Gros Plan sur Irakli Petriashvili (GTUC- Géorgie)

« Le code du travail ne sert que les intérêts du gouvernement et des oligarques »

Un code du travail ultralibéral et des attaques fréquentes des autorités ont fait perdre plus de 100.000 membres au plus important syndicat géorgien, la GTUC (1). Son président, Irakli Petriashvili, fait le point sur les discriminations dont sont victimes les syndicats géorgiens et sur les conséquences de la suppression de l’inspection du travail.

Le code du travail ultralibéral adopté par la Géorgie en 2006 ne cesse c’être dénoncé par les syndicats sur les plans national et international. Quels en sont les points les plus problématiques ?

Ce code du travail est par essence discriminatoire, il se limite à définir des obligations pour les travailleurs et à accorder des droits aux employeurs. Il n’a de code du travail que le nom car il viole les normes internationales de l’OIT, la Charte sociale européenne, d’autres accords avec l’Union Européenne, comme l’accord commercial SPG+ (2), etc.

Deux articles de ce code du travail facilitent la discrimination, et notamment la discrimination antisyndicale. Selon l’article 5(8), un employeur n’est pas contraint d’expliquer la raison pour laquelle il ne recrute pas un candidat à un poste de travail. Ce refus peut donc être fondé sur une affiliation syndicale car dans le formulaire de candidature, certains employeurs demandent si le candidat appartient à un syndicat ou quelle est son opinion par rapport aux syndicats. La discrimination peut aussi être fondée sur une affiliation politique, le genre, etc.

L’article 37(d) permet à un employeur de congédier un travailleur sans justifier ce licenciement. Il donne donc un pouvoir illimité à l’employeur de licencier un travailleur à n’importe quel moment, sans avertissement. La Constitution géorgienne stipule que toutes les formes de discrimination sont punissables, mais comme cet article offre la possibilité à l’employeur de dissimuler la raison réelle pour laquelle il licencie un travailleur, il est impossible de prouver la discrimination. L’employeur pourrait licencier une personne parce qu’elle est membre d’un syndicat, mais aussi si elle refuse d’avoir des relations sexuelles avec lui, si elle appartient à une autre religion, à une autre minorité ethnique, si elle a une autre opinion politique, ...

Le code du travail limite aussi le paiement des heures supplémentaires et la pertinence des négociations collectives. Nous avons la possibilité de négocier collectivement mais un employeur a le droit de conclure une convention collective avec un minimum de deux travailleurs, ce qui signifie qu’il peut ignorer les exigences de milliers de travailleurs, qu’une convention collective signée avec deux travailleurs a la même valeur qu’une convention signée avec la majorité des travailleurs !

Avez-vous perdu beaucoup de membres en raison de ce code du travail ?

Nous comptons 219.000 membres à l’heure actuelle, nous en avons perdu plus de 100.000 en raison du code du travail introduit en 2006. La majorité de ces défections ne se sont pas produites juste après l’adoption de ce code, mais à mesure que les employeurs utilisaient les avantages qu’il leur confère, que nous menions des activités syndicales de défense des travailleurs. Une grande partie de nos membres ont également été perdus suite aux activités antisyndicales du gouvernement : celui-ci ne s’est pas contenté d’élaborer un code du travail fait sur mesure pour les employeurs (une élaboration à laquelle les syndicats et la société civile en général n’ont pas participé), il utilise aussi des méthodes illégales pour lutter contre les syndicats, il oblige nos membres à écrire des lettres de désaffiliation, sans quoi ils perdent leur emploi. Du 8 au 12 août 2011 par exemple, dans trois régions de Géorgie, plus de 2.400 fonctionnaires membres de syndicats ont été contraints d’écrire une lettre de désaffiliation. Ils étaient appelés durant leurs vacances par les autorités locales ( administrations, maires, conseils municipaux, …) qui expliquaient aux membres qu’ils avaient reçu des instructions de la part de structures plus élevées du pouvoir ainsi que des forces de l’ordre selon lesquelles il ne pouvait exister de syndicat dans cette région, et que s’ils refusaient de se désaffilier, ils seraient facilement licenciés. La formulation de chaque lettre de désaffiliation était identique.

Une deuxième manière d’attaquer les syndicats est de supprimer le système de retenue à la source de la cotisation syndicale. Dans les trois régions où les fonctionnaires ont subi des pressions en août, ce système a été supprimé à 100% pour les syndicats des enseignants et du chemin de fer, et partiellement dans les syndicats de l’agriculture, du secteur public et des travailleurs médicaux. La plupart des membres que nous avons perdus n’ont pas écrit de lettre de désaffiliation, ce sont des travailleurs qui n’ont plus la possibilité de payer leur cotisation puisque le système de retenue à la source a été supprimé.

Quel est le dernier cas de violation antisyndicale grave ?

Le 1er août 2011, un syndicat a été établi dans l’usine sidérurgique Hercules, à Kutaisi. Le 11 août, au lieu des négociations que nous sollicitions, la direction a licencié six représentants élus, et alors que nous maintenions notre volonté d’être reconnus, du 11 au 13 août, d’autres militants syndicaux ont également été licenciés, portant le total à 17 syndicalistes licenciés. Une grève d’avertissement a eu lieu le 2 septembre, puis une grève totale le 13 septembre, avec comme revendication principale la réintégration inconditionnelle des travailleurs licenciés en raison de leur affiliation syndicale. Le 15 septembre, plus de 200 policiers ont donné l’assaut contre les grévistes pacifiques. Cette grève avait pourtant été organisée en respectant tous les obligations légales imposées par le code du travail, qui est très strict. Une quarantaine de travailleurs grévistes ont été arrêtés durant quatre heures. Avant leur libération, ils ont été contraints de signer une déclaration par laquelle ils s’engagent à ne plus jamais participer à une manifestation ou à une grève. Le soir, la direction de l’usine et la police ont appelé certains travailleurs pour les menacer, leur dire de reprendre le travail, sans quoi ils seraient punis et arrêtés. Le lendemain, certains travailleurs ont été amenés à l’usine en véhicule de police ! Le 18 septembre, trois participants très actifs à la grève, qui étaient venus témoigner devant nos avocats ce qui s’était passé (en vue d’une action en justice contre les actes illégaux de la police), ont été arrêtés de façon administrative durant 10 jours.

Quelle est l’image des syndicats dans la population et les médias géorgiens ?

Toutes les chaînes télévisées nationales sont contrôlées par le gouvernement, à l’exception d’une où nous avons davantage de possibilités de nous exprimer. Les médias écrits et radiophoniques sont plus libres.

Selon une enquête d’USAID, la confiance de la population dans les syndicats s’élève à 27%. C’est un bon niveau car le syndicalisme de type soviétique était totalement discrédité et depuis notre indépendance (ndlr : en 1991) jusque 2005, les syndicats n’avaient regagné aucun crédit. Nous sommes donc satisfaits d’avoir regagné la confiance de 27% de la population, malgré les pressions du gouvernement. De plus en plus de Géorgiens nous perçoivent comme une organisation composée de personnes honnêtes qui essaie de révéler les problèmes, de les régler, d’aider les gens ordinaires à faire respecter leurs droits individuels ou collectifs.

La Géorgie est l’un des rares pays au monde à être dépourvu d’inspection du travail. Quelles en sont les conséquences ?

Le gouvernement a estimé que l’inspection du travail était corrompue et ne pouvait remplir ses obligations. Au lieu de l’améliorer, il a décidé de la supprimer lors de l’entrée en vigueur du nouveau code du travail en 2006. Cette décision a des conséquences sur la santé et la sécurité au travail. Les accidents mortels liés au travail ont augmenté de 150% de 2006 jusqu’à l’heure actuelle. Or, il y avait davantage d’usines actives avant 2006. Il est clair que ce gouvernement ne montre aucun intérêt dans la régulation du travail, qu’il ne sert que les intérêts des oligarques.

Le 22 janvier 2011, une explosion dans une mine de charbon de Tkibuli a causé la mort d’un mineur et fait plusieurs blessés graves. Une concentration de gaz méthane supérieure à 6% avait été signalée, mais les mineurs avaient été contraints de descendre dans la mine par la direction. La situation s’est-elle améliorée ?

Trois jours de grève ont été organisés en février 2011. Comme toutes les opérations étaient suspendues, l’employeur a été contraint de négocier. Un accord a été signé, le syndicat a été reconnu, nous avons obtenu une augmentation de salaire, des vêtements de travail plus adaptés, de meilleurs règlements de sécurité, un transport pour les travailleurs, des douches, etc. Les questions de santé et sécurité sont à présent discutées dans le dialogue social, la direction ne pourrait plus contraindre des travailleurs à descendre dans la mine s’il y avait un danger particulier. C’est la même chose dans l’autre mine de Géorgie.

Appelez-vous à des sanctions économiques, à une suppression du SPG+(2) pour pousser le gouvernement géorgien à revoir son code du travail ?

Nous appelons à la tenue d’une enquête sur le respect par le gouvernement géorgien se toutes ses obligations dans le cadre du SPG+. Notre intention n’est pas d’obtenir une suppression du SPG+ pour la Géorgie, mais que les droits des citoyens, et notamment des travailleurs, soient garantis et respectés. Nous souhaitons donc une enquête et s’il n’y a pas d’adaptation à court terme du code du travail, qu’il y ait des sanctions appropriées.

Un rapport de la Commission européenne concernant la mise en œuvre en 2007 de la Politique européenne de voisinage avait déjà averti le gouvernement géorgien qu’il devait réviser son code du travail s’il voulait encore bénéficier en 2009 des avantages commerciaux liés au SPG+...

A la différence des syndicalistes, les politiciens mentent très souvent !

Recevez-vous parfois des menaces ?

Tous les dirigeants syndicaux en reçoivent, on peut s’y habituer. Il s’agit de discriminations, de menaces de prison, d’avertissements du genre « vous pourriez mal finir ». Ils émanent de « gentils conseillers », d’intermédiaires qui font passer le message de la part de gens du gouvernement. Des raisons peuvent être trouvées pour vous arrêter, vous emprisonner. Il y a tellement de gens qui n’avaient aucun lien avec la drogue, la prostitution ou la corruption, mais qui se retrouvent pourtant en prison pour ces raisons. Le contexte est celui d’intimidations, de chantages et de répression à mon égard et contre les membres de mon syndicat, d’écoute de nos conversations par les services de sécurité, se surveillance de nos déplacements, etc.

Qu’est-ce qui vous motive à continuer dans un tel contexte ?

Une de mes sources d’énergie se situe dans mes amis qui attendent de moi que je protège leurs droits, dans ces travailleurs qui participent à nos actions, dans le soutien reçu au niveau international. Mais ma plus grande inspiration est l’amour de mon pays. Je suis persuadé que la Géorgie a besoin de ce que je fais. Dans un pays exposé à des menaces externes, si la société civile ne participe pas étroitement aux prises de décision, si une personne très en vue, un président dicte ses choix à tous les autres, il y a un risque important que ce pays perde sa souveraineté. Or, la locomotive, le cerveau de la société civile réside dans le mouvement syndical.

Propos recueillis par Samuel Grumiau

(1) Confédération géorgienne des syndicats (Georgian Trade Union Confederation – GTUC)

(2) Le système de préférences généralisées consiste à permettre aux produits manufacturés et à certains produits agricoles exportés par les pays en voie de développement d’accéder au marché communautaire européen en exonération totale ou partielle des droits de douane. Le SPG+ offre des incitants spéciaux pour les pays qui ont ratifié et appliquent certaines conventions internationales spécifiées, notamment celles relatives aux droits liés au travail.

Note : Le 7 octobre 2011, lors de la Journée mondiale pour le travail décent, Irakli Petriashvili a reçu de la part d’Agnes Jongerius, présidente du syndicat hollandais FNV, le Prix Elisabeth Velasquez de la défense des droits syndicaux pour l’année 2011 (Vakbondsrechtenprijs 2011).

Lire aussi :

Géorgie : La brebis galeuse de l’Europe en matière de droits des travailleurs

Gros-plan sur Maia Kobakhidze (ESFTUG-Géorgie)

Gros-plan sur Hamlet Lomidze (RWU – Géorgie)