L’OIT condamne sans équivoque le Bélarus – mais également le soutien de la Chine et de la Russie à Loukachenko

L'OIT condamne sans équivoque le Bélarus – mais également le soutien de la Chine et de la Russie à Loukachenko

A worker poses for a photo during an opposition rally in Independence Square in Minsk, Belarus, on 17 August 2020. Since that time, thousands of people have been persecuted, violently attacked and arrested for calling for an end to the almost 27-year regime of President Alexander Lukashenko.

(AP/Evgeniy Maloletka)

Lors de sa Conférence internationale du Travail (CIT) annuelle, organisée en juin, l’Organisation internationale du Travail (OIT) a vivement critiqué les violations flagrantes des normes internationales du travail au Bélarus. Dans son rapport, la Commission d’experts de l’OIT, tout comme l’avait fait précédemment le Comité de la liberté syndicale, a pointé du doigt les graves violations des droits fondamentaux des travailleurs au Bélarus.

Un grand nombre d’entre eux ont été victimes de persécutions, de violences, d’arrestations et de licenciements pour avoir participé à des manifestations pacifiques contre les fraudes électorales du mois d’août l’an dernier. Les services de police se sont livrés à des violences sans précédent contre des dizaines de milliers de manifestants pacifiques. Les membres des syndicats d’étudiants ont été expulsés des universités, tandis que les affiliés des syndicats autonomes ont été systématiquement harcelés pour les pousser à quitter leur organisation sous peine de perdre leur emploi.

Des travailleurs ont été incarcérés pour des incidents mineurs afin d’empêcher d’autres actions de protestation. Au mois de février, trois jeunes sidérurgistes ont été condamnés à des peines allant de deux ans et demi à trois ans de prison pour avoir pris part à une grève au sein de l’usine Byelorussian Steel Works (BMZ). Au cours de ce même mois, les bureaux du syndicat biélorusse des travailleurs de l’industrie de la radio et de l’électronique (REP) ont été perquisitionnés par les services de police, forçant le président de l’organisation à fuir le pays.

Sur la base du rapport, la Commission de l’application des normes (CAN), au sein de laquelle siègent les organisations syndicales et patronales représentant les 187 États membres de l’OIT, a examiné la situation du Bélarus. La décision majoritaire de la plus haute instance de contrôle des normes internationales du travail est sans équivoque. Prenant acte des « nombreuses allégations de l’extrême violence exercée pour réprimer des manifestations et des grèves pacifiques, ainsi que de la détention, de l’emprisonnement et de la torture de travailleurs pendant leur détention, à la suite de l’élection présidentielle d’août 2020 », l’OIT prie instamment le gouvernement de :

• Rétablir sans délai le plein respect des droits et libertés des travailleurs.
• Garantir une protection adéquate, voire l’immunité, contre toute mesure de détention administrative aux responsables syndicaux dans l’exercice de leurs fonctions ou de leurs libertés publiques (liberté d’expression, liberté de réunion, etc.).
• Prendre des mesures pour faire libérer tous les syndicalistes encore en détention et abandonner toutes les charges découlant de la participation à des manifestations pacifiques et à des actions revendicatives.
• S’abstenir d’arrêter et de placer en détention des dirigeants et des syndicalistes menant des activités syndicales légitimes ou de se livrer à des actes de violence, d’intimidation ou de harcèlement, notamment judiciaire, à leur égard.
• Enquêter sans délai sur les cas présumés d’intimidation ou de violence physique en ouvrant une enquête judiciaire indépendante.

L’OIT a aussi fermement condamné la décision du président Alexandre Loukachenko, annoncée durant une réunion avec Mikhail Orda, dirigeant de la FBP (la fédération des syndicats biélorusses, le pseudo-syndicat d’État), obligeant toutes les entreprises privées à former un syndicat au sein de leurs structures, sous peine de liquidation. Il s’agit non seulement d’une violation flagrante du principe de liberté syndicale, mais aussi d’une preuve démontrant que les syndicats officiels à la solde de l’État ne sont pas des organisations mises en place pour véritablement représenter les travailleurs, mais bien des points d’entrée permettant au président Loukachenko de contrôler le personnel et les employeurs du secteur privé.

Sans surprise, le représentant du gouvernement biélorusse a rejeté ces allégations lors de la CIT. Le dirigeant des syndicats de l’État, en fidèle serviteur du régime, a justifié l’arrestation des syndicalistes participant à des manifestations ou des grèves en rappelant que les grèves pour motifs politiques sont également interdites en Allemagne et dans d’autres pays. Les experts de l’OIT avaient cependant déjà souligné la différence fondamentale qui existe entre les syndicats qui opèrent au sein d’une société démocratique et ceux qui luttent pour la démocratie en tant que telle. Ils ont rappelé que les actions de grève à caractère politique visant à défendre et faire respecter les libertés démocratiques font partie des droits fondamentaux garantis par la Convention 87 de l’OIT relative à la liberté syndicale.

Le gouvernement Loukachenko s’est toutefois montré intransigeant. Le représentant du gouvernement est passé à l’offensive, accusant le Congrès biélorusse indépendant des syndicats démocratiques (BKDP) de prendre des mesures contre les intérêts de l’État et du gouvernement et de pratiquer un lobbying destructeur contre le Bélarus.

Alors que se déroulaient les négociations à Genève, le gouvernement a décidé de durcir le droit pénal, une mesure qui, entre autres, a conduit de facto à la suppression totale de la liberté d’association. « Discrédit de la République du Bélarus » et « Insulte aux représentants de l’État » sont aujourd’hui devenus de nouvelles infractions pénales. Dans un courrier adressé à l’OIT, Aliaksandr Yarashuk, président du BKDP, indique : « Le droit des citoyens de participer à des réunions pacifiques est pratiquement supprimé, de même que le droit des organisations syndicales d’exercer librement leurs activités. Cette législation mise en place par les autorités affranchit davantage encore le Bélarus de la mise en œuvre de la recommandation de la Commission d’enquête de l’OIT, appelant à aligner la loi relative aux événements publics sur l’article 3 de la Convention 87. »

Soutien de la Chine et de la Russie

À Genève, le président Loukachenko a également pu compter sur le cartel des pourfendeurs de libertés, qui se soutiennent mutuellement au sein des instances des Nations unies. Le gouvernement chinois a déclaré : « Le gouvernement du Bélarus reste fermement attaché aux principes fondamentaux et aux droits des travailleurs et se montre ouvert au dialogue social au travers d’une coopération constructive avec les partenaires sociaux ».

À son tour, le Bélarus a encensé la Chine lors de la discussion portant sur les droits syndicaux à Hong Kong en déclarant : « Le Bélarus a constaté une approche positive et systématique du gouvernement de la République populaire de Chine pour renforcer les relations sociales et professionnelles dans la RAS de Hong Kong. Nous pensons que le gouvernement chinois se montre attentif et observe scrupuleusement ses obligations en vertu de la Convention 87. »

La Russie a surenchéri, non seulement en défendant le Bélarus, mais aussi en critiquant les pays qui dénoncent des violations des droits humains : « La Fédération de Russie appuie sans réserve les arguments de ses collègues du Bélarus concernant la mise en œuvre par Minsk des dispositions de la convention... Et nous jugeons préoccupant de voir les membres des Nations unies alimenter sciemment un discours opposé au Bélarus. »

Dans ses conclusions, l’OIT demande au Bélarus de prendre des mesures concrètes pour respecter les droits humains internationaux et rappelle à la communauté internationale l’impératif moral de ne pas rester bras croisés. La population du Bélarus fait preuve d’un grand courage en poursuivant ses manifestations pacifiques. Plus de 30 000 personnes ont été arrêtées, un nombre incalculable de manifestants ont été passés à tabac et torturés et, chaque jour, des citoyens sont harcelés par le KGB, leurs domiciles perquisitionnés, tandis que d’autres perdent leurs emplois ou craignent pour la sécurité de leurs proches.

Face à la poursuite de la répression au Bélarus, le monde entier doit se montrer solidaire de la population, mais aussi prendre des mesures politiques claires à l’égard du régime de Loukachenko.

• Les sanctions individuelles devraient être étendues à bon nombre de hauts responsables des services de sécurité, du pouvoir judiciaire, des médias, de l’administration présidentielle et du gouvernement.
• D’autre part, tous les instruments appropriés devraient être étudiés pour intensifier les pressions politiques et économiques.
• Les médias indépendants, les organisations de la société civile et les syndicats au Bélarus ou en exil ont besoin d’un large soutien, autre que bureaucratique.
• Les frontières de l’UE doivent être ouvertes aux personnes désireuses ou contraintes de quitter le Bélarus pour des motifs politiques. Toute personne souhaitant échapper au régime d’Alexandre Loukachenko devrait se voir offrir la possibilité de suivre des études, de mener des recherches ou de travailler en Europe.