Gros plan sur Pari Moses (Malaisie – MTUC)

« Collaborer avec les agences de placement ouvre de nouvelles perspectives »

La grande majorité des travailleuses domestiques de Malaisie sont des migrantes, principalement issues d’Indonésie. Un projet du syndicat MTUC (1) tente de prévenir les exploitations dont elles sont souvent victimes. Rencontre avec Pari Moses, coordinatrice de ce projet.

Comment le MTUC vient-il en aide aux travailleuses domestiques ?

Le « Projet pour les travailleuses domestiques » du MTUC consacre beaucoup d’énergie à aider les travailleuses domestiques à renforcer leurs capacités de se défendre, à faire connaître leurs problèmes, à être représentées auprès des autorités, à établir des mécanismes de coordination avec les ambassades et d’autres organisations de la société civile. Nous informons aussi les travailleuses domestiques de leurs droits. En octobre 2010 par exemple, nous avons réuni 45 travailleuses domestiques indonésiennes durant un festival musulman, quand elles avaient reçu un jour de congé de la part de leur employeur. A travers des jeux, des dialogues, nous leur avons expliqué leurs droits, ce qui peut se faire ou pas en Malaisie, comment gérer les problèmes face à un employeur, etc. Deux mois plus tard, nous avons réuni 35 autres travailleuses domestiques indonésiennes, mais cette fois dans les locaux d’une agence de placement, en présence de leurs employeurs, de l’attaché aux questions du travail de l’ambassade d’Indonésie et de cinq autres responsables de l’ambassade. Beaucoup d’échanges ont eu lieu entre tous ces groupes : les travailleuses domestiques étaient très enthousiastes de rencontrer l’attaché de leur ambassade, elles lui ont posé beaucoup de questions, et lui-même était très content de leur parler ainsi qu’aux employeurs. Nous voulons multiplier ce genre de formations à l’avenir.

A la Noël, nous avions réuni environ 120 travailleuses domestiques philippines et leurs familles dans une cathédrale. Des jeux, des spectacles de danse, des repas étaient proposés, l’ambassadeur des Philippines s’est adressé à elles. J’ai pu parler à ces travailleuses de nos plans d’action, nous leur avons distribué un guide pour les aider à mieux comprendre et défendre leurs droits. Le MTUC considère que l’organisation de ce genre d’événements durant la journée de congé favorise une meilleure compréhension entre travailleurs et employeurs, un meilleur climat entre eux, et aide à une meilleure reconnaissance de la valeur du travail de ces employées.

Nous avons aussi organisé une réunion d’information dans le refuge de l’ambassade d’Indonésie avec 90 femmes qui ont fui le domicile de leurs employeurs. Toutes retournent en Indonésie, mais les sensibiliser à leurs droits est utile car elles pourraient revenir un jour en Malaisie, elles peuvent aussi transmettre leurs informations et les contacts du MTUC à des connaissances qui vont venir travailler en Malaisie, etc. Il est important que l’information soit disséminée dans les pays d’origine.

Pouvez-vous continuer à représenter ces travailleuses migrantes en justice quand elles sont retournées dans leur pays ?

La législation nous interdit de représenter une personne qui ne se trouve pas en Malaisie. Certaines restent donc de six à neuf mois dans le refuge de leur ambassade en attendant leur procès, elles ne quittent le pays qu’après une éventuelle compensation de l’employeur. Le MTUC peut leur fournir une assistance juridique durant cette période.

Collaborez-vous avec les syndicats des pays d’origine des travailleuses domestiques migrantes ?

Nous avons signé un accord bilatéral avec le syndicat indonésien KSBSI (2) pour qu’il informe les travailleuses migrantes de leurs droits avant leur départ, qu’elles connaissent les lois malaisiennes et reçoivent des brochures avec les contacts des organisations qui peuvent les aider. Le MTUC travaille en étroite collaboration avec le KSBSI en ce qui concerne les campagnes, le dialogue social, le renforcement des capacités et l’aide aux travailleuses. Nous avons élaboré un plan de travail concret qui invite nos collègues indonésiens à influencer leur gouvernement pour qu’il traite les nombreux problèmes auxquels les travailleurs migrants indonésiens sont confrontés. De notre côté, nous documentons les cas d’abus et de non-paiement des salaires, et nous préparons une campagne sous forme de cartes postales en ce qui concerne le salaire minimum.

Est-il difficile d’amener une agence de placement à collaborer avec un syndicat ?

Oui, mais certains sont de bonne volonté. Obtenir la présence de responsables de l’ambassade dans leurs locaux améliore la réputation des agents auprès des employeurs. Ils sont d’autant plus intéressés par une collaboration avec nous que je leur offre une petite formation sur les points de la législation du travail qui les concernent. Beaucoup d’entre eux ne connaissent pas les règlementations sur le temps de travail, ne savent pas que faire quand une travailleuse domestique n’a pas été payée durant plusieurs mois, ignorent qu’un employeur ne peut pas congédier une travailleuse domestique sans indemnité, etc. L’agent doit pouvoir dire à l’employeur qu’il a commis une erreur et offrir une protection aux travailleurs. Dans beaucoup de situations, ce n’est pas le cas. Parfois, même si l’agent est au courant des règlementations, il décide de les ignorer, comme dans le cas du jour de congé hebdomadaire obligatoire, dont l’existence n’a pas été révélée aux employeurs. Les agents sont heureux de recevoir ces formations de notre part, mais ils doivent savoir que le MTUC contrôlera leur comportement.

Pour le MTUC, collaborer avec les agences de placement est très intéressant car les travailleuses domestiques indonésiennes n’ont souvent pas la possibilité de sortir de la maison de leur employeur, et je n’ai pas les moyens de les contacter individuellement dans chaque maison. Grâce à cette collaboration, je peux rencontrer les travailleuses qui sont dans sa base de données, il peut m’aider à m’entretenir avec les nouvelles arrivantes, je leur donne alors ma carte de visite, de la documentation, parfois des conseils.

A côté du travail avec les autorités gouvernementales, il est donc très important pour notre syndicat de poursuivre cette collaboration avec les agents, qui ouvre de nouvelles perspectives. Plus de 277 agents sont enregistrés officiellement en Malaisie, et il y en a peut-être 500 autres qui fonctionnent sans être enregistrés.

Comment convaincre des employeurs de participer aux séances de formation de leurs employées domestiques migrantes ?

Nous devons comprendre qu’ils sont parfois réticents à les envoyer à ces réunions. Nous voulons donc instaurer une certaine confiance auprès de ces employeurs, leur faire comprendre que nous pouvons également les aider, par exemple s’ils rencontrent un problème dans leurs relations avec leur travailleuse domestique. Les employeurs sont aussi curieux d’entendre ce qui se dit au cours de ces séances, ce qui explique leur présence.

Sensibilisez-vous l’opinion publique au sort des travailleuses domestiques migrantes ?

Nous distribuons régulièrement des pamphlets thématiques : définition du travail décent, utilité d’une Convention de l’OIT sur le travail domestique, … Nous les distribuons dans les taxis, les stations de bus, dans nos ateliers, conférences et réunions, nous les publions dans les quotidiens pour que tant les employeurs que les travailleuses domestiques les voient, nous les plaçons dans les lettres envoyées par le syndicat, nous en laissons dans les ambassades, etc. Lors des sensibilisations dans les centres philippins, nous en donnons aux migrantes philippines pour qu’elles en donnent aux Indonésiennes qui travaillent près de chez elles. Nous réalisons aussi des petites brochures développant plus en détails les thèmes liés au travail domestique.

Nous menons également des campagnes par cartes postales. La dernière campagne concernait la revendication d’un jour de congé par semaine pour les travailleuses domestiques, qui a été obtenu dans un protocole d’accord signé entre l’Indonésie et la Malaisie, mais nous la poursuivrons jusqu’à ce que ce droit soit garanti par la législation. Chaque mois, je présente aussi le projet pour les travailleuses domestiques dans les sessions de formations sur les relations professionnelles organisées par le MTUC. C’est important car des syndicalistes sont également employeurs de travailleuses domestiques migrantes.

Comment votre projet est-il financé ?

Nous sommes soutenus depuis les Pays-Bas par la FNV-Mondiaal (3), jusque décembre 2012.

Est-il possible de créer un syndicat des travailleuses domestiques en Malaisie ?

Sur le papier, la législation malaisienne ne comporte pas de discrimination contre les travailleurs migrants, mais dans la pratique, leurs droits ne sont pas entièrement protégés. Leur droit de se syndiquer est garanti par la Loi sur les syndicats de 1959, mais les pratiques administratives et des employeurs sans scrupules les découragent souvent de s’affilier.

En ce qui concerne les travailleuses domestiques, elles ne bénéficient pas de la liberté syndicale en Malaisie. Le MTUC a soumis une demande pour la création d’une association des travailleuses domestiques migrantes, mais ça nous a été refusé par le Bureau des enregistrements des associations, qui ne nous en a pas donné les raisons. Nous avons donc adopté une stratégie alternative en créant un Forum des travailleurs migrants le 20 mars dernier, sous les auspices du MTUC, pour identifier les problèmes de tous les travailleurs migrants et proposer des solutions auprès des autorités. Il compte déjà environ 250 membres. Son objectif principal est d’identifier et de documenter les problèmes rencontrés par les migrants (dont les travailleuses domestiques) et de les relayer auprès du ministère des Ressources humaines et du ministère de l’Intérieur. Le Forum va enregistrer les migrants, rester en communication avec eux pour identifier leurs problèmes, rencontrer régulièrement les travailleuses domestiques, etc. Il est important que les travailleuses domestiques migrantes qui fuient le domicile de leur employeur suite à un abus reçoivent un soutien, car certaines aboutissent dans des situations de trafic d’êtres humains. Certaines sont amenées en Thaïlande, où elles peuvent aboutir dans les salons de massage, la prostitution, etc.

L’accès à l’inspection du travail est pourtant un acquis de la nouvelle Convention internationale de l’OIT adoptée en juin 2011(4)…

Oui mais actuellement, la Malaisie ne veut pas de cette Convention, les autorités affirment que beaucoup de ses dispositions sont trop détaillées. Nous considérons au contraire que son adoption fut un moment historique qui a scellé la reconnaissance des droits des travailleuses domestiques, qu’elle est une source de fierté et d’inspiration pour les générations à venir.

Propos recueillis par Samuel Grumiau

(1) Malaysian Trades Union Congress

(2) Konfederasi Serikat Buruh Sejahtera Indonesia

(3) Federatie Nederlandse Vakbeweging (Fédération des syndicats hollandais)

(4) Convention n°189 sur les travailleuses et travailleurs domestiques

Dans la foulée de l’adoption historique de la Convention de l’OIT n° 189 sur les travailleurs domestiques lors de la Conférence internationale du Travail de juin 2011, la CSI a lancé une campagne, « 12 ratifications en 2012 », dont l’objectif est de parvenir à 12 ratifications de la C189 d’ici 2012. La campagne est organisée en partenariat avec le Réseau international des travailleuses domestiques (IDWN), l’Union internationale des travailleurs de l’alimentation, de l’agriculture, de l’hôtellerie-restauration, du tabac et des branches connexes (UITA), l’Internationale des services publics (ISP), la Confédération européenne des syndicats (CES), Human Rights Watch, Solidar, Migrant Forum Asia et World Solidarity.
Rendez-vous sur le site web de la campagne « 12 ratifications en 2012 »
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