Il est urgent de délivrer un carton rouge contre les agressions sexuelles dans le monde du football haïtien

Il est urgent de délivrer un carton rouge contre les agressions sexuelles dans le monde du football haïtien

In this 14 May 2020 photograph, a protester holds up a sign that reads in Creole “The laws have to bring light,” during a hearing of president of the Haitian Football Federation, Yves Jean-Bart, regarding allegations that he abused female athletes at the country’s national training centre.

(AP/Dieu Nalio Chery)

Stéphanie (un pseudonyme) est née en Haïti, où elle a grandi en jouant au football avec talent et enthousiasme. Repérée pour intégrer l’équipe nationale, quelle ne fut pas sa joie d’être invitée à vivre et s’entraîner au Centre technique national de Haïti, dans la commune de Croix-des-Bouquets, également appelé le « Ranch ». Mais ce qui aurait dû être le lieu de la réalisation de son rêve s’est rapidement transformé en cauchemar, lorsque Stéphanie et une autre jeune résidente du Ranch, âgée de 12 ans, ont compris qu’elles étaient en permanence exposées au risque de se faire agresser sexuellement par des responsables de la fédération de football – ces dirigeants auxquels nous accordons notre confiance et qui sont censés protéger les enfants qui leur sont confiés.

Au mois d’avril, le quotidien britannique The Guardian a publié un article dénonçant des abus sexuels et des mauvais traitements au Centre national de formation de Haïti. Les victimes et leurs familles ont accusé le président de la Fédération haïtienne de football, Yves Jean-Bart, de forcer de jeunes joueuses à avoir des relations sexuelles avec lui.

Depuis le mois de mai, Human Rights Watch mène des entretiens avec de nombreux témoins, recueillant des preuves attestant des violations systématiques des droits humains dans le monde du football haïtien. Des responsables de la fédération ont notamment confisqué les passeports des joueuses, bafoué leurs droits du travail et livré certaines athlètes à l’exploitation sexuelle.

Les témoins et victimes de ces abus ont reçu des menaces de mort, à l’annonce d’une enquête menée par la FIFA à propos de ces accusations.

La Commission d’éthique indépendante de la FIFA a envoyé ses propres équipes sur le terrain en Haïti, tandis que Human Rights Watch a collaboré avec la FIFA pour garantir que les survivantes puissent être conseillées et bénéficier de la protection des témoins. Human Rights Watch a fourni à la FIFA des preuves d’abus spécifiques, tout en protégeant l’identité des victimes. La FIFA a procédé à la suspension de Yves Jean-Bart, le président de la Fédération haïtienne de football au mois de mai 2020, de deux autres membres du personnel de la fédération au mois d’août et d’un dernier membre au mois d’octobre. Au total, quatre représentants font actuellement l’objet d’une enquête de la FIFA pour avoir prétendument participé à des agressions sexuelles sur de jeunes joueuses et commis d’autres exactions.

Stéphanie n’a jamais été rémunérée durant toutes les années où elle a joué pour l’équipe nationale haïtienne. Lorsqu’elle a cherché à progresser dans sa carrière de joueuse professionnelle, le personnel de la fédération lui a déclaré que ses contrats et ses opportunités de jouer à l’étranger dépendraient de son consentement à coucher avec le président. Lorsqu’elle avait 16 ou 17 ans, se rappelle-t-elle, Yves Jean-Bart a posé la main sur sa jambe pour lui proposer de l’accompagner. Elle n’a pas accepté, mais a vu des membres du personnel féminin de la Fédération haïtienne de football réveiller des filles tôt le matin pour « aller chez le médecin » et ne les voir revenir que très tard dans la nuit. « Tant le personnel que les responsables du centre savaient ce qu’il se passait », nous confie-t-elle.

À l’instar des nombreuses joueuses que nous avons interviewées, Stéphanie a expliqué aux enquêteurs que les dirigeants du centre confisquaient définitivement leur passeport, une pratique visant à contrôler et à limiter leurs déplacements et à les livrer à la traite des êtres humains. Les athlètes font également état de manipulations et de mesures coercitives associées à cette pratique, amenant à une répétition systématique et terrifiante des maltraitances. Sans passeport, expliquent les athlètes, impossible de fuir en toute sécurité à l’étranger pour dénoncer ces abus.

Protéger les jeunes athlètes

La confiscation des passeports, les conditions de travail dangereuses et la manipulation des joueuses de football à des fins d’exploitation sexuelle sont autant d’actes répréhensibles qui doivent faire l’objet d’une enquête nationale et de poursuites pénales et civiles. En ce qui concerne les jeunes athlètes qui ont fait du sport leur métier, il est également possible de soumettre une plainte auprès de l’Organisation internationale du Travail (OIT). La Convention 182 de l’OIT (relative aux pires formes de travail des enfants), ratifiée par le gouvernement haïtien en 2007, fournit un instrument pouvant contraindre ce dernier à rendre des comptes concernant les événements survenus dans le pays.

La violence fondée sur le genre est un problème généralisé en Haïti et les femmes et les filles se battent pour réclamer justice. Human Rights Watch dénonce depuis longtemps les multiples obstacles auxquels se heurtent les femmes et les filles haïtiennes victimes de violences sexuelles qui réclament justice, notamment des menaces ou des reproches de la part de certaines franges de la population. D’autres subissent des représailles pour avoir introduit une plainte pénale, les forçant à abandonner leurs accusations.

Autre problème, Haïti traverse actuellement ce que la Confédération syndicale internationale appelle « une des pires crises humanitaires et sociales » de son histoire.

Les dirigeants syndicaux sont face à une vague d’attaques, de licenciements, d’arrestations et de menaces de mort, tandis que la conjonction de plus en plus importante de problèmes politiques, sociaux, économiques et sanitaires risque de déclencher un véritable tsunami.

Les abus sexuels au sein de la fédération haïtienne de football ne sont pas un problème isolé. En Afghanistan, par exemple, les membres de l’équipe nationale de football féminin ont porté des accusations contre le président de la Fédération afghane de football, Keramuudin Karim, et d’autres responsables, faisant état de violence, de harcèlement et de discrimination à caractère sexuel. En 2019, la FIFA a condamné Keramuudin Karim à une interdiction à vie de travailler dans ce secteur et à une amende de 1 million de francs suisses (environ 935.000 euros). La FIFA a tout d’abord suspendu Keramuudin Karim et d’autres membres de la direction durant l’enquête faisant suite aux plaintes pour agression sexuelle, avant de les exclure définitivement de ce sport.

Il nous faut rendre hommage à l’énorme courage des athlètes victimes en Haïti et en Afghanistan qui ont pris le risque de sortir du silence et de dénoncer les abus dont elles ont été victimes au sein des fédérations de football pour protéger les autres jeunes athlètes.

Ces pratiques scandaleuses observées en Haïti ou ailleurs nous rappellent le besoin urgent de protéger la santé et la sécurité des athlètes dans les milieux sportifs, en particulier les plus jeunes, et de prévoir des sanctions pour ceux qui abusent de la confiance d’autrui et qui foulent au pied les lois pénales, les droits des travailleurs et les droits humains. Ces exemples nous montrent en outre l’importance de mettre en place des systèmes de prévention et de contrôle efficaces, pour éviter que d’autres jeunes athlètes soient victimes à leur tour de ce type de violence. Il importe également d’adopter une approche de la justice et du recours qui soit centrée sur les victimes.