Les femmes prennent des initiatives, résistent et prospèrent – y compris en temps de crise

Cette dernière décennie, en particulier l’année 2020 avec le déclenchement de la pandémie de coronavirus, a jeté un nouvel éclairage sur l’étendue globale des inégalités dans le monde. À l’approche de la Journée internationale des droits des femmes, nous souhaitons attirer l’attention sur les moyens mis en œuvre par les femmes, qu’elles soient autochtones, travailleuses rurales ou victimes de l’occupation militaire, pour résister et se mobiliser face aux crises, multiples et persistantes.

Les systèmes patriarcaux, les inégalités structurelles et les lois discriminatoires font depuis longtemps obstacle aux progrès en faveur de l’égalité des genres et des droits des femmes. Pour les femmes vivant déjà dans des situations de crise engendrées par des conflits, ou confrontées à des catastrophes environnementales récurrentes ou des chocs financiers cycliques, la pandémie de Covid-19 représente un nouveau coup dur, portant gravement atteinte à leur droit à une alimentation adéquate.

Les conflits sont l’un des principaux facteurs responsables de l’effondrement des systèmes alimentaires : plus de la moitié des personnes sous-alimentées vivent dans des pays touchés par les violences armées. Les conditions météorologiques extrêmes et les crises économiques comptent également parmi les causes majeures de dysfonctionnement. Les besoins de financement pour assurer la sécurité alimentaire dans le monde, mis en avant dans les appels à soutien humanitaires, sont passés de 5 milliards de dollars en 2015 à 9 milliards en 2020.

Multiples et protéiformes, les crises peuvent toucher que certaines franges d’une population ou conduire à la destruction de nations entières.

Les communautés marginalisées, en particulier les peuples autochtones, sont depuis longtemps confrontées à une crise de la sécurité alimentaire et, dans de nombreuses régions du monde, les femmes et les filles doivent faire face à une longue tradition de pratiques discriminatoires ayant des conséquences directes sur leur sécurité alimentaire. Les femmes du secteur de l’agriculture peuvent être confrontées à des conditions de travail inéquitables, n’offrant que peu de sécurité d’emploi, des salaires moins élevés que ceux de leurs homologues masculins et aucune indemnisation en cas de maladie ou de congé de maternité, tout en étant souvent contraintes de travailler dans des environnements professionnels non sécurisés.

Même dans les pays riches du monde industrialisé, les peuples autochtones doivent souvent faire face à des niveaux d’insécurité alimentaire extrêmement élevés. Cette situation est due en grande partie aux conséquences de la colonisation : appropriation des terres, diminution considérable de l’accès aux zones de chasse, de pêche et de cueillette, et implantation et prédominance d’un système alimentaire colonial entièrement nouveau. Dans bon nombre de régions du monde, les femmes autochtones dont l’accès à l’alimentation traditionnelle a été fortement limité doivent se tourner vers des produits alimentaires industriels souvent coûteux, malsains et ultra transformés pour nourrir leur famille.

Prises en étau dans le marasme de ces multiples crises, les femmes et les filles restent un groupe particulièrement touché, souvent de manière disproportionnée.

Lors de conflits armés, par exemple, les filles adolescentes ont 90 % de risques supplémentaires d’être retirées de l’école, tandis que 70 % des femmes dans les infrastructures humanitaires sont plus susceptibles de subir des violences fondées sur le genre (VFG). Les mesures de mise en quarantaine durant la pandémie ont exacerbé les violences domestiques dans le monde et les femmes sont nombreuses à avoir été contraintes de donner la priorité aux tâches domestiques non rémunérées et aux responsabilités familiales auxquelles elles sont traditionnellement associées.

Les droits des femmes sont garantis et renforcés par un certain nombre d’instruments politiques et juridiques internationaux, notamment la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW). Le Cadre d’action pour la sécurité alimentaire et la nutrition lors des crises prolongées (CSA-CDA) vise à lutter contre les inégalités et les vulnérabilités auxquelles sont souvent confrontées les femmes et les filles durant les crises qui mettent en péril leur sécurité alimentaire et nutritionnelle. La Résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations unies reconnaît et réaffirme le rôle des femmes dans la prévention et la résolution des conflits, la construction de la paix, les réponses humanitaires et la reconstruction après les conflits. Par ailleurs, la Convention 190 de l’Organisation internationale du Travail, adoptée en 2019, est la première norme internationale du travail qui énonce le droit de chaque individu à travailler dans un environnement professionnel exempt de violence et de harcèlement, y compris fondés sur le genre.

Dans la pratique, ces mesures politiques et législatives ne sont que peu ou pas du tout appliquées. Dans nombre de régions, les femmes et les filles sont expulsées à maintes reprises au cours de leur vie et systématiquement empêchées de revendiquer leurs droits à la terre pour assurer leur subsistance et leurs moyens d’existence. Même lorsque la législation nationale s’aligne sur la convention CEDAW, les pratiques coutumières locales privant les femmes de leurs droits à la terre sont susceptibles, au quotidien, de faire force de loi.

Promouvoir l’ingéniosité des femmes et leur résilience

Malgré tous ces défis, les femmes et les filles qui traversent des crises font preuve, par nécessité, de résilience et d’ingéniosité. Elles possèdent, en outre, une multitude de connaissances permettant de faire progresser les processus de paix et les initiatives humanitaires. Les expériences et autres recherches montrent que les femmes font partie intégrante de l’action humanitaire dont bénéficie l’ensemble de la collectivité. Elles sont souvent les premières à répondre aux crises et jouent un rôle prépondérant dans la survie et la reconstruction des communautés.

En Palestine, les femmes dépossédées de leurs terres depuis 1947 se sont engagées dans l’agriculture, renforçant leur résilience et leur résistance pour lutter contre l’occupation et faire face au régime de bouclage et d’apartheid instauré par l’État israélien. Il s’agit, entre autres, de sauver, partager et cultiver les variétés de semences traditionnelles. Une femme palestinienne de Cisjordanie a lancé la première et unique banque palestinienne de semences patrimoniales (Palestine Heirloom Seed Library), chargée de préserver et diffuser à grande échelle des semences traditionnelles, tandis que le Forum des femmes engagées dans l’agriculture urbaine vise à préserver et partager des semences à faire pousser sur les toits et dans les jardins des villes densément peuplées de Gaza et dans les camps de réfugiés. Ces activités contribuent non seulement à offrir un accès à une alimentation saine et fraîche mais elles traduisent également une forme de résistance aux mesures israéliennes qui menacent de faire sombrer dans l’oubli les traditions agricoles palestiniennes.

Dans de nombreuses régions de l’Ouganda, les femmes ont réussi à survivre aux chocs financiers en mettant à profit leurs talents dans le secteur du travail informel, devenant tour à tour vendeuses de nourriture dans les rues, agricultrices ou pêcheuses, ou exécutant toute autre tâche susceptible de leur assurer un revenu.

Grâce à leurs capacités à survivre et à renforcer leur autonomie, ces femmes ont été accusées de sorcellerie, faisant l’objet d’une véritable « chasse aux sorcières ». En raison de ces accusations, elles ont été dépossédées de leurs terres, de leurs maisons et de leurs ressources financières et mises au ban de la société.

Mais, contre toute attente, ces femmes se sont mobilisées et ont gagné le soutien des organisations locales, s’efforçant de lutter contre de telles pratiques au moyen d’instruments juridiques et d’actions de sensibilisation.

Les victimes, de même que les groupes de défense des droits des femmes, s’élèvent de plus en plus contre l’érosion des traditions, au travers de mécanismes juridiques et en faisant valoir leurs revendications. En Inde, ainsi que dans plusieurs pays africains, des formations sont organisées pour évaluer le coût réel des pertes que subissent les femmes en raison de ces pratiques discriminatoires.

Les crises engendrent les conditions de vie les plus inconcevables et les plus défavorables, notamment pour les femmes, qui en sont les principales victimes. Nous avons pu voir à quel point les femmes continuent de se mobiliser et de jouer un rôle de première importance dans la résistance et le changement, y compris durant les crises.

À l’approche de la Journée internationale des droits des femmes, nous souhaitons rappeler aux gouvernements, ainsi qu’à tous les acteurs travaillant dans des contextes humanitaires et de crise, que se contenter d’aligner les lois nationales sur les normes internationales ne suffit pas. Les droits des femmes couchés sur papier doivent être appliqués dans leur vie quotidienne.

Cet objectif peut être atteint au travers d’une évaluation systématique des résultats des réponses aux crises obtenus sur le terrain, en prenant davantage en compte la question du genre. Il importe également d’offrir aux femmes concernées la possibilité de participer sur un pied d’égalité à la prise de décision, notamment pour répondre aux crises et s’attaquer à leurs causes profondes. Bien qu’il appartienne en premier lieu à nos gouvernements de garantir les droits humains, la société civile et les citoyens ordinaires peuvent jouer un rôle d’observateurs non négligeable durant ces crises. Il est de notre devoir à tous de participer à la transition vers un monde juste, équitable et durable.