Gros plan sur Rabiatou Diallo (CNTG - Guinée)

« Aujourd’hui, tout le peuple de Guinée est syndiqué »

« Aujourd’hui, tout le peuple de Guinée est syndiqué »

La Guinée se remet petit à petit des grèves et manifestations réprimées dans le sang voici trois mois. Les contestataires emmenés par les syndicats guinéens ont obtenu la nomination d’un nouveau gouvernement et des avancées sur le plan social, comme une baisse du prix des denrées de base. Cette victoire rend le mouvement syndical très populaire en Guinée, mais elle a coûté la vie à plus de 120 manifestants. Rabiatou Diallo, secrétaire générale de la CNTG (Confédération nationale des travailleurs de Guinée) et récemment élue vice-présidente du Comité des femmes de la CSI, était l’une des chevilles ouvrières des mouvements de contestation. Elle nous parle de la vie quotidienne aujourd’hui en Guinée, de la répression sauvage dont les syndicalistes sont victimes mais aussi de ses espoirs d’un futur meilleur pour les travailleurs guinéens, et plus particulièrement pour les travailleuses.

Où en est la Guinée, trois mois après les mouvements de protestation populaire durement réprimés par le gouvernement ?

Nous avions convenu de la nomination d’un premier ministre et d’un gouvernement de large consensus, ce qui a été réalisé. Mais le travail commence maintenant : il y a des éléments qui se sont enracinés, qui ont pris goût à cette mauvaise gouvernance, à la corruption, à l’impunité, à la gabegie. Ce ne sera pas facile de changer ce système. Selon le protocole signé en janvier 2007, le gouvernement doit pouvoir restructurer toute l’administration pour la redresser (au niveau des ressources humaines, techniques et autres), mais aussi relancer l’économie guinéenne, et donc trouver une solution à l’inflation de la monnaie. Le gouvernement doit aussi pouvoir réviser toutes les conventions dans le secteur minier, des conventions qui avaient été signées n’importe comment. La vie des Guinéens est très difficile actuellement : nous sommes sans eau potable, sans électricité, les soins de santé et l’enseignement sont au plus mal, les hôpitaux ne sont pas suffisamment équipés, … Presque tout est à refaire en Guinée.

Les syndicats guinéens sont désormais soutenus pas toute une population…

Bien sûr. La population a accepté de soutenir les syndicats car elle s’est retrouvée dans nos revendications. Le peuple était fatigué, les gens en avaient ras-le-bol de la manière dont ça se passait. Nous ne sommes pas contre les personnes mais contre les méthodes de travail, la mauvaise répartition des ressources : une minorité profite de la situation au détriment de tout le peuple. Malgré les principes de la CEDAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) concernant la libre circulation des personnes et des biens, nous avons demandé le blocage de l’exportation des denrées alimentaires de première nécessité pour une durée d’un an : la Guinée étant dans une situation exceptionnelle, on ne voyait plus le bon poisson, le Guinéen ne mangeait plus bien, même celui qui avait les moyens ne pouvait pas bien manger car on ne trouvait rien au marché. Tout était exporté, même les balais de ménagères ! Avant cela, le balai coûtait 200 francs guinéens, le prix était monté à 2.000-2.500 francs. Aujourd’hui, il a chuté à 500 francs.

Depuis qu’on a bloqué ces exportations, les gens respirent un peu. Même si le pouvoir d’achat des travailleurs est à terre, ils voient qu’il y a du bon poisson, de la viande, des légumes, des fruits sur la place du marché. C’est déjà un pas. Avant ces mesures, l’Euro était à 9.000 francs guinéens, il est aujourd’hui à 4.000. Les prix des denrées ont baissé conséquemment, sans violence, sans tambour ni tam-tam. C’est pour toutes ces raisons que nous sommes soutenus par la population. Ces mobilisations ont aussi provoqué l’éveil de la conscience des Guinéens. Par exemple, quand ils ont vu que les agents des frontières ne faisaient pas leur travail, des gens ont bloqué les camions et les ont fait décharger. Comme ce sont des denrées périssables, leurs producteurs sont obligés de les vendre, il y a abondance sur le marché et les prix baissent encore plus.

Ces avancées obtenues grâce aux syndicats vous ont-elles apporté de nouveaux membres ?

Cela va sans dire. Je dirais même qu’aujourd’hui, tout le peuple de Guinée est syndiqué. Comme il n’y a pas d’emploi, les jeunes s’étaient constitués en associations. Tous ces groupes courent à présent vers les syndicats, ils pensent que leur bonheur se trouve auprès des syndicalistes, même pour les problèmes qui ne regardent pas les syndicats. Aujourd’hui, la population fait énormément confiance aux syndicats, chacun veut s’affilier aux syndicats, les gens sont fiers d’avoir une carte syndicale. Dans l’économie informelle, quelques travailleurs et travailleuses avaient adhéré aux syndicats par le passé, mais le mouvement des derniers mois a apporté beaucoup plus d’adhérents. Et dans des entreprises où l’on ne pouvait pas sentir les syndicats, les travailleurs se sont réveillés, ils ont demandé la mise en place de syndicats. C’est aussi le cas à l’étranger. En Belgique, j’ai appris que les ressortissants guinéens se regroupent et pensent maintenant qu’il faut adhérer aux syndicats belges qui travaillent avec les syndicats guinéens.

Les syndicats guinéens coopèrent-ils ensemble ?

Nous avons collaboré avec l’USTG (1) dans les accords liés aux deux grèves de 2006. Les autres centrales nous ont rejoints en 2007, lorsque nous avions déjà déposé l’avis de grève du 10 janvier, ils sont venus soutenir le mouvement. Dans les documents signés, nous indiquons donc « Intercentrale CNTG-USTG- élargie à l’ONSLG et à l’UDTG » (2). La CNTG, l’USTG et l’ONSLG (3) sont affiliées à la CSI, l’UDTG ne l’est pas encore mais nous travaillons avec elle et nous allons demander à la CSI d’accepter son affiliation.

Quels sont vos espoirs pour la conférence de reconstruction et de réconciliation nationales que la CSI et ses affiliées guinéennes organiseront du 23 au 25 mai à Conakry ?

Aujourd’hui, le syndicalisme n’est pas simplement un mouvement de revendication. Le syndicalisme réfléchit plus loin, il participe au développement du pays. Les événements de ces derniers mois ont été un succès pour le mouvement syndical sur les plans national, africain et international. Chacun a contribué à cette victoire, mais c’est maintenant que le travail commence, il faut aller jusqu’au bout. La CSI a pris l’initiative de convoquer cette conférence internationale qui nous permettra de regrouper toutes les sensibilités du pays (gouvernement, société civile, partis politiques, …). Nous allons réfléchir sur l’avenir du pays, mais pas seuls : les syndicats africains pourront participer, tout comme ceux que la CSI va inviter, et les bailleurs dans le cadre syndical. On va réfléchir ensemble à ce que l’on peut faire pour la Guinée dans sa reconstruction, dans le renforcement du dialogue social, de la gouvernance, de la démocratie. C’est une suite logique de la sortie de crise. Cette conférence permettra de nous rapprocher, de voir comment panser ces plaies qui sont très profondes. Les Guinéens de l’extérieur vont aussi y participer.

Vous avez subi de graves violences au cours de ces événements. Cela vous a-t-il renforcé dans votre volonté d’être syndicaliste, ou est-ce le contraire ?

Ca m’a beaucoup renforcé. J’ai été blessée par balles, battue, je souffre encore de problèmes de santé lié aux violences que l’on m’a infligées. J’ai aussi perdu ma sœur, qui a eu une crise quand on lui avait annoncé par erreur que j’étais morte. Avant que je ne sois emmenée à l’hôpital, elle était dans le coma. On n’a pas pu la sauver. Elle m’a laissé 5 enfants en bas âge. Je n’ai même pas pu aller à son enterrement car le même jour, il fallait aller à la table de négociations. Je me suis dit « elle est décédée, elle est entre les mains de Dieu aujourd’hui, mais ceux qui ne sont pas morts, il faut les sauver ».

Ils disent qu’ils vont me tuer à petit feu… Récemment, alors que j’étais en mission en Belgique, on m’a appelée de Guinée pour m’avertir qu’on a brûlé ma plantation. Ca faisait des années que je travaillais pour cette plantation avec mon mari, avec la famille, nous avions des arbres fruitiers qui commençaient à produire. Qu’on mette le feu pour raser le tout m’a très affectée.

Avoir de telles souffrances, voir le monde entier se mobiliser pour me soutenir m’a encouragée, ça a renforcé ma position. Je me suis dit que je n’ai pas le droit à l’erreur, je ne dois pas reculer, je dois avancer pour atteindre mon objectif.

Comment conciliez-vous ce militantisme syndical et la vie de famille ?

J’ai 48 ans. J’ai conçu neuf enfants, dont sept sont vivants, et je m’occupe aussi d’enfants orphelins, plus maintenant ceux de ma soeur. Chez moi, c’est une grande famille, j’y suis habituée car je suis issue d’une famille polygame. Je trouve toujours du temps pour l’activité syndicale car ma famille contribue à mon évolution, elle sait ce que je veux, chacun contribue et s’entraide (mon mari, mes parents qui s’occupent des enfants, …). Quand je ne suis pas chez moi, je sais qu’il n’y a pas de problème à la maison. Je n’aurais pas pu évoluer sans ce soutien. Mes voisins et ma famille m’assistent chacun à leur manière car ils ont vu que je voulais percer.

Je suis cependant très inquiète pour mes enfants, qui ne sont pas en sécurité depuis que ces événements ont commencé. Pour limiter les risques, j’ai préféré qu’ils n’aillent pas à l’école. Deux de mes filles doivent passer leur bac cette année, elles ne le pourront pas car elles n’ont pas suivi le programme normal. Mais je tiens bon, avec tout mon espoir, car si je baisse les bras, je vais décourager tout un peuple. Quand je fonce, j’encourage tout le monde, même si je ne reçois pas le bonheur que je souhaiterais. Si je meurs aujourd’hui, les Guinéens pourront au moins aspirer à ce bonheur, et ils diront que c’est grâce à une femme qu’on est sortis de la misère. C’est réconfortant. Mes enfants ou mes petits-enfants obtiendront peut-être ce que je n’ai pas pu obtenir, c’est ma conviction.

Vous êtes l’une des rares femmes occupant un poste de secrétaire générale dans le monde syndical. Quelle a été votre recette pour y arriver ?

La recette est qu’il faut s’y mettre, s’accrocher sans cesse, ne pas baisser les bras. Nous sommes convaincues que l’on ne nous fera pas de cadeau. C’est une lutte. Les femmes sont marginalisées, on les utilise dans la production mais quand il s’agit de partager les responsabilités, nous sommes reléguées au second plan. On ne nous fait pas participer aux grandes décisions. Or, les femmes font moins de dégâts, par exemple dans la gestion, elles analysent mieux car elles pensent d’abord à leur famille. Nous nous battons en utilisant tous les moyens, nous sensibilisons les femmes, nous les motivons pour qu’elles comprennent que nous devons cesser de paraître mais aussi être, pour qu’on ne nous lègue pas des postes de responsables comme celui des affaires sociales (qui signifie mariages, baptêmes, décès…) car quand les hommes prennent les grandes décisions, tu es en train de servir du jus ! On ne te fait même pas un compte-rendu des réunions importantes pour que tu disposes du même niveau d’information. On ne veut plus de cette situation, donc on se bat mais il ne s’agit pas de pleurnicher ou de réclamer son droit. Il faut être sur le terrain, il faut qu’on te voie à la tâche.

Je suis très fière que ça soit en train d’avancer en Afrique, et pas seulement dans les textes. En Europe les textes sont là, mais l’application est souvent déficiente alors que ce n’est pas le cas chez nous. Par exemple, au niveau de la CSI, on demande 30% de participation des femmes mais dans mon syndicat, la répartition est de 50% entre hommes et femmes. Ceci dit, si le minimum de 30% de femmes pour toute rencontre, séminaire ou poste à responsabilité n’est pas assez, c’est déjà un pas. L’objectif de l’équilibre entre hommes et femmes n’est pas atteint, mais la conscience est éveillée à tous les niveaux. Il ne faut pas marginaliser les hommes, ne pas évoluer qu’en tant que femmes seulement, car les deux genres sont nécessaires pour que le monde puisse réussir. On se complète, tout comme pour faire des enfants !

Qu’est-ce qui vous a poussée à devenir syndicaliste ?

Depuis ma naissance, j’aime protester ! J’ai évolué dans une famille qui était active sur le plan politique, c’est dans mon sang. J’étais responsable dans mon école du comité de coordination, j’ai occupé des postes de responsabilités au niveau de la jeunesse, du département femmes, mais ce n’était pas encore ma place. Je voulais venir là où j’ai droit à la parole pour défendre les plus démunis, pour lutter contre l’injustice. C’est dans le mouvement syndical qu’on peut le faire. D’autres associations existent, mais elles ne peuvent jouer le rôle des syndicats, qui est de défendre les intérêts des travailleurs alors qu’une association est limitée. Les syndicats sont protégés par les lois qui régissent le monde du travail, par les normes internationales du travail. Et si le BIT est tripartite, ce sont les travailleurs qui constituent l’un des trois piliers, pas les ONG.

Propos recueillis par Samuel Grumiau

(1) Union syndicale des travailleurs de Guinée

(2) Union démocratique des travailleurs de Guinée

(3) Organisation nationale des syndicats libres de Guinée