Justin Trudeau ne charme pas tous les travailleurs canadiens

À l’autre bout du fil, Charles Fleury, secrétaire-trésorier national du Syndicat canadien de la fonction publique, pousse un long soupir. Pour lui, l’image que projette Justin Trudeau est un obstacle quotidien. Les critiques à son égard sont souvent rejetées du dos de la main par le commun des mortels. Pendant ce temps, selon lui, les droits des travailleurs font du surplace.

« La population canadienne vit une longue lune de miel avec Justin Trudeau. Son ton casse avec son prédécesseur, c’est certain. Mais si vous voulez mon avis, ce n’est qu’une façade. Dans le fonds, son discours est le même que celui du gouvernement qui l’a précédé au pouvoir » affirme Fleury.

Dans une lettre envoyée à l’ensemble des fonctionnaires fédéraux durant la campagne électorale en 2015, Justin Trudeau promettait pourtant de réparer les dégâts causés par son prédécesseur, le chef du Parti conservateur Stephen Harper.

« La vision que je me fais de notre fonction publique diffère fondamentalement de celle de Stephen Harper. Là où il voit un adversaire, je vois un partenaire, » écrivait-il.

« J’estime qu’une fonction publique appréciée des Canadiens, qui est aussi une source de fierté pour ses membres, doit être appréciée par son gouvernement. »

Un an plus tard, les syndicats du pays peinent pourtant à voir des progrès. Lors de la reprise des négociations entourant les conventions collectives des employés fédéraux, entamées sous le gouvernement Harper, aucune avancée n’a été notée.

Le mandat donné à la table demeurait par ailleurs exactement le même.

« Pourtant, ce qu’on nous proposait sous Harper était une catastrophe, » soutient Magali Picard, vice-présidente exécutive régionale pour le Québec de l’Alliance de la fonction publique du Canada (AFPC), dans un entretien avec Equal Times. « Il s’agissait des pires annonces qu’un employeur ait faites à des fonctionnaires dans les 30 dernières années, dont un régime minceur à l’assurance-emploi, l’abolition de 35 000 emplois dans la fonction publique et la volonté d’introduire des régimes de retraite à prestation ciblé. On parlait d’un recul indécent et d’un manque total de respect. »

Pour répondre à l’absence de changement, l’AFPC a lancé une campagne nationale à l’automne 2016 afin d’exhorter le premier ministre à respecter ses promesses. « Il nous avait promis de faire les choses autrement tout au long de sa campagne. C’est toute la population qui compte sur lui. Il est temps qu’il tienne ses promesses et qu’il passe de la parole aux actes », ajoute-t-elle.

Les principaux points de discorde concernaient les augmentations de salaire, les droits des employés dans les épisodes de réaménagement des effectifs, ainsi que le recours à la sous-traitance.

Depuis cette initiative, le ton a changé à la table des négociations. Des ententes ont été signées pour de grands groupes de travailleurs et des avancées importantes ont été effectuées, notamment en ce qui a trait aux congés de maladie et au réaménagement des effectifs.

« À la défense du gouvernement, je crois qu’il manquait de préparation. Il ne s’attendait pas à être élu majoritaire et n’avait pas pris le temps d’étudier tous les dossiers. Je ferai un bilan en temps et lieu, mais pour l’instant, je préfère demeurer optimiste que le message est passé », conclut Picard.

La situation n’est pas aussi rose à l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (IPFPC). « Nous sommes toujours en négociation pour près de la moitié des employés fédéraux que nous représentons, et nous attendons toujours des signaux positifs à l’endroit de la formation continue professionnelle dans les conventions collectives », signale Stéphane Aubry, vice-président.

En attente du progrès promis

Certains syndicats s’inquiètent également de décisions politiques ou d’inactions qui, bien qu’aucunement en lien avec les conventions collectives, ont un impact indirect sur les travailleurs.

C’est notamment le cas des transferts fédéraux en santé, une enveloppe offerte annuellement aux provinces canadiennes afin de bonifier leur système de santé respectif.

Tout comme son prédécesseur, le nouveau ministre canadien des Finances, Bill Morneau, a répété qu’il n’accepterait pas que les augmentations annuelles des transferts dépassent 3 % ; une proposition que les provinces et plusieurs groupes de défense des droits des travailleurs jugent insuffisante.

« Ça a un impact considérable sur les services à la population, » affirme Fleury. « Au Québec, pour compenser, le gouvernement a choisi de procéder à une fusion des établissements. Cela crée une surcharge de travail sur les professionnels de la santé et, par le fait même, une augmentation des congés de maladie. »

Plusieurs promesses du gouvernement libéral ont également été laissées en plan.

« Les Libéraux avaient pris des engagements fermes pour rapidement réduire l’usage de la sous-traitance dans la fonction publique et engager le processus d’équité salariale. Il n’y a malheureusement eu aucune action concrète sur ces trois fronts », déplore Aubry de l’IPFPC.

Le gouvernement du Canada se dit de son côté déterminé à rétablir une culture de respect envers la fonction publique fédérale et au sein de celle-ci.

Il rappelle qu’il a entamé des actions afin d’abroger certaines lois mises en place par les conservateurs, dont une qui aurait fait en sorte que l’arbitrage salarial soit dépendant des priorités budgétaires du gouvernement – un changement acclamé par différents syndicats du pays.

« Ces lois auraient permis de déroger de façon unilatérale aux négociations collectives avec le service public et de changer le régime de relations de travail sans aucune consultation », indique le Secrétariat du Conseil du Trésor.

L’équipe de Justin Trudeau a par ailleurs mis en place des stratégies et des groupes de travail afin de favoriser un environnement de travail sain et respectueux, ainsi que pour renforcer la diversité et l’inclusion au sein de la fonction publique.

Les syndicats interrogés ont tenu à souligner certains efforts en matière de relations de travail au sein de l’appareil gouvernemental, tels que la bonification du Régime de pensions du Canada, ainsi que la reconnaissance de la liberté d’expression scientifique dans les conventions collectives des chercheurs et scientifiques canadiens.

CETA

Bien que les manifestations et les dénonciations aient été moins nombreuses au Canada qu’en Europe, de nombreux syndicats du secteur privé canadien se sont insurgés contre l’accord commercial entre l’Union européenne et le Canada (CETA) promu par Trudeau et signé en octobre 2016.

« Il y a tout simplement trop de défauts dans cet accord pour que l’on puisse aller de l’avant avec sa mise en œuvre », soutient Jerry Dias, président national d’Unifor, le plus grand syndicat du secteur privé. « Le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États continue de donner trop de pouvoirs aux sociétés, il va y avoir des pertes d’emplois, les inégalités seront accentuées et les coûts des médicaments vont augmenter. »

Avant la signature, le président du Syndicat canadien de la fonction publique, Mark Hancock, a lui aussi exhorter le gouvernement canadien à ne pas ratifier le CETA, tout comme le directeur national du Syndicat des Métallos, Ken Neumann.

« Dans son état actuel, l’accord est fondamentalement boiteux. Il fait passer les intérêts de l’entreprise privée avant ceux des Canadiens », affirmait-il.

This article has been translated from French.