Mandela, les entreprises en tant qu’acteurs du développement et l’apartheid

La disparition de Nelson Mandela, un grand être humain, a donné lieu à un flot d’hommages et de rétrospectives sur sa vie.

La lutte contre l’apartheid a été son œuvre. La réconciliation et une nouvelle étape dans la vie de la république sud-africaine, où l’origine ethnique a officiellement cessé de constituer un facteur déterminant pour le futur des citoyens, son legs. Un juste hommage rendu à cet homme et à l’œuvre qu’il nous lègue, à son pouvoir de conviction et au sacrifice vital qui lui ont valu une autorité morale incontestable.

En revanche, je pense qu’une attention insuffisante a été accordée aux caractéristiques, du moins certaines d’entre elles, du régime de l’apartheid, celui de la ségrégation raciale qui a régné en Afrique du Sud jusqu’aux années 1990.

Le régime de l’apartheid imposé avec violence par un groupe humain, majoritairement de race blanche, face à des degrés variables d’opposition (diviser pour régner) des autres groupes ethniques, y compris les différents clans, royaumes et tribus de peuples autochtones africains ethniquement noirs.

Une minorité blanche qui était citoyenne de cette République sud-africaine or le reste de la population qui y était née et y a grandi n’avait pas droit à cette citoyenneté et était considérée étrangère, dès lors qu’il s’agissait de ressortissants de pays fictifs, indépendants, appelés bantoustans, lesquels avaient été créés de toutes pièces par le régime de l’apartheid. Les blancs disposaient d’un « système démocratique », avec des partis et une assemblée législative.

Grâce à ce système juridique, les entreprises des blancs pouvaient disposer d’une législation du travail, générer des marges bénéficiaires plus que profitables pour leurs propriétaires et même disposer d’un « Ã‰tat providence » spécifiquement réservé aux blancs et aux personnes autorisées.

Ce régime d’apartheid avait, toutefois, d’autres complices, les multinationales implantées en Afrique du Sud ou qui commerçaient avec elle.

Et c’est là que nous sommes amenés à introduire d’autres variables plus actuelles comme la responsabilité sociale des entreprises, l’entreprise en tant qu’acteur de la coopération ou du développement et la Déclaration de Busan, qui introduit l’entreprise à but lucratif dans l’architecture des politiques officielles de développement.

Quelle serait la situation d’une entreprise sud-africaine à l’époque de l’apartheid ou encore celle d’une entreprise qui commercerait avec l’Afrique du Sud de l’apartheid si elle était soumise aux instruments actuels de responsabilité d’entreprise et aux politiques de développement actuelles ?
- Elle pourrait aisément mettre sur pied tout un programme de RSE au bénéfice des enfants diabétiques et recycler tout le papier pour éviter la déforestation. Conclusion, une RSE non normative, universelle et facultative qui n’est pas traduite dans la loi est sans valeur réelle.
- D’autre part, cette entreprise pourrait opérer en ancienne Rhodésie ou au Zimbabwe actuel dans le cadre de programmes de coopération au développement car il s’agit d’un pays pauvre. Il s’agirait au final de coopération Sud-Sud – et si vous insistez, j’ajouterais qu’ils pourraient faire appliquer dans un autre pays les normes de l’OIT alors qu’ils ne le font pas chez eux, et vice-versa. De fait, les multinationales disposent de normes différenciées en fonction de s’il s’agit de la maison-mère ou d’une filiale, comme c’est le cas aujourd’hui.
- L’Afrique du Sud blanche, avant qu’elle ne se retrouve dans l’œil du cyclone et avant qu’elle ne subisse le boycott de coalitions citoyennes – et non des États occidentaux – aurait très bien pu souscrire à la Déclaration de Busan car pour ses citoyens blancs – les autres étant, comme nous l’avons fait remarquer, des étrangers et des immigrés – elle respecterait les conditions de travail décent et veillerait à l’avancement des droits humains, de la démocratie et de la bonne gouvernance.

Le régime de l’apartheid s’est effondré, entre autre en raison de pressions extérieures et de la détérioration de l’image des entreprises qui produisaient en Afrique du Sud ou commerçaient avec celle-ci. Pendant ce temps, le chanteur Julio Iglesias ou les sportifs Angel Nieto, Ballesteros et Orantes, tous espagnols, faisaient fi de la situation des opprimés et ignoraient qui était Mandela, tandis qu’ils tiraient largement profit de cette même Afrique du Sud.

En résumé, les entreprises étaient complices de cette situation d’apartheid. Faut-il citer les noms des multinationales impliquées… ? Elles sont toutes cotées au Nasdaq, à Londres et dans d’autres places boursières et sont toutes dotées de leurs propres fondations philanthropiques, et de « blanchiment d’image ».

Enfin, il y a lieu de se demander si l’apartheid serait possible à l’heure actuelle. Y consentirait-on ? Les dirigeants qui se sont rendus aux obsèques de Mandela diront que non. Mais…

Oui. À mon humble avis, c’est en train de se produire à l’heure qu’il est et avec la même complicité.

Les entreprises et un système économique « national-étatique » peuvent fonctionner, si on les y autorise, selon des formules similaires à l’apartheid, qui favorisent un groupe de personnes par rapport à un autre. Ce régime est celui de l’occupation militaire d’un territoire par un groupe humain qui accapare les ressources économiques de l’autre et qui soumet l’économie de l’occupé à une dépendance totale.

Comme ce qui est en train de se produire dans la Palestine historique, la situation du groupe humain palestinien, ses non-droits en tant que citoyens et la discrimination de droit et de fait qu’ils subissent. Dans leur contexte d’économie colonisée, ils reversent à Israël l’aide internationale qu’ils reçoivent en tant que pauvres. La Confédération européenne des syndicats a d’ores et déjà alerté du danger que suppose le commerce des colonies israéliennes qui renforcent l’occupation et la même alerte a été lancée par la Confédération syndicale internationale. Mais le fait est que c’est l’économie et la population israélienne tout entières qui sont les bénéficiaires de cet état de discrimination et d’occupation abominable. Le moment est venu d’y mettre un terme et de combattre l’apartheid, l’occupation et ses complices, où qu’ils surviennent.

Escrito por Santiago González Vallejo, économiste

Unión Sindical Obrera-SOTERMUN