Les journalistes pakistanais affirment leurs droits humains, leurs droits de travailleurs

Par Tula Connell (Solidarity Center, États-Unis)

Les récents meurtres de trois journalistes pakistanais dans des incidents séparés mettent en évidence les dangers que courent au quotidien les professionnels de l’information de ce pays dans l’exercice de leur métier. Les reporters, photographes et autres personnels du monde de l’information ont, à l’instar des travailleurs de n’importe quel autre secteur, besoin d’outils spécifiques pour s’attaquer efficacement aux problèmes de la santé et de la sécurité au travail et faire valoir leurs droits humains fondamentaux.

Plus de 60 journalistes affiliés à 15 syndicats locaux au Pakistan ont pris part à une formation de deux jours financée par le Solidarity Center des États-Unis. Le programme avait pour objectif de préparer les journalistes à mieux se protéger contre les dangers physiques, les menaces en ligne, la discrimination sexuelle et le harcèlement. Crédits : Solidarity Center/Immad Ashraf

Suite au lancement d’une série d’ateliers de travail organisés avec le concours du Solidarity Center américain, qui ont porté sur les enjeux de la sécurité et de l’égalité hommes-femmes, plus de 60 journalistes issus de quelque 15 syndicats locaux au Pakistan ont eu l’occasion d’acquérir les ressources et l’information nécessaires pour mieux se protéger contre les dangers physiques, les menaces en ligne, la discrimination sexuelle et le harcèlement.

« La situation est extrêmement tendue pour les journalistes dans la province de Khyber Pakhtunkhwa (nord-ouest du Pakistan) et en particulier les femmes journalistes qui s’affrontent à de nombreuses difficultés à la fois sur le terrain et dans les bureaux », indique Samina Naz, une journaliste de la chaîne de radio nationale Radio Pakistan. « Cette formation m’a permis d’étendre et de clarifier le concept de sécurité. À présent, je fais plus attention à ma sécurité personnelle lorsque je pars en reportage. »

La journaliste, qui entend partager les techniques qu’elle a apprises avec ses collègues, a assisté à la formation de deux jours sur l’égalité hommes-femmes et la sécurité physique. L’atelier de travail d’octobre était le premier d’une série d’événements projetés par le Solidarity Center, en conjonction avec l’organisation pakistanaise Journalists for Democracy and Human Rights (JDHR) et la Fédération internationale des journalistes (FIJ).

« Nous aussi sommes des travailleurs. Qu’en est-il donc de nos droits ? »

Un second atelier de travail a été organisé en octobre sous le thème sécurité physique et sécurité numérique. Dara Zafar, vice-président du bureau de Karachi de l’All Pakistan Newspaper Employees Confederation et assistant à la mise en page chez The News International était parmi les participants et a fait part de son intention de « veiller de plus près à sa sécurité personnelle, de même qu’à la sécurité numérique ». Il a aussi fait remarquer qu’il n’avait pas reçu de formation sur les questions de la sécurité auparavant.

De fait, la quasi-totalité des participants interrogés avant les formations ont affirmé que leurs organisations ne procédaient à aucune évaluation ou analyse des besoins en matière de sécurité. Du reste, ils ont indiqué qui ni eux ni leurs organisations n’avaient prévu de dispositifs de sécurité pour les missions sur le terrain ou le travail en ligne.

D’après Nighat Rafaq, directrice au monitoring, à l’évaluation et à l’information du Solidarity Center pour le Pakistan, le Solidarity Center a élaboré ce programme de formation et de développement d’une durée de deux ans après que des journalistes ne posent la question suivante : « Nous aussi sommes des travailleurs. Qu’en est-il donc de nos droits ? Qui va parler de nos droits ?

« Auparavant, il y avait énormément de possibilités pour les journalistes mais uniquement au plan professionnel, s’agissant des compétences journalistiques par exemple – mais pas en ce qui concernait leurs droits en tant que travailleurs », dit elle.

En 2002, le Pakistan a légalisé la propriété privé des médias, qui avaient jusque là appartenu exclusivement à l’État. Cette mesure déclencha l’apparition sur le marché d’une multitude de nouvelles publications électroniques et papier, tandis que le nombre de journalistes au Pakistan a explosé, passant d’environ 2000 à plus de 18.000 aujourd’hui. De même, le nombre estimé de travailleurs associés à cette industrie est passé de 7000 à plus 300.000.

« La croissance exponentielle de l’industrie s’est accompagnée d’un déclin du respect pour les droits fondamentaux des journalistes, y compris en termes d’équité salariale, de conditions décentes d’emploi, de droits syndicaux et de sécurité physique au travail », signale Immad Ashraf, directeur de programmes du Solidarity Center au Pakistan.

Au moins 70 journalistes ont été tués au Pakistan depuis 2002, dont 14 l’année passée, valant au Pakistan d’être nommé par la Fédération internationale des journalistes comme le pays le plus dangereux pour les journalistes.

Des formations en sécurité prévues pour des centaines d’autres travailleurs des médias

Suite aux ateliers de travail, les participants ont démontré leur aptitude à élaborer des plans de sécurité et à se servir des conseils pratiques de survie lors de missions réalisées dans des contextes difficiles. Près de 80% d’entre eux affirment disposer désormais des compétences requises pour procéder à des évaluations de sécurité et identifier des situations potentiellement dangereuses pour eux-mêmes et leurs collègues avant de se lancer dans une mission, alors que 86% des journalistes interrogés indiquent avoir acquis une meilleure connaissance de leurs vulnérabilités au plan de la cyber-sécurité.

Le Solidarity Center a collaboré avec la FIJ à la préparation d’un manuel de formation pour les formateurs, afin de permettre aux journalistes de partager leurs tactiques et leur savoir avec leurs collègues. De même, un autre manuel sur l’égalité hommes-femmes et la sécurité physique des femmes journalistes et des travailleurs des médias a également été préparé. Le Solidarity Center organisera des dizaines d’autres cours de formation au cours des prochains mois, y compris des ateliers de travail de formation parajudiciaire pour 120 journalistes et dirigeants syndicaux et 14 formations de suivi de deux jours s’adressant à au moins 340 journalistes et autres employés du secteur de l’information et des médias.

Le Solidarity Center convoquera en outre, toujours en collaboration avec ses partenaires locaux, cinq séances de dialogue d’un jour à l’intention de 250 représentants de syndicats de journalistes et de travailleurs des médias, d’organisations du secteur et d’agences gouvernementales. Ces rencontres auront pour but d’ouvrir une discussion sur l’amélioration de la législation et des politiques relatives aux conditions de travail dans le secteur des médias. Elles viseront, d’autre part, à la mise sur pied d’un fonds juridique en soutien aux procédures juridiques individuelles et collectives susceptibles d’avoir un impact sur les droits des travailleurs, les conditions de travail et la sécurité physique des journalistes et des travailleurs des médias.

Au Pakistan, où les journalistes couvrent fréquemment la problématique des droits humains, les professionnels des médias ont désormais la possibilité de se focaliser sur leurs propres droits humains en tant que travailleurs. Pour reprendre les propos de Siddiq Anzar, président du bureau d’Islamabad et Rawalpindi de l’All Pakistan Newspaper Employees Confederation et président de l’Islam Press and Workers Union : « Suite à la formation et après avoir été exposé au contenu et aux techniques, je me sens à présent véritablement habilité. »

Source : http://www.solidaritycenter.org/pakistan-journalists-assert-human-rights-worker-rights/#sthash.MKoWQhF9.dpuf