Gros plan sur Hashmeya Musshin al-Saadawi (Irak-GFIW)

"Les travailleurs irakiens ont besoin d’une législation du travail juste et équitable"

En Irak, des lois iniques et antisyndicales datant de l’ère Saddam Hussein continuent d’être appliquées. Hashmeya Musshsin al-Saadawi est présidente du Syndicat des travailleurs et employés de l’électricité, à Basra, vice-présidente de la Fédération générale des travailleurs irakiens (GFIW), également à Basra, et membre du Comité exécutif de l’ICEM, dont elle est la représentante des Affaires féminines pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord. Elle lance un appel à la solidarité syndicale internationale en soutien à la Campagne syndicale nationale pour une nouvelle législation juste et équitable pour les travailleuses et travailleurs irakiens.

Vous êtes membre de la Campagne syndicale nationale lancée en novembre 2009. En quelques mots, quel est l’objectif essentiel de cette campagne?

Le principal objectif de la Campagne syndicale nationale est de mobiliser l’ensemble des forces, des acteurs politiques, des organisations de la société civile et des partisans syndicaux à l’échelle nationale pour faire pression sur le gouvernement et le parlement irakiens en vue de l’adoption d’une législation du travail juste et équitable remplaçant les lois iniques et antisyndicales de Saddam Hussein qui continuent d’être appliquées aujourd’hui.

-Quels ont été les résultats initiaux de cette campagne?

Depuis le lancement de la campagne sur le Code du travail à l’occasion d’une conférence de presse à Bagdad, le 8 novembre 2009, le Comité du travail national a organisé un grand nombre d’activités, y compris le lancement d’une seconde conférence de presse nationale, le 11 novembre 2009, à Erbil, dans le Kurdistan irakien. Celle-ci fut suivie d’une visite et d’un entretien avec le président irakien Jalal Talabani, qui a souscrit à l’appel de la campagne et fait don de 50 millions de dinars irakiens à la campagne.
Le Comité du travail national a organisé une troisième conférence de presse nationale, à Basra. Cette conférence de presse a réuni diverses organisations de la société civile, des syndicalistes, des journalistes, ainsi que des personnalités et des partis politiques irakiens. La conférence de presse à très vite fait place à un forum de débat. Les participants ont exprimé leur soutien et leur solidarité pour la campagne.

La campagne a réussi à rallier le soutien de 80 des 82 députés du parlement.

Au total, à Basra, 1100 personnes ont souscrit à l’appel. De nombreux journaux locaux et nationaux ont couvert les activités de la campagne.

Le camarade Hussein Fadel Hassan, président de la GFIW à Basra, et moi-même avons eu un entretien avec un membre du Conseil du Gouvernorat et président de la Commission des droits humains de Basra. Bien qu’il ait couvert d’éloges le travail mené par la GFIW à Basra en défense des droits des travailleurs et son combat contre les injustices commises contre les travailleurs, il a refusé de souscrire à l’appel malgré la longue discussion que nous avons eue avec lui. Il a, néanmoins, souscrit à la campagne pour la sécurité sociale lancée par le Syndicat des travailleurs de l’électricité.

Nous nous sommes également rendus auprès du premier adjoint du gouverneur de Basra pour faire appel à son soutien pour la campagne. Or celui-ci a renvoyé l’appel devant son conseiller politique ‘pour considération’, ce qui n’était en réalité qu’un prétexte pour éviter de devoir signer l’appel.

Le camarade Salih Abdulkhader, vice-président du Syndicat des travailleurs et employés de l’électricité à Basra et moi-même avons eu un entretien avec un délégué de la Commission du parlement irakien chargée de la sécurité et la défense nationale. Le président de la Commission de l’électricité et membre du Conseil du Gouvernorat de Basra était également présent à cet entretien. Le délégué parlementaire a refusé de souscrire à l’appel en alléguant que celui-ci pourrait être utilisé à des fins de propagande électorale. Cependant, le président de la Commission de l’électricité s’est déclaré solidaire avec la campagne et a demandé des copies supplémentaires de l’appel. Nous avons organisé une nouvelle réunion avec le président de la Commission de l’électricité pour la semaine suivante.

Nous continuerons à rallier les travailleurs en faveur d’une législation du travail juste et équitable et n’hésiterons pas à prendre les mesures qui s’imposent pour contribuer au succès de cette cause nationale juste.

Quel type de soutien syndical international recherchez-vous pour cette campagne?

La campagne syndicale nationale a été lancée avec le concours de la Confédération syndicale internationale (CSI). Nous espérons que la CSI renforcera son soutien solidaire en encourageant ses affiliées syndicales nationales à soutenir la campagne, plus particulièrement dans les pays avec lesquels l’Irak entretient des relations diplomatiques (ambassades ou missions diplomatiques). La CSI pourrait désigner une journée où des délégations de centrales syndicales nationales se rendraient auprès des ambassades irakiennes pour signifier leur soutien en faveur de notre campagne syndicale nationale. Je pense que la solidarité internationale est importante pour ce genre de campagne, pour inciter le gouvernement irakien à promulguer un code du travail nouveau, juste et équitable.

Des élections nationales sont prévues en Irak pour le 7 mars. Quel est l’enjeu des élections nationales depuis la perspective de la Campagne syndicale nationale?

Nous souhaitons et espérons que ces élections apporteront un changement pour le meilleur pour l’Irak et pour son peuple. Cependant, les attentes sont une chose et la réalité sur le terrain une autre. La Loi électorale passée à l’instigation des principaux blocs politiques dominants du pays prive une grande partie des Irakiens d’une représentation parlementaire équitable. En second lieu, il y a la déconvenue qu’ont suscitée auprès d’une grande partie de l’électorat irakien la falsification de votes et l’absence de progrès eu égard à l’amélioration des services essentiels promise par les partis actuellement au pouvoir. L’élection nationale du 7 mars risque d’être marquée par l’apathie de l’électorat. Je suis désolée, ce n’est pas du pessimisme mais juste ma façon de voir les choses.

Le 29 novembre 2009, la CSI dénonçait le meurtre de votre collègue syndicaliste Majeed Sahib Karrem, dernier d’une longue liste de syndicalistes assassinés. Il a été tué dans l’explosion d’un colis piégé placé sous sa voiture. Comment faites-vous face à toute cette violence contre les syndicalistes au quotidien ?

Pour ce qui est de l’aspect sécurité et la perte d’un si grand nombre de syndicalistes irakiens aux mains de terroristes et de bandes de criminels, la situation est tragique. Leur martyr ne fera que renforcer notre détermination et notre résolution à poursuivre notre combat pour la défense des travailleuses et des travailleurs. Ce n’est pas uniquement les syndicalistes que ces terroristes visent. Ils s’en prennent également aux fondements-mêmes du développement d’un Irak progressiste et démocratique. Nous
ne pouvons pas rester les bras croisés, malgré les risques.

Dans votre secteur, le secteur de l’électricité, quels sont les principaux problèmes qu’ont à affronter les travailleurs ?

Avant de vous parler du secteur de l’électricité et de ses problèmes, j’aimerais dire quelques mots à propos de Basra. Cette province est l’épine dorsale de la prospérité économique de l’Irak. Sa production de pétrole représente plus de 65% de la production de pétrole nationale. Elle abrite le seul port maritime de l’Irak. Elle possédait autrefois un nombre important d’usines qui ont peu à peu cessé de fonctionner dû au laisser-aller et aux guerres du passé, auxquels sont venus s’ajouter la négligence des gouvernements qui se sont succédé depuis 2003. C’est la capitale économique de l’Irak. Une ville de culture et d’arts. C’est la capitale culturelle de l’Irak. La ville de Basra est fière d’une longue tradition historique de syndicalisme. Son histoire récente abonde en récits de héros syndicalistes qui ont tenu tête au régime de Saddam Hussein et ont été assassinés pour leurs actions. Aujourd’hui, la ville de Basra est dotée d’une présence syndicale dans tous les secteurs de l’industrie.

Le secteur électrique de Basra se compose de trois départements (production, transport et distribution). Les centrales de production desservant Basra sont la centrale thermoélectrique d’Hartha, les usines de gaz de Khor Al-Zubair (deux nouvelles installations), la centrale thermoélectrique de Najibiyah et l’usine de gaz de Shuaiba. Il s’agit dans la plupart des cas d’anciennes installations, à l’exception de Khor Al Zubair, qui fut construite il y a trois ans.

Parmi les nombreux problèmes auxquels mon syndicat se trouve confronté, l’un des plus importants est l’absence d’une législation syndicale équitable et juste. Nous faisons campagne avec les travailleurs irakiens des autres secteurs pour une législation du travail juste et équitable. Le Décret nº 150 de 1987 interdit aux salariés du secteur public d’adhérer à un syndicat. Malheureusement, ce Décret continue d’être appliqué contre nous aujourd’hui par des responsables du gouvernement qui, ce faisant, semblent oublier que l’Article 22 de la Constitution irakienne garantit à tous les travailleurs le droit de former des syndicats.

Les conditions en matière de santé et de sécurité au travail sont précaires. Il n’y a pas suffisamment de formations et d’ateliers de travail d’éducation et de formation en santé et sécurité. Les travailleurs manquent d’équipements de protection et de procédures adéquates. Il résulte de ces négligences que de nombreux travailleurs sont blessés, voire handicapés. La corruption administrative et financière sont extrêmement répandues dans tous les secteurs de l’énergie. C’est là l’une des principales raisons pour lesquelles cette industrie continue de pâtir d’un manque de perspectives en matière de redéveloppement et de progrès. Le retour de nombreux Baathistes corrompus aux hautes sphères du pouvoir (administratif et financier) suite à leur adhésion opportune aux partis politiques dominants n’a fait qu’exacerber les problèmes.

Quelles réponses concrètes votre syndicat apporte-t-il aux préoccupations de ces travailleurs dans votre région, Basra?

Certains départements du secteur électrique essaient de spolier les travailleurs de leurs droits en arrêtant de rémunérer les heures supplémentaires qu’ils ont effectuées ou en les privant des indemnités dues en raison de l’emplacement géographique. Durant des mois, mon syndicat a été engagé dans des négociations avec ces départements concernant ces questions mais aucun progrès n’a pu être engrangé.

Nous (mon syndicat) avons organisé un sit-in devant le siège de la Direction chargée du Transfert de l’énergie. Le Bureau de l’inspection générale et un membre du Conseil du Gouvernorat de Basra/ Président de la Commission électrique sont intervenus et ont déclaré qu’ils soutenaient nos demandes. J’ai subséquemment téléphoné au conseiller national pour le transport au ministère de l’Electricité, pour plaider la légitimité des demandes des travailleurs. Les droits des travailleurs ont été rétablis et les responsables et départements corrompus ont été dénoncés.

A Basra, mon syndicat a organisé des ateliers de travail sur la santé et la sécurité et a invité des spécialistes de ce domaine à dispenser la formation.

Dans un entretien accordé à la CSI en novembre 2007, vous signaliez qu’il devenait de plus en plus risqué pour les femmes irakiennes de s’organiser. Comment cette situation a-t-elle évolué?

Sur le plan de la sécurité, 2007 et les années antérieures ont été particulièrement noires. Les femmes ont constitué une cible privilégiée pour les milices et les gangs. La situation s’est, toutefois, stabilisée et s’est améliorée de façon significative pour toutes les parties concernées suite à l’opération militaire «Charge des chevaliers» lancée par le gouvernement en 2008.

Qu’en est-il de la situation des femmes syndicalistes au sein du mouvement syndical irakien?

Malheureusement, la situation de la femme dans les syndicats demeure précaire. A mon avis, les principaux facteurs sont: Manque de confiance, peur et hésitation.

Comment évoluent les rapports entre les différentes parties des mouvements syndicaux irakien et kurde irakien?

Nous entretenons des rapports cordiaux et fraternels avec les syndicats de la région du Kurdistan irakien et avons collaboré dans le cadre de nombreux ateliers de travail conjoints organisés dans le Kurdistan irakien.

Comme vous le savez, deux des membres titulaires de la campagne du Comité du travail national appartiennent aux fédérations syndicales kurdes. Ils représentent une force-clé dans le cadre de cette campagne, comme ce fut démontré lors de la conférence de presse du comité d’Erbil, et ont joué un rôle essentiel envers l’entretien obtenu avec le Président de la République irakienne, M. Jalal Talabani.

Propos recueillis par Abdullah Muhsin et Natacha David


(1) Vous pouvez exprimez votre soutien à cette campagne en cliquant ci-dessous: