Gros Plan sur Cheung Lai-Ha (Hong Kong- HKCTU)

«Les employeurs perçoivent les femmes comme de la main- d’œuvre de seconde classe»

La crise économique a durement touché Hong Kong, haut lieu mondial de la finance. Elle a accentué les inégalités dont étaient déjà victimes les travailleuses. Déléguée à la première Conférence mondiale des femmes de la CSI(1), Cheung Lai-ha est vice-présidente de la confédération syndicale HKCTU (2), présidente de son Comité des femmes, et secrétaire générale du syndicat du secteur textile (3). Elle dresse le catalogue des discriminations à l’égard des travailleuses et expose comment le syndicat défend leurs droits, notamment contre les graves abus dont sont victimes les travailleuses domestiques.

Quelles sont les conséquences de la crise économique sur les travailleuses d’Hong Kong?

Comme partout, Hong Kong est entré en récession. Beaucoup d’hommes ont été licenciés, leurs épouses se sont mises à chercher un emploi si elles n’en avaient pas déjà. Les statistiques du gouvernement montrent que sur les six à neuf derniers mois, de plus en plus de femmes sont entrées sur le marché du travail. Or, leurs salaires ont stagnés depuis une dizaine d’années, et pour un même emploi dans le secteur privé, une travailleuse ne gagne qu’entre 75 et 80 % du salaire d’un homme.

Nous constatons aussi qu’un très grand nombre de femmes ne parviennent à obtenir qu’un emploi formel précaire ou un travail dans l’économie informelle. Elles sont deux fois plus nombreuses dans cette situation qu’il y a cinq ans. Comme les femmes acceptent plus facilement que les hommes un emploi mal payé et/ou précaire, le taux de chômage des hommes est actuellement plus important que celui des femmes. La crise a aussi provoqué un allongement considérable des horaires de travail.

Par ailleurs, si la discrimination à l’embauche envers les femmes mariées était déjà importante avant la crise, elle est pire actuellement : les employeurs préfèrent éviter de les engager car ils craignent qu’elles tombent enceintes. Beaucoup de travailleuses hongkongaises sont d’ailleurs licenciées en cas de grossesse. Le taux de natalité est déjà très bas à Hong Kong, ces discriminations ne vont rien arranger.

La législation d’Hong Kong ne protège-t-elle pas les travailleuses enceintes?

Si, mais elle n’est pas bien appliquée, d’une part parce que les travailleuses déposent rarement plainte (entre autres car il est difficile de fournir les preuves de discrimination), d’autre part parce que les sanctions contre les employeurs sont trop légères.

Pourquoi est-il si difficile de réunir les preuves de discrimination?

Car ces discriminations ne sont pas explicites. L’employeur fera pression sur la travailleuse enceinte pour qu’elle finisse par démissionner. Plusieurs techniques sont possibles : la faire travailler dans un local sans air conditionné, avec une mauvaise ventilation, donner des surcharges de travail, contraindre à effectuer des tâches inutiles, placer une caméra qui surveille constamment la travailleuse, etc. 80% des travailleuses qui contactent notre syndicat après avoir subi ce genre de pressions ont besoin d’un suivi psychologique.

Comment expliquer les écarts de salaire selon les genres pour un même emploi?

Dans le secteur textile, un employé de bureau touchera 10.000 dollars de Hong Kong par mois (860 euros), une employée de 7.500 à 8.000 (647 à 690 euros). Cette différence découle de la mentalité des employeurs du secteur privé, qui perçoivent les femmes comme des travailleuses de seconde classe. Le salaire inférieur n’est pas explicite : sur le papier, il sera le même pour une description de tâche identique, mais si l’on calcule toutes les composantes de le rémunération celle-ci sera inférieure pour une femme. Dans le secteur public, par contre, ce genre de différence n’existe pas.

Comment la HKCTU agit-elle contre ces discriminations?

Nous aidons les victimes à déposer plainte. Dans 90% des cas de discrimination contre des travailleuses enceintes, nous obtenons réparation et/ou condamnation de l’employeur. Ceci dit, trop peu de travailleuses osent se plaindre, car elles sont plus tolérantes face aux discriminations. C’est particulièrement le cas pour les femmes d’âge moyen, qui savent qu’il leur serait difficile de trouver un autre emploi.

Nous exerçons aussi des pressions sur le gouvernement pour qu’il s’attaque à ces problèmes, et nous sensibilisons le grand public aux problèmes vécus par les travailleuses. Notre lobby a notamment pour résultat que la commission des affaires féminines du gouvernement se mobilise davantage pour faire évoluer la loi dans un sens favorable aux travailleuses.

La lutte contre la violence envers les femmes est l’un des grands thèmes de la Conférence mondiale des femmes de la CSI. Qu’en est-il à Hong Kong?

Le gouvernement et les employeurs hongkongais ne considèrent pas le harcèlement sexuel comme un gros problème. Il est pourtant plus important que ne le montrent les statistiques. C’est encore un sujet tabou, même si de plus en plus de cas sont dénoncés, entre autres grâce aux campagnes de sensibilisation de la HKCTU : nous voulons que les victimes de harcèlement sexuel ne doivent plus craindre un licenciement ou une autre forme de vengeance si elles osent parler. Nos campagnes visent les jeunes travailleuses et le grand public, car les victimes gardent trop souvent le silence par peur des réactions négatives de leur famille, de leurs amis.

Nous nous mobilisons par ailleurs contre l’emploi de mots injurieux de la part d’employeurs à l’encontre de leurs travailleuses, un phénomène fréquent et grave à Hong Kong. Lorsque nous recevons des plaintes d’hommes insultés gravement par leurs supérieures hiérarchiques, nous les défendons de la même manière.

Nous recevons aussi de plus en plus de cas de travailleuses domestiques migrantes battues et abusées par leur employeur. L’une des fédérations de la HKCTU est spécialisée dans leur défense, elle accompagne la victime dans les démarches en justice et la soutient matériellement. Sans cette aide, l’employeur ne risquerait rien car sa victime devrait rentrer dans son pays, faute de permis de travail.

Quelles sont les priorités du Comité des femmes de la HKCTU?

Malheureusement, nous devons reconnaître que les syndicats hongkongais ne considèrent pas les questions de genre comme une priorité. On ne se bouscule pas pour faire partie de notre Comité des femmes. Nos militants et militantes préfèrent se mobiliser pour les autres questions liées au monde du travail, des thèmes sur lesquelles ils ont plus d’influence. Ils apprécient moins de lutter au sujet de problèmes liés au genre car cela prend plus de temps pour percevoir des résultats. Notre Comité des femmes est aussi handicapé par le fait que ses membres sont moins éduquées, elles ont moins de possibilités d’être exposées aux débats internationaux. Nos priorités demeurent cependant la lutte pour les droits des travailleuses, pour l’égalité des salaires, contre le harcèlement sexuel et la discrimination en fonction de l’âge.

De quel type de discrimination basée sur l’âge souffrent les travailleuses?

Dans les secteurs du commerce de détail et des services par exemple, les femmes de plus de 30 ans ne trouvent pas d’emploi car elles sont considérées comme « trop vieilles ». Une autre discrimination touche les personnes de moins de 22 ans, qui ont beaucoup de peine à être engagées mais là, ce sont les femmes qui sont quelque peu avantagées à l’embauche car les employeurs aiment avoir dans leur personnel des travailleuses « jeunes et jolies ». L’apparence physique joue un grand rôle à Hong Kong.

Vous êtes secrétaire générale du syndicat du secteur textile et de la confection de la HKCTU. Est-ce encore un secteur important à Hong Kong?

Depuis 20 ans, le nombre d’employés dans ce secteur est passé de 320.000 à 32.000, dont 80% sont employés comme personnel administratif, et le reste comme travailleurs « techniques » (nettoyage, remplacement des étiquettes « made in China » par des étiquettes « Made in Hong Kong », etc). Sur ces 32.000, la crise économique a encore provoqué le licenciement ou le sous-emploi de 10.000 personnes. Il y avait beaucoup de managers hongkongais parmi ces 32.000, ils travaillaient en Chine continentale, mais ils ont maintenant tendance à être remplacés par des Chinois de souche, dont les salaires sont moins élevés. Certaines entreprises de Chine continentale continuent à préférer les managers hongkongais, dont l’éthique est supérieure, mais ils sont de moins en moins bien payés.

Ceux et celles qui ont perdu leur emploi dans ce secteur les vingt dernières années ont essayé de retrouver un travail, mais leurs salaires sont plus bas: vu leur manque de qualifications, ils ne décrochent que des emplois de gardes privés, travailleuses domestiques, etc.

Le retour de Hong Kong sous le giron chinois depuis 1997 a-t-il provoqué une détérioration des droits des travailleurs et travailleuses?

Dès son entrée en fonction, le nouveau gouvernement s’est empressé d’abolir les lois régulant la négociation collective…. qui n’avaient été adoptées que 50 jours avant la fin de l’ère britannique ! Nous faisons pression sur les autorités pour qu’elles légifèrent à nouveau, sans succès jusqu’ici. Par ailleurs, la reconnaissance d’un syndicat par un employeur est de plus en plus difficile, et l’organisation de manifestations est moins libre : pour tout rassemblement de plus de 20 personnes, il faut demander à la police un document stipulant qu’elle ne s’y oppose pas. Certains policiers sont réticents à délivrer ces documents, ce qui peut rendre une manifestation illégale.

Propos recueillis par Samuel Grumiau


(1) Sur le thème "Un travail décent, une vie décente pour les femmes", la première Conférence mondiale des Femmes de la CSI réunit du 19 au 21 octobre à Bruxelles plus de 460 déléguées venues de plus de 100 pays. Elles analyseront l’incidence de la crise mondiale de l’emploi sur les femmes et traceront les grandes lignes de l’action syndicale internationale visant à renforcer la sécurité d’emploi des femmes, à revoir leurs salaires et à améliorer leurs conditions. Plus d’information sur le site de la CSI (photos et interviews).

(2) Hong Kong Confederation of Trade Unions.

(3) Clothing Industry, Clerical and Retail Trade Employees General Union, affiliée à la FITTHC.

- Voir aussi le site internet du projet « Decisions for Life » (Décisions pour la vie) , qui couvre 14 pays en développement et en transition et huit secteurs d’activités.

- Photos de la Conférence