Aperçu sur la situation syndicale en Mauritanie :
Cette situation demeure caractérisée, entre autres,
par :
Un taux de chômage qui dépasse les 33% officiellement déclarés,
Une détérioration sans précédent du pouvoir d’achat des travailleurs
Une précarité de l’emploi et un recours à une véritable location de la main d’œuvre
Une stagnation des salaires qui ne correspondent plus à aucune réalité du marché
Une absence de mécanismes de concertation entre les partenaires sociaux.
C’est consciente de son devoir historique et de son rôle de syndicat le plus représentatif, et après avoir cherché à entretenir une unité d’action entre les affiliées de la CSI en Mauritanie mais qui s’est volatilisée par suite de renoncements des trois autres organisations, que la CGTM a décidé de prendre le taureau par les cornes, en engageant une grève générale le mardi 26 juillet 2011, autour de la plate-forme revendicative qui pose les préoccupations fondamentales des travailleurs.
La CGTM a usé de toutes ses forces pour garder son rôle de locomotive de l’unité dans les rangs des travailleurs, car il faut bien se rappeler que toutes les unités d’action syndicale depuis la création de la CGTM en 1993 ont été obtenues grâce à une initiative de notre organisation. Nous devons nous rendre à l’évidence que la prolifération des organisations syndicales nationales a été un facteur de dispersion de forces des travailleurs pendant une bonne période.
A ce jour, on compte 19 Centrales nationales en Mauritanie en plus de quelques syndicats professionnels autonomes avec une force active assez limitée. La plupart de ces organisations syndicales ne sont pas dans une logique de défense et de promotion des principes d’indépendance, de liberté et de démocratie qui sont le socle durable de tout cadre d’organisation syndicale qui se veut un partenaire social crédible au service de la classe ouvrière. Profitant de cette situation d’amalgame et de confusion, les pouvoirs publics ont usé de l’arme de l’instrumentalisation de certaines organisations de travailleurs dont même les affiliées de la CSI en Mauritanie, ce qui a rendu la situation plus complexe.
C’est dans ce contexte de division dans les rangs des travailleurs que la CGTM a cherché à créer un pôle syndical fort pour s’attaquer à cette situation sociale décrite plus haut afin de créer des cadres de lutte pour les travailleurs de notre pays qui croupissent sous le fardeau de l’exploitation et de la pauvreté. C’est ainsi qu’à partir de la fin 2009, nous avions su créer le cadre que l’on appelait Intersyndicale regroupant l’UTM, la CGTM, et la CNTM autour d’une plate forme minimale commune sur la base de laquelle nous avions appelé les autres partenaires à l’ouverture de négociations sociales. Dans le cadre de la mobilisation pour créer un rapport de forces nécessaires, nous avions pu engager des luttes de travailleurs qui ont revêtu différentes formes afin d’infléchir le gouvernement et le patronat pour les amener à la table des négociations. Seule la CLTM, pour des raisons liées à des divergences sur la question de la migration, car défendant la préférence nationale, n’a pas voulu rejoindre ce front syndical qu’elle ne réintégrera qu’en juillet 2010.
Cette Intersyndicale qui regroupait les quatre organisations affiliées de la CSI s’est mise à l’œuvre durant une période et a entrepris des actions de lutte communes. La première organisation à casser unilatéralement cette Intersyndicale fut l’UTM qui avait décidé de rejoindre les girons du pouvoir avec comme argument que leur organisation ne peut exister que dans ce cadre et que les luttes revendicatives frontales dans une indépendance syndicale ne leur convenaient pas.
Avec les deux autres (CLTM et UNTM), nous avons poursuivi notre petit bonhomme de chemin jusqu’en avril 2011, date de la convocation des négociations par le gouvernement. Il faut préciser que face à la confusion et à la violation de la Loi que le gouvernement se faisait le plaisir d’entretenir en mettant d’après lui toutes les Centrales syndicales sur un même piédestal avant la tenue d’élections professionnelles de représentativité, nos trois organisations étaient tombées d’accord pour se battre pour le respect des critères de représentativité des organisations syndicales définis par la Loi 017/2004 portant Code du Travail Mauritanien, en ses articles 90 et 265, et ce avant toute participation à une négociation.
L’article 265 du Code du Travail définit les critères de représentativité suivants :
Le caractère représentatif d’un groupement professionnel est déterminé à partir, notamment, des éléments d’appréciation suivants :
Les effectifs et les résultats des élections des représentants du personnel ;
Les cotisations ;
L’indépendance ;
Son expérience et l’étendue de son activité.
L’article 90 du Code du Travail précise :
Le caractère représentatif d’un syndicat ou d’un groupement professionnel est déterminé par le Ministre du travail qui réunira tous les éléments d’appréciation et prendra l’avis des services intéressés de l’administration du travail.
L’appréciation de la représentativité se fait sur la base des critères édictés par l’article 265.
C’est ainsi que nous avions défendu et réaffirmé cette position devant la Ministre de la Fonction Publique et du Travail ainsi que devant le Premier Ministre, mais également nous avions saisi par correspondance Monsieur le Président de la République pour solliciter son arbitrage sur cette situation. Malheureusement, aucune de ces autorités n’a daigné prendre en considération notre argumentaire et nous donner une suite à nos différentes interpellations.
La deuxième organisation qui brisa le front syndical fut la CLTM qui lorsqu’elle a reçu la lettre du ministère de la fonction publique et du travail qui convoquait toutes les organisations syndicales pour une cérémonie inaugurale de l’ouverture des négociations prévue le 27 avril 2011, n’a pas attendu de rencontrer la CGTM et la CNTM avec lesquelles elle avait scellé une alliance syndicale, mais, a préféré donner sa réponse positive au gouvernement pour prendre part à ces négociations, laissant de côté les principes de représentativité définis par la Loi et autour desquels nous nous battions ensemble. La CLTM décida ainsi unilatéralement de rompre avec notre front syndical et son secrétaire général rejoingnit le groupe des syndicats alliés au pouvoir avec les conséquences que cette position renferme.
Avec la CNTM, notre unité d’action continua jusqu’au 28 avril 2011, date de la désignation par les travailleurs de la sous-traitance de la Société Nationale Industrielle et Minière (SNIM) de Zouerate, qui ont choisi de se faire représenter dans les négociations avec les ministres dépêchés par le gouvernement, par notre coordinateur départemental de la CGTM. Cette préférence irrita la CNTM qui nous demanda de dénoncer l’accord convenu entre les travailleurs et le gouvernement, chose que la CGTM n’a pas accepté de faire car cet accord renferme la satisfaction des doléances des travailleurs pour lesquelles nous avons engagé des luttes conséquences depuis des années. La CNTM décida alors, pour ses motifs, de se retirer de notre alliance et entra immédiatement en contact avec le gouvernement, pour chercher à rejoindre la table des négociations sans se référer aux principes énoncés plus haut. Il faut préciser que la CNTM n’avait, en aucun moment, pris part à la lutte de ces travailleurs de la sous-traitance de la SNIM qui étaient dans un sit-in ouvert et dont les regroupements furent brutalement réprimés par la police, avant que les autorités régionales ne se résignent à octroyer une autorisation à ce rassemblement qui avait pris une ampleur nationale. La CNTM rejoindra ce mouvement que lors de l’arrivée de la délégation ministérielle chargée par le gouvernement de trouver une solution à ce conflit. C’est ainsi qu’à la faveur de l’intervention du coordinateur régional de la CGTM dans cette région qu’un élément de la CNTM qui n’avait aucun mandat électif, fut accepté dans la coordination des syndicats.
Devant cette impossibilité de conserver l’alliance syndicale sur des bases justes qui garantissent la défense des droits des travailleurs, et consciente de son devoir de responsabilité en tant que Centrale syndicale mauritanienne la plus représentative, la CGTM a entrepris une campagne nationale auprès de ses membres pour leur expliquer la raison qui l’amène à ne pas aller à la table des négociations dans les conditions actuelles et pour demander aux travailleurs ce qu’ils pensent comme action syndicale de riposte afin de se faire respecter en tant que partenaire social crédible et indépendant. L’ensemble des coordinations régionales fut rencontré et des plans d’actions régionaux furent arrêtés avec comme axes principaux :
La sensibilisation des travailleurs sur la situation sociale et la nécessité de se regrouper autour des revendications légitimes des travailleurs,
L’information large de la base des travailleurs sur les négociations sociales et les critères que doivent remplir les organisations qui les mènent au nom des travailleurs ;
La nécessité de se mobiliser pour entamer une action conséquente de lutte qui fasse respecter les principes de représentativité définis par le Code du Travail.
Après cette campagne nationale, le bureau national de la CGTM qui est la deuxième instance après le congrès, fut convoqué pour le 03 juillet 2011, à Nouakchott, avec comme ordre du jour : Evaluation des conséquences de la situation sociale actuelle sur les travailleurs et Actions à mener pour y faire face.
C’est ainsi que dans ses conclusions, le Bureau National a décidé de déposer une plate-forme revendicative en dix points, assortie d’un préavis de Grève Générale pour le 26 juillet 2011, si le gouvernement et le patronat n’ouvrent pas des négociations sociales avec les syndicats sur la base des critères de représentativité prévus par le Code du Travail.
N’ayant enregistré aucune réaction de la part des deux autres partenaires sociaux, la CGTM déclencha le mardi 26 juillet 2011, une Grève Générale de 24 heures qui reçut l’adhésion de la majorité des travailleurs de plusieurs secteurs d’activités. Ce fut une très grande réussite cette action de lutte qui immobilisa de très larges pans de l’économie nationale, comme entre autres, les Mines (MCM Akjoujt à 100% et la SNIM à Nouadhibou à 40% avec des postes stratégiques à la SNIM de Zouerate), les Télécommunications (Mattel à 100%), le Port Autonome de Nouakchott, les Services de Sécurité et de Gardiennage, les Routes et Bâtiments, les Industries Agro-Alimentaires, les Industries Chimiques, l’Administration Centrale, les Transports Routiers.
Cette victoire éclatante des travailleurs a galvanisé leurs rangs et a redonné une confiance à l’action syndicale de masse. Les travailleurs sont déterminés à poursuivre leur lutte pour le changement de cette situation sociale chaotique à laquelle ils demeurent confrontés.
Au niveau du gouvernement, force est de reconnaître que les pressions habituellement faites sur les travailleurs pour les intimider à entrer en action n’ont pas été observées. A part, quelques chefs d’entreprises zélés, qui ont pris des sanctions à l’encontre de quelques travailleurs, la liberté de la grève a été notée. A ce propos, paradoxalement, ce sont les Centrales syndicales, dont les plus virulentes furent les affiliées de la CSI, qui montèrent au créneau pour constituer une 5ème colonne du pouvoir, en orchestrant une campagne médiatique sans précédent contre la CGTM.
Il est à noter qu’au lendemain de la grève générale décrétée par la CGTM le 26/07/11, le gouvernement a ordonné aux services des inspections régionales de travail, de rassembler les procès-verbaux d’élection des délégués du personnel afin de mesurer, conformément à la Loi, le degré de représentativité des organisations professionnelles de travailleurs.
La CGTM est consciente de la nécessité de poursuivre dans la voie de la lutte pour assurer une meilleure répartition des richesses nationales en Mauritanie dont les principales sont actuellement pillées par les sociétés multinationales, pour le respect des travailleurs et des textes législatifs qui régissent les rapports professionnels, pour l’amélioration du pouvoir d’achat des travailleurs.
La CGTM en appelle à la CSI pour qu’elle accentue davantage sa solidarité et son soutien aux travailleurs de notre pays afin de les aider à édifier un véritable mouvement syndical national indépendant, libre et démocratique, se basant sur les idéaux de la CSI. Nous demandons à la CSI de rappeler à l’ordre ses autres affiliées en Mauritanie afin qu’elles sachent que la solidarité syndicale n’est pas que celle entretenue avec les organisations syndicales internationales desquelles il est attendu des appuis financiers, mais surtout, doit intervenir au niveau national dans le cadre des luttes des travailleurs visant l’amélioration de leurs conditions de vie et de travail.
Nouakchott, le 03 août 2011.
Le Comité exécutif de la CGTM