souvent trop difficile, coûteuse ou tout simplement impossible. Trop souvent, elle reste par ailleurs entièrement entre les mains des fabricants. Au lieu de récompenser les innovations axées sur des conceptions durables et faciles à réparer, le système actuel favorise les technologies jetables qui deviennent facilement obsolètes et fait obstacle à ceux qui préfèrent réparer plutôt que jeter.

Il apparaît clairement que le marché à lui seul n’apportera pas de solution. Même si les producteurs doivent assumer la responsabilité des produits qu’ils mettent sur le marché, seule la législation peut faire en sorte que les dispositifs réparables deviennent la nouvelle norme. Et garantir à tous le droit à la réparation est le moyen d’y parvenir.

L’essor du mouvement pour le droit à la réparation en Europe

Revenons en arrière, il y a un peu plus d’un an : l’Union européenne faisait la Une des médias avec l’adoption des toutes premières règles visant à lutter contre les designs de téléviseurs et d’appareils de cuisine irréparables. En vigueur à partir du mois de mars 2021, les nouvelles exigences garantiront que les composants qui tombent le plus souvent en panne dans les téléviseurs, les réfrigérateurs, les machines à laver et les lave-vaisselle vendus en Europe seront faciles à remplacer et que les pièces détachées et les manuels de réparation seront mis à disposition des réparateurs professionnels pendant sept à dix ans. Véritable tournant, ces règles promettaient de diriger l’Union européenne vers la sortie de l’actuelle culture du jetable.

Ces règles ne sortent pas de nulle part cependant. Les voix qui réclament un changement de système en matière de réparation sont de plus en plus fortes ces dernières années. Parmi elles, des consommateurs européens de plus en plus déçus par la durée de vie trop courte de leurs produits, ainsi que des entreprises européennes travaillant dans le domaine de la réutilisation, de la réparation et de la rénovation qui sont confrontées à un nombre croissant d’obstacles injustifiés.

La campagne Droit à la réparation témoigne clairement de cette frustration. Lancée par cinq organisations en 2019, en un an, la campagne a pris de l’ampleur et a rassemblé plus de 30 partenaires dans 15 pays.

Tous partagent la ferme conviction que nous avons besoin d’une action urgente pour mettre fin à la surconsommation croissante et à la durée de vie de plus en plus courte de nos appareils.

Le pacte vert de l’UE et le plan d’action pour l’économie circulaire, c’est-à-dire les stratégies environnementales phares de la Commission européenne, énoncent une série d’engagements visant à lutter contre l’obsolescence prématurée de nos appareils. Dans le prolongement des règles déjà adoptées, le régulateur de l’UE s’est engagé, d’une part, à élargir les exigences en matière de réparabilité à d’autres produits dont on sait qu’ils tombent fréquemment en panne (notamment les smartphones, les ordinateurs portables ou les imprimantes) et, d’autre part, à mieux informer les consommateurs sur la réparabilité de leurs achats. Néanmoins, un an après son entrée en fonction, la Commission d’Ursula von der Leyen peine à tenir ses promesses.

La première source de préoccupation, et la plus évidente, concerne les retards. Initialement prévues pour l’année 2020, une série de propositions diverses, allant de celles relatives à l’électronique circulaire à la manière dont les informations sur la durabilité sont fournies aux consommateurs, ont été repoussées à la fin de l’année prochaine. Par conséquent, à ce jour, aucune proposition concrète n’a été présentée pour améliorer la réparabilité de nos appareils, même si les principaux travaux préparatoires pour certains produits tels que les ordinateurs portables ont été achevés il y a un certain temps déjà. Le rythme de Mme von der Leyen était prometteur au départ, mais il s’est depuis transformé en une exaspérante avancée au ralenti.

Une ambition menacée ?

Les retards sont fréquents dans l’élaboration des politiques. Malheureusement, nous avons encore plus de raisons d’être inquiets. Un certain nombre de mesures adoptées récemment par la Commission européenne vont à l’encontre de l’ambition promise et laissent perplexes un grand nombre d’entre nous. L’une d’entre elles concerne la récente proposition visant à assouplir certaines des règles de réparabilité applicables aux téléviseurs, un geste qui répond aux exigences des fabricants. Bien qu’elle se heurte à une forte résistance de la part de la plupart des gouvernements nationaux et qu’il est donc peu probable qu’elle soit adoptée, la proposition est en soi assez troublante.

Pire encore, il ne s’agit pas d’un cas isolé. Au début de l’année, la Commission européenne a reconnu une initiative d’autorégulation proposée par Sony, Nintendo et Microsoft qui permet aux trois fabricants de se soustraire aux règles de réparabilité. Cette démarche a été menée en dépit de l’absence totale d’engagement concret qui permettrait de faciliter la réparation des consoles de jeux et au mépris des appels lancés tant par les gouvernements des États membres de l’UE que par les organisations environnementales qui plaident pour un renforcement du niveau d’ambition.

Ces incohérences dans l’approche de la Commission ne justifient pas encore de tirer la sonnette d’alarme, du moins pour le moment… Après tout, il reste encore de nombreux éléments qui suscitent l’espoitr.

Tant l’état d’esprit des consommateurs que l’orientation stratégique de l’UE semblent indiquer que le moment est venu d’inverser la tendance actuelle de la culture du jetable. Cela montre cependant que le changement de système ne sera ni simple ni sans heurts.

Compte tenu des nombreuses promesses formulées aux plus hauts niveaux concernant la lutte contre l’obsolescence précoce de nos appareils, il est normal de s’attendre des dirigeants de l’UE qu’ils joignent le geste à la parole. Cela signifie non seulement que les produits doivent être fabriqués pour durer et être facilement réparables, mais aussi que la réparation doit être plus accessible, abordable et généralisée ; en veillant notamment à ce que la réparabilité des produits puisse être facilement comparée au moment de l’achat.

Les urgences climatiques et environnementales exigent des mesures audacieuses et urgentes. Donner aux gens le droit de réparer les objets qui leur appartiennent est un début, mais les petites avancées ne suffiront pas : nous avons besoin de renouer avec le pas résolu que nous avions amorcé il y a un an.