Gros Plan sur Marieke Koning (CSI- Egalité)

Victoire historique pour les travailleuses domestiques

La 100ème session de la Conférence internationale du travail vient d’adopter une Convention complétée par une Recommandation sur le travail décent pour les travailleurs/euses domestiques. Cette avancée fondamentale est le fruit d’années de luttes menées par les syndicats et associations de travailleuses domestiques du monde entier ainsi que par le groupe des travailleurs au sein de l’OIT. Marieke Koning, spécialiste de la CSI sur les questions d’égalité des genres et le travail domestique, détaille le contenu de ces nouvelles normes internationales qui sortent de l’ombre plus de 100 millions de travailleuses domestiques dans le monde.

Quels changements cette Convention induit-elle au niveau du statut des travailleuses domestiques?

Cette Convention est vraiment une décision historique. Certaines travailleuses domestiques présentes à Genève ont même dit qu’elle marquait la fin de l’esclavage moderne. C’est en réalité surtout leur reconnaissance en tant que travailleuses, êtres humains à part entière. Il s’agit aussi d’une marque de respect envers un travail qui est traditionnellement réalisé par des femmes et qui est, dès lors, sous-payé et dévalué.

La Convention donne donc aussi le droit à ces millions de travailleuses domestiques de jouir des droits reconnus aux travailleurs en général. Jusqu’à présent, la majorité des travailleuses domestiques appartenaient à ce qu’on appelle l’économie informelle. Une fois ratifiée, cette Convention a le potentiel de sortir des millions de travailleuses de cette économie informelle pour leur donner un emploi formel.

Quels aspects concrets des conditions de vie et de travail sont abordés par la Convention?

La Convention reconnaît tout d’abord le droit des travailleuses domestiques à s’organiser en syndicats, ce qui est aujourd’hui encore interdit dans de nombreux pays. Ce changement devrait leur permettre de négocier et d’améliorer leurs conditions de travail.

Celles-ci sont également abordées dans différents textes. Le nombre d’heures de travail, par exemple, n’est pas défini précisément mais il est stipulé que les travailleuses domestiques doivent recevoir un traitement égal à n’importe quel autre travailleur et donc exercer le même nombre maximal d’heures travail, d’heures supplémentaires, etc. que celui prévu par la loi nationale. Les heures passées en ‘stand-by’ (attente) sont par ailleurs reconnues comme des heures de travail.

La Convention donne aussi le droit aux femmes de bénéficier d’un congé de maternité et toutes les travailleuses domestiques devront désormais disposer d’un jour de congé par semaine. Elle donne droit au salaire minimum dans les pays où il existe, comme pour n’importe quel autre type de travailleurs. L’égalité de traitement par rapport aux travailleurs en général est vraiment un point très important de cette Convention. Il découle du fait que dorénavant, les travailleurs/euses domestiques doivent être reconnu(e)s comme travailleurs dans toutes les législations du travail du monde.

Le paiement en nature a également été discuté. Il devra s’accorder aux normes nationales et être très limité, soumis à des critères très clairs. La Recommandation stipule par exemple qu’il ne pourra pas couvrir l’achat et le nettoyage de l’uniforme.

Ces nouvelles normes internationales offrent-elles des protections spécifiques aux travailleurs/euses domestiques migrantes ?

Oui. Les travailleurs et travailleuses domestiques migrants devront par exemple signer un contrat écrit reprenant leurs conditions d’engagement avant leur départ, et ce contrat sera applicable dans le pays de destination. Ils/elles auront le pouvoir de décider s’ils veulent résider ou non sur leur lieu de travail. Il est clairement stipulé aussi que la travailleuse domestique n’est pas obligée de rester au domicile de son employeur durant ses congés hebdomadaires ou annuels. Le texte prévoit également la régulation très forte des agences de recrutement ainsi que l’obligation de mettre des mesures en place pour éviter les abus. Les frais d’agences ne peuvent par exemple plus être déduits du salaire de la travailleuse domestiques.

Les employés migrants devront aussi dorénavant pouvoir garder leurs documents de voyage et d’identité dans le pays de destination. C’est un élément fondamental car l’employeur ou l’agence de placement de travailleuses domestiques migrantes confisque souvent les papiers d’identité afin de les maintenir sous leur coupe durant toute la durée de leur séjour dans le pays de destination.

Le texte aborde-t-il également le travail des enfants? Un âge minimal est-il requis?

Le texte de la Convention fait référence aux Conventions 138 (1) et 182 (2) de l’OIT. Il stipule aussi que si des enfants de moins de 18 ans sont employés en tant que travailleurs domestiques (tout en ayant dépassé l’âge légal pour l’accès au travail), ils devront impérativement avoir accès à une forme d’éducation ou de formation. La Recommandation place davantage de restrictions sur le travail des enfants, elle interdit notamment le travail de nuit.

Un gros point de contentieux était l’accès de l’inspection du travail au lieu de travail des travailleuses domestiques, puisqu’il s’agit généralement d’habitations privées...

Les inspecteurs du travail ont désormais le droit de se rendre dans des habitations privées où des travailleurs/euses domestiques sont employé(e)s. Il y a plusieurs références à cette nouvelle règle aussi bien dans la Convention que dans la Recommandation.

Certains diplomates ont été impliqués dans des scandales relatifs à leur utilisation d’’esclaves domestiques’, mais s’en sont tirés grâce à leur immunité diplomatique. Les nouvelles normes abordent-elle ce problème ?

Un passage de la Recommandation fait référence au personnel diplomatique et stipule que des codes de conduite devraient prévenir les violations des droits des travailleuses domestiques employées par ce type d’employeurs, et qu’en cas de problème, des solutions devraient être trouvées par voie bilatérale, régionale et multilatérale.

Quel a été le rôle des syndicats dans l’adoption de cette Convention et de cette Recommandation?

Les syndicats et les travailleuses domestiques elles-mêmes ont effectué un travail fantastique, ils ont mené campagne dans le monde entier. Ces douze derniers mois tout particulièrement, les syndicats ont mobilisé leurs affiliés pour qu’ils entrent en contact avec les employeurs et les gouvernements et qu’ils négocient l’adoption de cette Convention et de cette Recommandation. Certains syndicats sont déjà actifs sur ce sujet depuis des années. Ils ont essayé d’organiser les travailleuses domestiques ou au moins de rentrer en contact avec elles d’une façon ou d’une autre.

Vu le soutien que les gouvernements et employeurs nous ont fourni lors de l’adoption de ces nouvelles normes, et vu leur appui aux amendements que nous avons suggérés, j’estime que l’action des syndicats a été très efficace.

Comment expliquer qu’il ait fallu 100 Conférences du Travail avant d’adopter une telle Convention?

Il y a 50 ans, il y avait déjà des discussions à l’OIT portant sur la reconnaissance des travailleurs domestiques et de leurs droits mais dans beaucoup de pays, le travail domestique est considéré comme un travail typiquement féminin. Traditionnellement, ce travail est dévalué et, souvent, il n’est même pas reconnu comme un travail. Début des années 2000, les choses étaient toujours plus ou moins les mêmes mais, même si cela a pris beaucoup de temps, les mentalités ont changé durant ces dix dernières années. Le principal tournant a eu lieu en 2008, quand le Conseil d’administration de l’OIT a placé le travail décent pour les travailleurs domestiques à l’agenda de la Conférence internationale du travail, dans le but de l’adoption de normes internationales. .La lutte des mouvements de travailleuses domestiques en faveur de leurs droits est l’une des grandes forces à l’origine de cette décision. Ensuite, ce sont les travailleurs eux-mêmes qui ont suivi le mouvement en créant des communautés, en organisant des réunions, ... Ils ont joué un rôle très important.

Quelles sont les prochaines étapes de cette lutte ?

L’adoption de la Convention et de la Recommandation était la première étape, maintenant il en reste beaucoup d’autres à franchir. Pour que les travailleurs/euses domestiques jouissent pleinement des droits garantis par ces normes, il faut qu’elles soient ratifiées. Aujourd’hui, nous sommes donc déterminés à nous lancer dans une grande campagne à long terme de ratification: convaincre les gouvernements de ratifier la Convention, remercier ceux qui nous ont soutenus. Ce sera long et difficile mais je pense vraiment que l’adoption de cette Convention, le fait d’avoir obtenu une majorité en sa faveur va vraiment changer les mentalités des employeurs, des gouvernements mais aussi des travailleurs. Cette problématique a été mise sur la table et elle y restera, personne ne pourra plus jamais l’ignorer.

Il faut souligner par ailleurs que si la Convention et la Recommandation établissent des normes minimales, les syndicats peuvent négocier des conditions plus favorables.

Si un pays ne ratifie pas la Convention, pourra-t-elle tout de même y avoir un impact?

Tout d’abord, les gouvernements ont insisté sur le fait d’adopter une Convention qui soit ratifiable, ce qui est déjà une sorte d’engagement en soi.

Ensuite, il y a aujourd’hui un mouvement syndical d’une certaine ampleur qui lutte pour les droits des travailleurs domestiques et il fera certainement pression sur les gouvernements qui refusent la ratification. Il aura besoin de soutien et cela pourrait prendre des années dans certains pays mais cette Convention a été adoptée et cela ne changera pas. Certains pays, comme l’Inde, la Tanzanie ou les Philippines, ont déjà apporté des modifications à leurs législations du travail. Si certains pays bougent, d’autres suivront.

Propos recueillis par Anne-Catherine Greatti et Samuel Grumiau

(1) Convention n°138 de l’OIT sur l’âge minimum d’admission à l’emploi et au travail

(2) Convention n°182 de l’OIT sur les pires formes de travail des enfants