Gros Plan sur Erasto Reyes (Honduras)

« 12 syndicalistes ont été tués depuis le coup d’Etat »

Les travailleurs sont les principales victimes du coup d’Etat qui a renversé le président hondurien, Manuel Zelaya, le 28 juin dernier. Les syndicats se mobilisent pour réclamer le retour à la démocratie, mais beaucoup de militants et de militantes ont perdu la vie, sont emprisonnés et torturés. Le gouvernement de facto contrôle la presse. Erasto Reyes, un avocat engagé auprès du mouvement syndical et l’un des meneurs du Front national de résistance contre le coup d’Etat (1), témoigne des exactions commises. Il appelle à la solidarité syndicale internationale.

Des milliers d’Honduriens sont descendus dans les rues pour protester pacifiquement contre le coup d’Etat, mais ils se sont heurtés à une répression sanglante des autorités. Quel est le bilan à ce jour ?

Au total, la répression contre les opposants au coup d’Etat a provoqué la mort de plus de 20 personnes. 500 autres ont été blessées et 3.000 sont détenues. 12 militants syndicaux figurent parmi les personnes assassinées. Certains ont été tués chez eux, d’autres dans les mouvements de protestation contre le coup d’Etat. Les femmes et les jeunes sont particulièrement impliqués dans la résistance pacifique contre le coup d’Etat.

Les cas de torture physique et psychologique sont nombreux. Un journaliste photographe du journal El Libertador, Delmer Membreño, a été enlevé et torturé. Une enseignante syndicaliste a été violée par quatre policiers. Je pourrais citer beaucoup d’autres cas, comme celui d’Augustina Flores López, membre du Conseil civique des organisations populaires indigènes du Honduras (2), qui a été durement frappée par la police, y compris en public, devant des médias. Les images de ces coups ont été enregistrées et présentées devant un juge, mais il a refusé d’en tenir compte. Elle demeure en prison, accusée de « sédition et terrorisme ». Des dizaines de Honduriens sont détenus pour ce chef d’accusation, dont des personnes âgées.

Le président Zelaya avait augmenté le salaire minimum de 126 à 202 euros fin 2008, à la grande colère des patrons. Cette hausse est-elle l’une des raisons du coup d’Etat ?

Le président Zelaya avait pris toute une série de mesures en faveur des travailleurs et des travailleuses. De façon étonnante puisqu’il vient du parti libéral, il s’était aussi dirigé vers la gauche sur le plan des relations internationales, en rejoignant l’Alternative bolivarienne pour les Amériques (3). Il avait également invité les syndicats à un dialogue sur toute une série de sujets, dont la sous-traitance. Un projet de décret visait ainsi à régulariser le recours aux travailleurs sous-traitants, afin de ne pas les précariser davantage. Les autorités actuelles veulent aller dans le sens contraire en privilégiant par exemple les contrats temporaires, qui pourraient être renouvelés pendant trois ans. Si leur projet est approuvé, à terme, il n’y aura plus aucun syndicat au Honduras car il est extrêmement difficile d’organiser les travailleurs et travailleuses temporaires.

Peut-on penser que des forces antisyndicales ont profité de la répression des opposants au coup d’Etat pour assassiner des syndicalistes ?

C’est possible car la grand majorité des employeurs soutiennent le coup d’Etat.

Cela dit, même lorsque le président Zelaya était en place, être militant syndical était déjà une activité dangereuse, puisque plusieurs syndicalistes ont été tués ou attaqués par balle en 2008…

C’est vrai, et le taux de syndicalisation était déjà très faible : à peine 3% de la main-d’œuvre dans les maquilas (4), et 8% de la population active totale, qui représente 3,5 millions de travailleurs et travailleuses. Il y avait de nombreux incidents inquiétants. Ainsi, en 2008, des syndicalistes de l’Université nationale autonome du Honduras ont brièvement détenu de prétendus agents de police qui infiltraient le campus. Ceux-ci détenaient une liste avec les noms de syndicats à attaquer et de nombreux dirigeants syndicaux, dont celui de Rosa Altragracia Fuentes, la secrétaire générale de la Confédération des travailleurs du Honduras (CTH), assassinée en avril 2008 (5). Malgré les violations des droits syndicaux antérieures au coup d’Etat, les syndicats exigent le retour de l’ancien président car la situation s’est fortement dégradée depuis le 28 juin.

Les syndicats honduriens peuvent-ils encore fonctionner depuis lors ?

L’activité de chaque syndicat s’est réduite en raison de la peur d’être agressé à l’occasion d’éventuelles rencontres syndicales. Tous les dirigeants syndicaux reçoivent des menaces. Une bombe a explosé dans les toilettes du siège du syndicat du secteur industriel de la boisson, STIBYS (6), mais elle n’a pas fait de victimes car l’incident a eu lieu peu après le départ des militants, qui s’étaient réunis pour les funérailles d’un dirigeant syndical assassiné.

Certains syndicats bravent le danger, tel STIBYS, qui a même organisé son congrès en août dernier. Cela dit, beaucoup de syndicalistes manquent de temps pour les activités syndicales car ils sont aussi impliqués dans le Front national de résistance contre le coup d’Etat.

En dénonçant les exactions commises depuis le coup d’Etat, ne craignez-vous pas pour votre propre sécurité ?

Si, bien sûr. Ceux qui dénoncent courent beaucoup de risques, mais nous ne pouvons rester silencieux face à ce qui se passe dans notre pays. C’est pour ça que nous demandons à la CSI et à toutes ses organisations affiliées de nous soutenir, de tout faire pour divulguer les exactions commises au Honduras, afin que ça s’arrête.

Comment les syndicats nationaux et internationaux peuvent-ils vous aider ?

D’abord en condamnant le coup d’Etat et en diffusant des informations sur ce qui se passe actuellement au Honduras. Ensuite, par l’envoi de missions syndicales sur le terrain afin de constater les violations des droits humains et syndicaux. Nous souhaitons aussi que les syndicats fassent pression sur leurs gouvernements pour qu’ils n’envoient pas d’observateurs lors des élections du 29 novembre (le gouvernement actuel attend ces observateurs et une aide financière pour la tenue de ces élections). Nous avons également besoin d’aide financière et matérielle, notamment sur les plans alimentaire et médical. Beaucoup de militants souffrent de fractures suite à la répression, mais dans les hôpitaux, on ne trouve même plus de broches pour ressouder les os.

La communauté internationale a largement dénoncé le coup d’Etat, mais ça ne semble pas impressionner beaucoup ses auteurs…

Tout ne va pas être immédiatement résolu, il s’agit d’une lutte de longue haleine, mais nous voulons qu’à la fin, les auteurs de ces violations des droits humains et syndicaux répondent de leurs actes. Nous espérons que ça servira d’exemple pour dissuader d’autres atrocités et coups d’Etat dans le futur. Si les condamnations internationales n’ont pas donné de résultat jusqu’ici, il faut des mesures plus concrètes, combinées à un maintien de la pression de la part du peuple hondurien. Le mouvement syndical international pourrait appeler à des sanctions économiques contre le gouvernement actuel. Le simple fait de menacer le Honduras d’être exclu de l’Accord de libre-échange d’Amérique centrale pourrait avoir un effet, car les pertes économiques seraient énormes.

Comment décrire la situation économique du commun des Honduriens ?

Le Honduras est l’un des pays les plus pauvres de la région. Le président Zelaya avait augmenté le salaire minimum à 202 euros, mais c’est encore inférieur de 20% au revenu nécessaire pour couvrir les besoins quotidiens d’une personne. De plus, très peu de travailleurs touchent ce salaire minimum. La crise économique mondiale a également eu un impact au Honduras : environ 20.000 emplois ont été perdus depuis le début de l’année. Ca ne va pas s’arranger car les entreprises déclarent perdre des millions depuis le début du coup d’Etat, entre autres en raison des blocages de routes et parce que de nombreuses personnes n’ont pu se déplacer pour se rendre sur leur lieu de travail. Dans les maquilas, des employeurs sont en train de contraindre les travailleurs et travailleuses à prester de très nombreuses heures supplémentaires pour rattraper le temps perdu suite à l’état de siège déclaré par le gouvernement de facto.

Propos recueillis par Samuel Grumiau


(1) Frente Nacional de Resistencia Contra el Golpe de Estado, dont font partie les trois affiliées de la CSI au Honduras (CUTH, CGT et CTH)

(2) Consejo Cívico de Organizaciones Populares Indígenas de Honduras (COPINH)

(3) L’ALBA est une organisation politique, sociale et économique promouvant la coopération entre les pays de l’Amérique latine et des Caraïbes

(4) Zones franches d’exportation

(5) Pour plus de détails à ce sujet, voir le rapport annuel des violations des droits syndicaux de la CSI

(6) Sindicato de Trabajadores de la Industria de las Bebida y Similares, affilié à l’UITA

- Voir aussi le dernier communiqué de la CSI (23 septembre 2009) réitérant sa condamnation du coup d’Etat et des graves violations des droits humains et syndicaux perpétrés par les autorités.

- Voir aussi la résolution de la Confédération syndicale des Amériques (CSA) du 8 juillet 2009.