Il est désormais temps d’établir un tribunal international du travail

Il est désormais temps d'établir un tribunal international du travail

The International Labour Conference, which is held in Geneva every summer, hosts the closest thing the world has to an international labour court: the ILO Committee on the Application of Standards (CAS), which hears reports of workers’ rights violations.

(ILO)

De nombreux consommateurs sont consternés d’apprendre que les produits qu’ils achètent sont fabriqués par des travailleurs exploités et ont revendiqué des mesures de la part des entreprises et des gouvernements ; il en résulte un corpus législatif croissant pour régir les chaînes d’approvisionnement mondiales.

La plus avancée d’entre elles est la législation allemande sur les chaînes d’approvisionnement, la Lieferkettengesetz. À partir du 1er janvier 2023, les travailleurs et leurs défenseurs pourront poursuivre les entreprises allemandes devant les tribunaux allemands en cas de violation des droits environnementaux et des droits humains, y compris des droits des travailleurs.

Une législation similaire, moins ambitieuse, mais visant le même objectif, existe également dans d’autres pays et la Commission européenne a proposé une Directive sur la diligence raisonnable. Si celle-ci est adoptée par le Parlement européen, elle sera transposée dans la législation nationale des États membres.

Les Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales constituent une autre voie de recours. Ces principes directeurs ne sont pas juridiquement contraignants, mais chacun des 50 pays qui y adhèrent dispose d’un point de contact national qui se charge de la résolution des plaintes. Des négociations sont également en cours en vue d’un traité contraignant des Nations unies sur les entreprises et les droits de l’homme.

Le plan d’action d’IndustriALL, adopté au Congrès en 2021, appelle au développement d’un Mécanisme international de conciliation et d’arbitrage du travail (MICAT) pour faire appliquer les accords contraignants entre les fédérations syndicales internationales et les multinationales.

En 2016, IndustriALL et UNI Global ont déposé un dossier d’arbitrage auprès de la Cour permanente d’arbitrage (CPA) contre deux enseignes de confection pour violation de l’Accord du Bangladesh [étendu pour devenir un Accord international, axé sur la santé et la sécurité dans le secteur. Les termes de l’Accord international le rendent juridiquement contraignant, car il est exécutoire dans le pays d’origine des signataires.]

Basée à La Haye, la CPA est un service d’arbitrage international qui peut résoudre les différends contractuels par l’arbitrage, la conciliation et la médiation. Dans le cas du Bangladesh, c’est la première fois qu’elle a été utilisée pour résoudre un conflit entre des fédérations syndicales internationales et des multinationales. La première enseigne a conclu un accord en décembre 2017 et la seconde en janvier 2018. En 2018, la CPA a clos l’affaire car les enseignes ont respecté toutes les conditions des règlements, notamment en versant plus de 2,3 millions de dollars pour remédier aux conditions dangereuses dans les usines de confection au Bangladesh. L’Accord a distribué l’argent aux usines éligibles.

Si cette victoire est importante, le processus qui y a mené a été coûteux, long et complexe, ce qui montre que nous avons besoin d’un meilleur moyen de résoudre les conflits du travail internationaux. Dans le cadre de ce règlement, les enseignes ont également contribué au Fonds de soutien des FSI aux travailleurs des chaînes d’approvisionnement. Ce fonds a été utilisé pour financer le développement d’un outil plus approprié, un mécanisme international de conciliation et d’arbitrage du travail, basé sur les Règles de La Haye concernant l’arbitrage des affaires et des droits de l’homme. Les Règles de La Haye mettent en pratique les Principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme, créant ainsi un outil solide, conforme aux normes internationales, qui peut être inclus dans les accords entre les Fédérations syndicales internationales et les entreprises multinationales.

Accords-cadres mondiaux et un « patchwork de mécanismes »

Le mouvement syndical a porté les négociations collectives nationales à un niveau mondial par le biais d’accords-cadres mondiaux (ACM) avec les multinationales. Depuis la signature du premier ACM entre l’UITA, l’internationale des travailleurs de l’alimentation, et la multinationale Danone en 1988, de nombreux accords de ce type ont été signés.

Les ACM utilisent le pouvoir de négociation collective des syndicats dans le pays d’origine d’une multinationale pour étendre les droits des travailleurs aux autres pays où l’entreprise exerce ses activités, en garantissant généralement, et au minimum, la neutralité par rapport au fait syndical et donc l’absence de toute tentative d’empêcher les travailleurs et travailleuses de se syndiquer. Cependant, bien que certains ACM aient une base juridique dans le droit national, il est difficile de les faire appliquer dans toutes les juridictions. Dans certains cas, aucune sanction n’est prévue en cas de violation, si ce n’est le retrait de l’accord.

Pour créer des ACM juridiquement contraignants et dotés d’un mécanisme de résolution des litiges, il faut inclure un mécanisme (MICAT) dans les accords mondiaux. Mais les entreprises sont réticentes à signer des accords contraignants, les considérant comme des mesures restrictives qui ajoutent des responsabilités sans apporter d’avantages.

Ce qui se rapproche le plus d’un tribunal international du travail est la Commission de l’application des normes (CAN) de l’Organisation internationale du travail (OIT), qui examine les rapports sur les violations des droits des travailleurs pendant la Conférence internationale du travail, chaque été. Mais la CAN n’examine que les plaintes déposées contre les gouvernements, et non contre les entreprises, et n’a que peu de pouvoir de sanction.

Il est techniquement possible pour l’OIT de gérer l’arbitrage mondial du travail par le biais d’un accord international, comme l’accord de la CCNUCC sur les émissions (l’accord de Paris) ou la Déclaration universelle des droits de l’homme. Toutefois, cela dépend de la volonté politique des États membres, qui fait actuellement défaut.

L’absence d’un système mondial unique a donné lieu à une mosaïque de mécanismes permettant de réclamer des comptes aux entreprises. Ce patchwork devient de plus en plus dense et complexe et des travaux innovants sont menés pour construire de toutes pièces des mécanismes d’examen des plaintes mondiaux à partir d’éléments existants.

Le moyen le plus efficace est de négocier des accords mondiaux qui incluent un MICAT. Mais même en l’absence de ce dispositif, les syndicats ont réussi à obtenir justice pour les travailleurs et travailleuses en combinant la législation, les principes directeurs de l’OCDE, les engagements pris dans les conventions collectives, les codes de pratique des entreprises, etc.

Dans le secteur du textile et de la confection, par exemple, les syndicats utilisent un certain nombre d’outils :

  • l’Accord international juridiquement contraignant, qui a été signé par 174 enseignes
  • le MICAT, que les membres de l’Accord peuvent utiliser pour résoudre les conflits
  • les ACM entre les fédérations syndicales internationales et les enseignes
  • les réseaux syndicaux, qui permettent aux syndicats des pays d’origine de soulever des questions au nom des syndicats des pays producteurs
  • les législations d’un nombre croissant de pays qui exige que les enseignes fassent preuve de diligence raisonnable.

Étant donné que de nombreux pays en développement ne disposent pas de systèmes de relations sociales ou de sécurité sociale bien développés, certaines enseignes se sont associées à des syndicats pour développer un dialogue social tripartite dans le cadre du programme Action, Collaboration, Transformation (ACT). Ce programme comprend un mécanisme de résolution des conflits, que les parties concernées, enseignes de stature mondiale, usines des fournisseurs, fédérations syndicales internationales et syndicats nationaux, ont accepté de considérer comme contraignant.

De nombreux autres secteurs ont leurs propres composantes qui peuvent être réunies pour traiter les conflits de manière similaire. À mesure que ce réseau de plus en plus dense de textes législatifs, d’accords et de mécanismes se développe, le cadre d’un système mondial commence à prendre forme.

Bâtir une volonté politique pour un système mondialisé

Un défi pour un mécanisme mondial de résolution des conflits constitué d’un patchwork de lois et de conventions nationales est qu’ils ne sont contraignants que dans certaines juridictions. Il ne fait aucun doute que cela constitue un avantage concurrentiel pour les entreprises opérant dans des pays où elles sont libres de violer les droits des travailleurs et crée un désavantage coûteux pour les entreprises qui doivent, elles, faire preuve de diligence raisonnable. L’exemple le plus évident est celui de la Chine, où de nombreux produits sont fabriqués par des travailleurs et travailleuses qui n’ont pas droit à une représentation indépendante.

Cependant, nous ne devons pas oublier que les États-Unis n’ont pas ratifié les principales conventions de l’OIT. De nombreux États américains ont des lois antisyndicales restrictives, et les entreprises nord-américaines n’ont généralement pas signé l’Accord international, les ACM, ni d’autres accords mondiaux.

À court et moyen terme, les syndicats doivent se concentrer sur la mise en place d’un réseau de plus en plus dense de lois, d’accords et d’obligations visant à obliger les entreprises à rendre des comptes, notamment en intégrant un MICAT dans les accords généraux. Plus ces outils seront utilisés, plus il y aura de précédents.

À long terme, cependant, nous avons besoin d’un traité contraignant de l’ONU et d’une convention de l’OIT sur les chaînes d’approvisionnement, ainsi que d’un système mondial d’arbitrage, géré par l’OIT ou par un groupe distinct sur le modèle du GIEC. La meilleure façon de susciter la volonté politique nécessaire est de démontrer qu’un système mondial est moins complexe et plus juste qu’un patchwork de normes bricolées. Il est dans l’intérêt des entreprises et des pays d’insister sur des règles du jeu équitables pour les droits des travailleurs, de la même manière que l’Organisation mondiale du commerce le fait pour le commerce.

La meilleure résolution des conflits est locale : un système d’arbitrage mondial fonctionnerait en soutenant le développement de systèmes d’arbitrage nationaux solides, avec des syndicats indépendants, des associations d’employeurs et des gouvernements nationaux visant à résoudre les conflits au niveau le plus bas possible : idéalement sur le lieu de travail, grâce à l’implication du syndicat. En cas d’échec, la solution pourrait être recherchée dans le système d’arbitrage national et seulement en dernier recours dans le système mondial.

Pour que cela fonctionne, les pays doivent également mettre en place des systèmes de sécurité sociale capables de proposer des voies de recours aux travailleurs, ainsi que des allocations de chômage, des pensions, etc.

De plus en plus d’appels sont lancés dans le monde entier pour que les droits fondamentaux des travailleurs soient universellement reconnus et respectés. De nombreux travailleurs et travailleuses des pays développés ont constaté le lien entre l’exploitation dans les pays en développement, la baisse des salaires et l’érosion de leurs droits dans leur pays. Les normes mondiales du travail mettent fin au nivellement par le bas et protègent les travailleurs et travailleuses partout dans le monde.

Les syndicats doivent contribuer à transformer cet appel en un système mondial capable de réclamer des comptes au capital et de rendre justice aux travailleurs et travailleurs du monde entier.