Gros-plan sur Crecencio Caceres (Conseil interethnique du Chaco – Paraguay)

« Nous avons besoin d’aide pour lutter contre le travail forcé des peuples indigènes »

Environnement pillé, éducation insuffisante, exploitation des travailleurs… les problèmes auxquels font face les peuples autochtones du Chaco sont multiples. Coordinateur du Conseil interethnique du Chaco, Crecencio Caceres, 47 ans, lance un appel à la solidarité internationale pour soutenir la lutte pour les droits des travailleurs autochtones et lutter contre le travail forcé. (Voir VIDEO)

Qu’est-ce qui a conduit à l’établissement du Conseil interethnique du Chaco ?

Rien que dans le Département (État) de Boquerón, nous voyons qu’il existe sept « Pueblos » (peuples) avec des cultures et des langues distinctes. Nous avons les Nivacle, les Manjwi, les Ayoreo, les Angaite, les Enxlet, les Guarani occidentaux et les Guarani Niandeva.

Il était nécessaire de nous unir pour la cause autochtone, pour que les Pueblos puissent aller de l’avant armés d’une détermination commune. Les sept communautés ethniques du Chaco se sont toujours entendues entre elles. Il n’y a pas eu un passé de luttes ou de massacres entre nous.

Fondé le 7 novembre 2008 à Filadelfia, dans le département de Boquerón (Paraguay), Le Conseil interethnique du Chaco est une façon pour nous tous de préserver notre identité culturelle autochtone. Les chefs de 80 des 126 communautés autochtones de Boquerón ont rejoint le Conseil.

Il est nécessaire de se doter d’une force politique autochtone pour défendre le territoire et nos ressources naturelles. Le Chaco est en proie à une déforestation sauvage et risque d’être complètement détruit d’ici à une vingtaine d’années faute d’une défense adéquate. De nombreuses plantes ont été perdues et il est extrêmement difficile de les récupérer. Des terres sont défrichées pour l’aménagement de fermes d’élevage.

Beaucoup de choses dépendent de la protection de l’environnement: médecine naturelle, arbres endémiques, flore, faune, y compris les renards. Nous avons toutes sortes de bois comme le palissandre, un bois dur vendu partout en Europe et le bois de samu qui est utilisé dans l’artisanat.

Un autre aspect digne de considération est que nous tenons à être consultés quand de grands chantiers de développement sont annoncés pour le Chaco. Divers projets ont été proposés: une route bi-océanique, des aqueducs, des pipelines, des projets d’envergure.

Pourriez-vous nous parler de votre lutte?

Nous devons défendre nos droits fondamentaux. Nous avons le droit de vivre dans nos propres terres. Nous pensons que le conseil peut servir de voie de communication, de dialogue entre les régions, les municipalités et le gouvernement central. Et, faute de réponse, nous pourrons transmettre ces cas et ces atteintes à l’échelon international.

La meilleure voie à suivre est d’éduquer notre peuple, de construire nos capacités. Nous voulons une éducation gratuite pour nos jeunes. Nous voulons prendre en main notre propre éducation afin de ne pas perdre notre culture. Les aînés peuvent encore apporter une foule d’enseignements à nos jeunes, cela afin de ne pas perdre notre style de vie traditionnel.

La santé a, elle aussi, toute son importance. En plus de la médecine moderne, nous voulons promouvoir le shamanisme comme une médecine à part entière. Nous travaillons pour assurer sa survie.

L’eau pose un grand problème, elle n’est pas abondante. Cela fait d’ailleurs huit mois que nous sommes affligés par la sècheresse. La pénurie d’eau potable affecte toute la région centrale du Chaco.

Vous avez participé au séminaire syndical de la CSI sur le travail forcé dans le territoire autochtone du Chaco qui s’est tenu en novembre 2010 à Asunción.

Comment les syndicats internationaux peuvent-ils contribuer à la cause autochtone?

Soixante-dix pour cent de nos camarades autochtones ignorent leurs droits. Il est important de les informer de leurs droits en tant que travailleurs. Nous voulons former une alliance avec les syndicats. C’est la seule façon de défendre nos droits, pour en arriver à voir une légère amélioration d’année en année. Les travailleurs doivent se montrer plus insistants et lutter plus fort pour leurs droits.
Nous pourrions résoudre beaucoup de problèmes pourvu que nous résolvions les problèmes des travailleurs et travailleuses.

Que vous a apporté le séminaire de la CSI ?

Ça a été extrêmement important pour nous. Comme une porte qui s’ouvre et une opportunité formidable de développer de bonnes relations avec le mouvement syndical et vice-versa.

Nous avons pu témoigner d’une forte volonté de soutenir les peuples autochtones, plus particulièrement dans le Chaco, pour nous aider à atteindre nos objectifs. Nous voulons définir une stratégie pour résoudre ces problèmes et, avant toute chose, celui du travail forcé.

Je suis convaincu que l’OIT et les autres syndicats internationaux ont aujourd’hui pleine confiance en nos organisations autochtones. Nous tenons à travailler avec les syndicats directement et non pas par le biais d’intermédiaires.

Que pouvez-vous nous dire à propos du travail forcé dans le Chaco ?

Les plus affectés sont les travailleurs des exploitations agricoles. S’ils ont de la chance, ils peuvent toucher entre 800.000 et un million de guaranis par mois (environ 175-220 USD). Et il leur reste alors à payer la nourriture et la sécurité sociale. Les enfants doivent aller à l’école et il faut aussi payer pour ça. Les travailleurs ne reçoivent rien en cas de maladie et doivent prendre en charge les médicaments.

Ils travaillent minimum huit heures par jour et souvent bien davantage; ils s’occupent d’entre 3.000 et 5.000 vaches, six jours semaine, et cela dans le meilleurs des cas. C’est la même rengaine jour après jour. Je pense que nos camarades se trouvent confrontés à une discrimination totale. Ils ne méritent pas de vivre ainsi.

Le travail forcé ne sera pas éradiqué en l’espace d’un an. Ça va prendre pas mal de temps. Mais à présent que nous avons commencé, nous allons éliminer lentement mais sûrement le travail forcé dans les fermes d’élevage. Notre objectif est de faire une révolution. Nous voulons une révolution mais sans armes, avec de l’intelligence et de la sagesse. Nous sommes tout aussi capables de lutter avec force. Petit à petit, les citoyens du Chaco se réveillent et réclament leurs droits.

La condition des femmes autochtones au Paraguay est particulièrement précaire. Que faites-vous dans ce domaine?

Un autre objectif extrêmement important du Conseil est d’encourager les femmes à faire valoir leurs droits. Nous sommes de l’opinion que les femmes doivent participer aux côtés des hommes. Elles ne devraient pas être laissées en marge. Les femmes font partie du Conseil et nous voulons qu’elles s’organisent.

Propos et photo : David Browne

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indigènes et syndicats en Amérique latine

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