De la charité à la justice: tous les droits pour toutes et tous

Les droits humains ont fait leur apparition au cœur du débat sur ce qui prendra la suite des objectifs du Millénaire pour le développement dès 2015. Tout comme d’autres organisations de défense des droits de la personne et de la justice sociale, nous nous sentons obligés de présenter quelques-unes des principales implications de l’intégration des droits humains au cœur du nouveau programme de développement durable.

Fondamentalement, un cadre pour l’après 2015 s’appuyant sur les droits humains constitue une transition d’un modèle de charité à un paradigme de justice, fondé sur la dignité inhérente des personnes en tant que titulaires de droits humains, sur la responsabilité première des gouvernements nationaux et sur le fait que tous les acteurs du développement partagent des responsabilités communes, mais différenciées. En conséquence, le cadre pour l’après 2015 doit être conçu comme un outil d’autonomisation des personnes leur permettant - individuellement et collectivement - de surveiller leurs gouvernements, mais aussi d’autres gouvernements, des entreprises, des institutions internationales et d’autres acteurs du développement, et de les responsabiliser par rapport à leur conduite dans la mesure où elle affecte la vie des populations au sein de leurs frontières ou enceintes, mais aussi à l’extérieur. Un cadre de développement durable s’appuyant sur les droits humains peut aider les peuples et les pays à surmonter les obstacles structurels s’opposant à un développement pérenne, inclusif et juste, et stimuler la mise en place et l’application des droits de la personne pour toutes et tous - les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels, le droit au développement et à la protection de l’environnement.

Le cadre pour l’après 2015 doit donc, à tout le moins, respecter et refléter les instruments juridiques, les normes et les engagements politiques existants et ayant trait aux droits humains auxquels les gouvernements ont volontairement souscrits. Les droits humains internationaux, les législations environnementales et humanitaires, la Déclaration du Millénaire, de même que les documents internationaux y relatifs adoptés à Rio, à Vienne, au Caire, à Beijing, à Monterrey et à Copenhague, ainsi que les accords qui en ont découlé, doivent constituer sa base normative non négociable.

S’il s’agit d’encourager le progrès tout en prévenant les régressions et les infractions, les normes et principes relatifs aux droits humains doivent cette fois dépasser le stade de la rhétorique et comporter une signification réellement opérationnelle. Pour rattacher l’agenda de l’après 2015 aux droits de la personne pour les générations actuelles et à venir, il faut notamment que le cadre:

1. prône tous les droits humains pour toutes et tous. Le cadre doit stimuler de meilleurs processus et résultats en matière de droits humains pour toutes et tous, notamment pour les plus vulnérables, dans tous les pays du Nord et du Sud. Outre des droits économiques, sociaux, culturels et environnementaux, tout nouveau cadre doit comporter des engagements en matière de protection de la liberté syndicale, d’expression, d’assemblée et de participation politique si l’on désire créer un climat propice à générer une société civile responsable; il faut aussi qu’il protège les défenseurs des droits de la personne, notamment les militants pour les droits des femmes, en tant qu’agents essentiels traduisant des engagements politiques internationaux dans la réalité.

2. stimule la transparence et une véritable participation au sein des processus de prise de décisions à tous les niveaux, pour toutes les politiques, qu’elles soient liées au budget, aux finances ou à l’imposition. L’accès aux informations et la participation qui en découle constituent non seulement un droit humain fondamental, mais ils sont aussi essentiels à la conception, à la mise en œuvre et au suivi d’un cadre efficace et réactif pour l’après 2015.

3. intègre les institutions et les systèmes intéressants pour veiller à la responsabilisation de tous les acteurs du développement face aux droits humains. Les attentes élevées que génère un programme pour l’après 2015 ne pourront sûrement pas être traduites dans la réalité si de véritables systèmes de suivi et de responsabilisation par rapport aux droits humains, mis en place par des citoyens, ne sont pas intégrés à la structure même du cadre et associés à des engagements clairs et assortis d’échéance. Même si les obligations liées au développement doivent principalement incomber aux états, tous les acteurs du développement, en ce compris les états tiers, le secteur privé et les institutions internationales, doivent être réactifs et responsables pour atteindre, et non amoindrir, les objectifs mondiaux. L’intégration d’importants critères liés aux droits de la personne aux évaluations des progrès vers la réalisation des objectifs et des engagements de développement implique de suivre les efforts politiques et budgétaires des gouvernements en parallèle des résultats de développement. Tout mécanisme de suivi pour l’après 2015 doit bénéficier d’une interaction constructive avec le régime de protection des droits humains en place, de même qu’avec d’autres mécanismes de responsabilisation pertinents. Les systèmes nationaux, comme le pouvoir judiciaire, le parlement, les institutions nationales de défense des droits humains, renforcés par les mécanismes régionaux et internationaux de droits humains, comme les organes créés en vertu d’un instrument et le mécanisme universel d’examen par les pairs, peuvent aider à garantir la mise en place des engagements pour l’après 2015. De la même façon, le programme de développement pour l’après 2015 est bien positionné pour encourager les gouvernements à améliorer l’accès à la justice des personnes qui vivent actuellement dans la pauvreté en surveillant les mesures visant à lever les barrières actuelles.

4. veille à ce qu’au minimum, le secteur privé ne cause pas de dégâts. Le cadre pour l’après 2015 doit refléter le consensus international actuel à propos du devoir des gouvernements de protéger les droits de la personne grâce à une surveillance et à une réglementation appropriées des acteurs privés, surtout les entreprises et les acteurs financiers privés en vue de s’assurer qu’ils respectent dans la pratique les droits humains et l’environnement, y compris lors d’activités internationales. À tout le moins, aucun gouvernement ne doit accepter que leur territoire soit le théâtre d’activités illégales ou criminelles, comme de l’évasion fiscale, des délits environnementaux ou des infractions aux droits humains, quels qu’en soient les auteurs.

5. élimine toutes les formes de discrimination et diminue les inégalités, y compris en priorité les inégalités socio-économiques. Pour débuter, il est essentiel de recueillir et de ventiler en temps voulu les informations en fonction des différents motifs de discrimination pour identifier, rendre visible et remédier aux inégalités et aux infractions des droits humains, et en vue d’accroître la responsabilité. Au niveau des pays, les données doivent être collectées et désagrégées selon des facteurs pertinents au niveau national qui auront été définis par des titulaires des droits. Conformément au droit relatif aux droits humains, les gouvernements ont l’obligation spécifique de protéger les personnes les plus marginalisées et les plus exclues, et de prendre des mesures pour s’assurer qu’ils bénéficient de leurs droits de la même façon que les autres. Il est aussi fondamental de protéger le travail décent et de diminuer les disparités de revenus pour réduire les inégalités socio-économiques, de même que de revoir les politiques fiscales aux niveaux mondial et national afin de consacrer les ressources nécessaires au financement de la réalisation des droits humains.

6. soutienne spécifiquement et entièrement les droits des femmes. Pour parvenir à la réalisation des droits humains des femmes et à l’égalité entre les hommes et les femmes, mais aussi pour permettre la pleine et active participation de ces dernières sur les scènes économique, politique et sociale, il est essentiel de remédier à la violence liée au genre; de garantir des droits sexuels et génésiques; de veiller aux droits fonciers des femmes et à leurs droits de contrôler des terres, des propriétés et des ressources productives et d’assurer leur indépendance économique; de reconnaître l’économie familiale; et de veiller aux droits des femmes de bénéficier de protection sociale et d’une distribution équitable du travail rémunéré et non rémunéré, ainsi qu’à leurs droits de participer aux processus décisionnels.

7. permette aux groupes actuellement désavantagés, régulièrement discriminés et exclus de participer activement à leur propre développement en recourant aux dispositions relatives aux droits de la personne destinées à éliminer la discrimination sur base de la race, d’un handicap, du statut de migrant ou d’autochtone, de l’âge, de l’orientation sexuelle, du sexe, etc.

8. respecte l’obligation légale de fournir des niveaux minimums fondamentaux de droits économiques, sociaux, et culturels, sans tolérer de régressions. Cela implique de se concentrer sur l’objectif « zéro discrimination » en prévoyant des socles de protection sociale, une couverture de santé universelle, la sécurité alimentaire et d’autres seuils sous lesquels personne ne serait autorisé à vivre.

9. remédie au niveau mondial aux vecteurs structurels d’inégalités, de pauvreté et de dégradations écologiques. Un véritable partenariat équilibré au niveau international permettrait aux individus et aux institutions de surveiller les responsabilités communes, mais différenciées de tous les acteurs en vue d’éviter plutôt que de réitérer ces écueils mondiaux. Pour être des partenaires de bonne foi, les gouvernements, les entreprises et les institutions internationales doivent évaluer l’impact de leurs politiques (par exemple, la responsabilité des entreprises, les réglementations en matière d’environnement, de commerce, d’assistance, d’imposition, de migration, de propriété intellectuelle, de dettes, et monétaires et financières) sur les droits humains en dehors de leurs frontières ou enceintes. Les normes existantes en matière de droits humains peuvent être une base commune et servir de référence pour évaluer la cohérence des politiques en vue du développement durable.

Alors que règne une grande incertitude, que sévissent plusieurs crises et que croissent l’insécurité et les conflits, ne permettons pas que le cadre du 21e siècle pour le développement durable s’appuie sur des « demi-droits » et des promesses non tenues, mais bien sur une affirmation claire des droits humains pour toutes et tous.

Un premier jet de cette déclaration a été préparé lors de la session de travail sur la façon de garantir des droits humains à toutes et tous de la Conférence de Bonn (Allemagne, mars 2013 ) de la société civile mondiale ayant pour thème « Faire avancer l’agenda post-2015 de développement durable ». La déclaration est diffusée en vue de son approbation par les organisations intéressées. Pour participer, veuillez prendre contact par courriel avec Niko Lusiani, CESR: [email protected].

La CSI a signé cette déclaration, vous pouvez consulter la liste complète des signataires sur le site internet de Social Watch