Gros plan sur Roberto Antonio Ruiz (FETRABACH-CST, Nicaragua)

Les syndicats du Nicaragua et du Costa Rica associés dans la lutte pour les travailleurs migrants

Les syndicats du Nicaragua et du Costa Rica associés dans la lutte pour les travailleurs migrants

Bruxelles, le 27 mars 2007: Les travailleurs du Nicaragua ont une longue tradition d’émigration vers le Costa Rica, principalement dans l’agriculture. Ce pays voisin, plus prospère et plus stable sur le plan social, est toutefois loin de leur proposer des conditions de travail et des prestations sociales égales à celles de ses travailleurs nationaux. Roberto Antonio Ruiz, secrétaire général du syndicat bananier nicaraguayen FETRABACH-CST (1), explique ce phénomène migratoire et les tentatives d’améliorer le sort des migrants grâce à une collaboration avec le mouvement syndical costaricain.

Pourquoi les travailleurs nicaraguayens partent-ils à l’étranger à la recherche de travail ? Quelles sont les causes historiques et structurelles de l’émigration?

Les travailleurs nicaraguayens ont émigré vers différents pays, notamment les Etats-Unis, le Guatemala, le Honduras et le Salvador. La majeure partie de l’émigration se concentre cependant au Costa Rica. Historiquement, le Costa Rica a attiré les Nicaraguayens par sa prospérité économique et sa stabilité sociale. Au début, les travailleurs allaient travailler dans l’agriculture, dans la récolte de canne à sucre ou de bananes et la cueillette de café. Les gens émigraient déjà avant, à l’époque de la dictature du clan Somoza. Ensuite, lorsqu’il y a eu les conflits, lorsque la guerre a éclaté dans les années 80 (2), les gens sont partis en quête d’un asile et de sécurité. D’autre part, la culture du coton, qui constituait la base de l’économie nicaraguayenne, a été abandonnée, laissant les gens sans emploi. L’arrivée au pouvoir du gouvernement de Violeta Chamorro a été suivie de la fermeture d’entreprises publiques créées par les sandinistes, et les politiques néo-libérales amorcées à partir de 1991 ont entraîné une nouvelle vague d’émigration. Restructuration économique, fermetures d’entreprises, révision à la baisse des droits sociaux des travailleurs et des travailleuses, disparition des conventions collectives sont autant de facteurs qui ont eu pour effet d’accentuer l’émigration. Le secteur agricole a eu à pâtir de l’absence d’un refinancement des activités agricoles. Pour exploiter la terre, le secteur agricole a besoin d’incitatifs et de crédits, faute de quoi les paysans abandonnent leurs terres pour les villes ou partent à l’étranger. Un autre facteur qui a stimulé l’émigration sont les catastrophes naturelles. Le Nicaragua compte parmi les pays d’Amérique centrale les plus affectés par les séismes, les ouragans et les inondations (3).

Quelle est la situation des travailleurs migrants au Costa Rica?

Il va sans dire que la majorité des travailleurs nicaraguayens au Costa Rica sont malmenés par leurs employeurs et ne bénéficient pas des mêmes prestations sociales que les travailleurs costaricains. Les entrepreneurs et les propriétaires d’exploitations agricoles préfèrent embaucher des immigrés sans papiers pour tirer profit de leur situation illégale afin de pouvoir se soustraire à leurs obligations, notamment en ce qui concerne les droits des travailleurs: salaires équitables, heures de travail raisonnables et indemnisations. Les migrants travaillent dans le secteur agricole mais sont également fortement présents dans le secteur de la construction. Dans le secteur des services, ils sont employés en tant que vigiles ou gens de maison. Il est par ailleurs possible de distinguer deux types de migrants: ceux qui partent pour ne pas revenir et ceux qui traversent la frontière pour travailler en tant que saisonniers dans le secteur agricole exportateur du Costa Rica. C’est le cas des travailleurs saisonniers des plantations de bananes et d’ananas.

Les syndicats nicaraguayens ont-ils des accords avec les syndicats costaricains pour traiter les problèmes de la main-d’œuvre migrante?

Oui, nous avons mené des actions et des consultations avec la Coordination des syndicats bananiers du Costa Rica (COSIBA) et le contact que nous avons établi avec la confédération Rerum Novarum contribuera, sans nul doute, à la recherche de solutions communes pour améliorer la situation des migrants, pour assurer leur représentation auprès des instances du gouvernement. Des discussions ont notamment eu lieu en ce sens avec les autorités migratoires du Costa Rica et avec des députés du Parlement concernant la récente réforme de la Loi sur la migration, qui porte préjudice aux normes du travail et aux droits humains des immigrés et de leurs familles.

En quoi cette loi affecte-t-elle les travailleurs?

En ce qui concerne les travailleurs des bananeraies, bon nombre d’entre eux travaillent au sein d’entreprises, c’est-à-dire qu’ils ont le même statut que les travailleurs nationaux. Cependant ils ne sont pas légalement résidents, soit parce qu’ils travaillent en tant que saisonniers, soit parce qu’ils n’ont pas rempli les formalités nécessaires. Ces travailleurs courent le risque de se voir déporter ou de perdre leurs droits, notamment le préavis, le droit à un salaire égal, les jours fériés, les vacances ou les primes annuelles et même leurs contributions à la caisse de retraite. Il y a aussi les travailleurs sans contrat ou résidence légale. Ceux-là sont traités comme de vulgaires délinquants. Quoi qu’il en soit, la COSIBA et divers syndicats agricoles œuvrent pour faire en sorte que le gouvernement du Costa Rica mette en pratique une amnistie migratoire pour que l’ensemble des travailleuses et des travailleurs ayant acquis certains droits puissent régulariser leur situation.

Quelle est la propension des travailleurs à adhérer aux syndicats?

Le taux de syndicalisation est généralement très bas parmi la main-d’œuvre migrante, qu’elle soit sans papiers ou en situation légale. C’est la raison pour laquelle il est nécessaire de mener une action éducative et de sensibilisation. La main-d’œuvre migrante est majoritairement jeune, de 16, 17, 18 et 20 ans, sans expérience professionnelle ou syndicale préalable au Nicaragua, ce qui n’a évidemment rien pour les encourager à s’affilier une fois qu’ils auront traversé la frontière. L’action pour l’organisation des travailleuses et travailleurs migrants revêt une grande importance car elle contribue non seulement à la protection des travailleurs eux-mêmes, mais aussi au renforcement des syndicats qui sont appelés à faire face aux défis de la mondialisation.

Les travailleuses et travailleurs migrants exercent-ils une influence sociale et politique dans la réalité du Nicaragua?

Partout dans le monde on peut remarquer l’influence notable qu’ont les travailleurs migrants dans leurs pays d’origine. Dans le cas des Nicaraguayens au Costa Rica, ils n’influent pas directement sur la politique mais ont cependant une forte influence au sein de la société, sur la situation de leur famille. Les gens qui ont des proches au Costa Rica espèrent que ceux-ci leur envoient de l’argent. D’autres ont l’espoir de suivre leur exemple un jour et de tenter leur chance au Costa Rica. Au bout du compte, la population nicaraguayenne se rend aussi compte du fait qu’au Costa Rica existe un système social beaucoup plus organisé, avec des institutions qui s’occupent du développement social de la population et, surtout, qu’il s’agit d’un pays où on peut trouver de l’emploi.

Propos recueillis par Alberto A. Zalles

(1) Fédération des travailleurs bananiers du département de Chinandega.
(2) Guerre civile qui a opposé le gouvernement du Front sandiniste de libération nationale aux « Contras ». Le conflit a fait rage durant toute la décennie 80.
(3) Managua, la capitale, fut détruite par un séisme en 1972. En 1998, l’Ouragan Mitch a causé des dégâts importants, particulièrement au Nicaragua.

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