Kazakhstan: Arrestations de syndicalistes et grève suite à la répression du gouvernement

Kazakhstan: Arrestations de syndicalistes et grève suite à la répression du gouvernement

In 2011, the oil town of Zhanaozen was the site of one of the worst massacres in Kazakh history when 14 striking oil workers were shot dead by police.

(Joanna Lillis)
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La radiation d’un syndicat indépendant sur ordre d’un tribunal kazakh a conduit à l’arrestation récente de deux dirigeants syndicaux, de même qu’à une escalade du mouvement de grève de la faim des travailleurs du pétrole dans l’ouest du pays.

Le 4 janvier 2017, un tribunal économique dans la ville de Shymkent, dans le sud du pays, a ordonné la fermeture nationale de la Confédération des syndicats indépendants du Kazakhstan (KNPRK), avec une échéance fixée au 4 février, au motif que le syndicat aurait manqué de réenregistrer des sections syndicales dans au moins neuf des 16 régions du pays.

La nouvelle fut suivie d’agitations ouvrières et, le 20 janvier, le dirigeant syndical des travailleurs du pétrole, Amin Yeleusinov, ainsi que son adjoint Nurbek Kushakbaev, furent tous deux arrêtés pour avoir lancé le mot d’ordre de grève.

En vertu d’une nouvelle loi syndicale rédhibitoire adoptée en 2014 – qui a été vivement condamnée pour sa non-conformité aux normes internationales – toutes les centrales syndicales nationales sont tenues de s’enregistrer au niveau régional dans plus de la moitié des provinces du pays, et ce à l’intérieur d’un laps de six mois à compter de leur établissement.

Après de nombreux retards, la KNPRK a finalement été enregistrée en février 2016, toutefois, selon les organisations de défense des droits des travailleurs et humains, les efforts consentis par la KNPRK pour se conformer aux nouvelles règles ont été systématiquement compromis.

La Confédération syndicale internationale (CSI) cite, à titre d’exemple, le cas de certains syndicats qui ont écopé de « plus de 25 rejets, dont aucun n’était légalement justifié, avant que leur demande d’enregistrement ne soit approuvée».

Les syndicats affiliés à la KNPRK représentant les travailleurs des services de santé et les travailleurs domestiques ont également été radiés du registre, ce qui – à moins d’une révocation de la décision du tribunal – rendra ces syndicats illégaux.

Human Rights Watch (HRW) a qualifié la décision judiciaire du 4 janvier de « violation flagrante » des droits fondamentaux des travailleurs garantis internationalement et lancé un appel en faveur de sa révocation.

« En fermant cette organisation syndicale, les autorités ont amorcé un inquiétant retour en arrière », a affirmé Hugh Williamson, directeur pour l’Europe et l’Asie centrale chez HRW, dans un communiqué diffusé le 10 janvier. « Le Kazakhstan a pris l’engagement international de protéger la liberté d’association, or cette décision va dans le sens opposé. »

La réponse des syndicats du pays a été mitigée. Ce que les observateurs attribuent à la répression à l’encontre des leaders syndicaux de la part des autorités et aux craintes de voir d’autres syndicalistes de haut rang et leurs proches subir des représailles semblables à celles subies par Yeleusinov et Kushakbaev.

Immédiatement à la suite du jugement du 4 janvier, par exemple, la présidente de la KNPRK, Larisa Kharkova, a critiqué le déroulement de la procédure, en affirmant que son syndicat avait été privé de toute possibilité de plaider sa cause devant le tribunal. Cependant, quelques jours plus tard, elle a changé de propos.

« Nous ne pouvions syndiquer le nombre requis de membres et le ministère de la Justice a donc intenté une procédure en vue de la radiation et la dissolution de la Confédération des syndicats indépendants du Kazakhstan, qui est, à notre avis, fondée [du point de vue juridique] », a déclaré madame Kharkova dans une conférence de presse, le 12 janvier, à Shymkent.

Cependant, la réaction d’une partie des travailleurs à la radiation a été sans équivoque. Le 5 janvier, environ 90 travailleurs de l’entreprise de construction pétrolière LLP, dans la région pétrolière de Mangystau, dans l’ouest du pays, ont entamé une grève de la faim.

D’après Radio Free Europe/Radio Liberty, des centaines d’autres travailleurs d’entreprises de services pétroliers se seraient, depuis, joints à l’action protestataire, portant le total des grévistes de la faim à plus de 400.

Les travailleurs demandent que le parti au pouvoir, Nur Otan, ordonne le rétablissement de la KNPRK. Cependant, la section régionale de Nur Otan dément avoir reçu la moindre pétition des travailleurs du pétrole.

 

Malaise dans l’industrie pétrolière

L’industrie du pétrole et du gaz ont été au centre d’une grande partie des troubles sociaux surgis ces dernières années au Kazakhstan. Bien que le Kazakhstan se maintienne fermement à la quinzième place mondiale des pays producteurs de pétrole, et malgré le fait que le secteur contribue plus de 60% du PIB national, le ralentissement pétrolier mondial a entraîné une baisse des salaires et des heures de travail pour les travailleurs du secteur.

D’autre part, en décembre 2011, la ville pétrolière de Zhanaozen, dans la région occidentale de Mangystau, a été le théâtre de l’un des pires massacres de l’histoire du Kazakhstan quand un mouvement protestataire en cours depuis plusieurs mois revendiquant de meilleurs salaires et conditions de travail s’est soldé par la mort tragique de 14 manifestants aux mains de la police.

Bien que la KNPRK ait soutenu les grèves des travailleurs du pétrole en 2011, Larisa Kharkova a enjoint les grévistes de mettre fin à leurs actions au motif que « cela ne servira à rien mais les gens eux vont souffrir ».

Madame Kharkova a, toutefois, subi des pressions considérables de la part des autorités, y compris la perquisition de son domicile, une descente dans ses bureaux, la confiscation de son ordinateur et de nouvelles accusations de détournement de fonds.

« Des policiers ont menacé d’engager de nouvelles poursuites contre Kharkova à moins qu’elle ne démissionne de son poste de présidente de la confédération », a indiqué l’HRW. « Le syndicat considère les poursuites contre Kharkova comme un acte d’intimidation qui vise à dissuader le syndicat de se pourvoir en appel contre l’ordre de fermeture. »

 

Risque de « radicalisation et de déstabilisation »

Interviewé par Equal Times, Anton Leppik, secrétaire exécutif du Conseil régional paneuropéen de la Confédération syndicale internationale, a indiqué que depuis les événements de Zhanaozen en 2011, les autorités kazakhes ont traité les actions collectives comme une « menace à la sécurité ». Cependant, en ôtant les restrictions à la liberté syndicale, le gouvernement pourrait désamorcer le risque d’une escalade du conflit.

« En restreignant les possibilités légales qu’ont les gens d’adhérer aux organisations syndicales de leur choix et de défendre leurs intérêts par leur biais, le gouvernement ne fait que fomenter les conditions pour une radicalisation et une déstabilisation accrues. »

De telles restrictions constituent une « atteinte flagrante » aux engagements auxquels a souscrit le Kazakhstan en vertu de la Convention 87 de l’OIT sur la liberté syndicale, a indiqué Leppik.

Le refus du gouvernement de mettre en œuvre les normes de l’OIT pourrait, à terme, conduire à la fermeture de différents programmes et activités menés par l’organe onusien au Kazakhstan, a fait remarquer Leppik, ajoutant que cette non-conformité est aussi susceptible de nuire à la coopération entre le Kazakhstan et l’Union européen, l’OCDE, la Banque mondiale et les autres institutions financières internationales.

« La perte de sa réputation en tant que partenaire de confiance qui respecte ses engagements – ceux-là mêmes qui sont respectés par les autres partenaires nationaux et internationaux – aurait certainement des implications pour la coopération internationale et les projets [du Kazakhstan]. C’est ce que nous avons pu constater dans le cas du Belarus. »

L’HRW a appelé instamment les principaux partenaires économiques du Kazakhstan, y compris l’Union européenne et ses États membres et les États-Unis, à peser de tout leur poids sur le gouvernement pour qu’il révoque la dissolution de la KNPRK et à prendre les dispositions qui s’imposent pour que le pays remplisse ses obligations internationales à respecter les droits des travailleurs.

« Si le Kazakhstan tient à réaliser ses ambitions sur la scène mondiale, y compris en tant que plaque tournante internationale pour les investisseurs, il devrait commencer par respecter les normes internationales du travail », a déclaré Williamson.