Gros Plan sur Hashemiyya Muhsin Hussein (Irak- GFIW)

« Pour une femme irakienne, travailler, c’est de plus en plus risqué »

« Pour une femme irakienne, travailler, c’est de plus en plus risqué »

Bruxelles, le 28 novembre 2007: Braver la législation antisyndicale héritée de l’ancien régime qui interdit les syndicats dans les services publics, tenter d’améliorer les bas salaires et les conditions de santé et sécurité… les défis sont nombreux pour Hashemiyya M.Hussein, présidente du syndicat de l’électricité de Bassorah. Egalement membre de la direction de la Fédération générale des travailleurs irakiens (GFIW) de Bassorah et membre du comité des femmes de l’ICEM pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, Hashemiyya incarne le syndicalisme très actif de cette région du Sud de l’Irak où l’insécurité est pourtant maximale.

Comment votre syndicat du secteur électrique en est-il venu à braver l’interdiction de syndicat dans les services publics ?

En1987, le régime de Saddam Hussein a interdit tous les syndicats des services publics. Ceux des services privés ont pu subsister, mais sous tutelle des autorités. En 2003, lors de la chute de l’ancien régime, certains syndicats se sont réorganisés. C’est ce qui s’est passé dans mon secteur, l’électricité. Après la mise sur pied de comités dans toutes les régions, une conférence a été organisée en 2004 pour dégager une équipe dirigeante pour le syndicat. Deux ans plus tard, des élections on été organisées et c’est ainsi que j’ai été élue présidente du syndicat de l’électricité de la région de Bassorah, en juin 2006. Nous bravons ainsi l’interdiction de syndicat dans les services publics.

Pourquoi pensez-vous avoir été élue à ce poste de dirigeante?

Durant les deux années précédant les élections, j’ai travaillé très dur pour faire avancer les revendications des travailleurs de ce secteur et j’ai pu obtenir certaines améliorations, notamment une révision des salaires. Auparavant on avait une grille salariale avec des écarts énormes, ne donnant que des salaires très faibles aux travailleurs les moins qualifiés débutants. Grâce à la lutte menée, on a pu obtenir une grille salariale moins inégalitaire.

Quels sont les principaux problèmes auxquels font face les travailleurs et travailleuses du secteur de l’électricité ?

Les problèmes sont très nombreux. Outre les conditions très difficiles d’insécurité et de paupérisation qui touchent toute la population, le maintien du code du travail en vigueur sous le régime de Saddam qui interdit les syndicats dans les services publics est un problème majeur. Mais même si c’est interdit, on travaille tout de même en tant que syndicats. Les nouvelles autorités qui, par le décret 8750 imposé en 2005, ont gelé tous l’accès aux avoirs syndicaux sur le territoire irakien (à l’exception du Kurdistan) nous empêchent ainsi d’avoir une existence financière nous permettant de fonctionner normalement. C’est une seconde difficulté majeure.

Quelle est l’image des syndicats dans la population générale ?

Beaucoup de travailleurs sont ignorants du syndicalisme. Dans le secteur électrique, la situation s’est améliorée grâce aux résultats positifs concrets du travail mené par le syndicat, notamment dans la relation qu’il mène avec le ministère de l’électricité.
La grève de juillet dernier a beaucoup contribué à améliorer l’image du syndicat.

Quelles étaient les revendications portées par cette grève ?

Elles étaient nombreuses. Comme la demande de changer la loi interdisant la syndicalisation des services publics, ou encore d’augmenter les salaires des travailleurs journaliers qui sont très mal payés par rapport à ceux qui reçoivent un salaire mensuel. On protestait aussi contre les retards de salaire. On a aussi soulevé le problème des travailleurs dans le domaine de l’uranium dont certains ont contracté de graves maladies, dans la région du Sud d’Al Romeila. A notre demande, le ministère a accepté de mener une enquête sur ces graves problèmes de santé liés au travail afin que l’on puisse envisager des mesures de protection pour ces travailleurs. Dans le même esprit, on a demandé un effort de maintenance des équipements électriques qui représentent un danger pour les travailleurs et les autorités ont également accepté d’étudier le problème afin que l’on puisse réduire les risques d’accident.

Les travailleuses font-elles face à des difficultés spécifiques ?

Dans le secteur électrique, la loi assure l’égalité entre hommes et femmes. Mais dans la réalité, certains départements n’accordent pas les bonus ou les promotions de la même façon pour les hommes que pour les femmes. Pourtant les femmes sont très nombreuses dans ce secteur. Lors de la guerre entre l’Irak et l’Iran, tous les hommes sont partis au front, les femmes les ont remplacés massivement, et c’est pourquoi elles sont si nombreuses.

Quatre millions d’Irakiens ont fui leurs foyers, la moitié pour se réfugier dans d’autres régions du pays, l’autre moitié à l’étranger. Quelles sont les conséquences de cet exil massif dans votre secteur ?

Les plus qualifiés, les plus expérimentés sont partis. C’est un problème majeur en termes de perte de compétences et d’expériences.

Assassinats, enlèvements, violences… Comment faire face à cette insécurité qui frappe aveuglément l’ensemble de la population irakienne, et qui cible les syndicalistes en particulier ?

Qui que ce soit qui est perçu comme travaillant contre n’importe quel groupe, ou parti, ou faction est automatiquement une cible menacée par la partie adverse. Les syndicalistes sont très concernés. D’ailleurs dans l’opinion publique, être syndicaliste est synonyme de prendre beaucoup de risques. La situation en termes de sécurité est même pire dans la région de Bassorah qu’à Bagdad. Il y a beaucoup de meurtres tous les jours. La population vit avec un sentiment de grande peur en permanence.

Comment réagit, votre famille, vos proches, à votre engagement syndical et aux risques qu’il entraîne ?

Il y a deux sortes de réactions, ceux qui sont effrayés et essaient de me décourager. Et ceux qui me soutiennent et sont fiers de moi.

Outre le fait d’être syndicaliste, être une femme est-il une source supplémentaire de danger ?

Sur les murs du marché ou autres endroits où il y a beaucoup de passage, des gens écrivent des slogans contre les femmes, contre les femmes qui travaillent, contre les femmes qui ne portent pas le voile. Le simple fait de travailler pour une femme, c’est dangereux. Mais beaucoup de femmes n’ont pas le choix à cause des difficultés économiques.
Oui, ça a été très difficile aussi en tant que femme, mais je n’ai pas voulu renoncer, je me suis battue pour obtenir cette position, même si j’ai reçu des menaces de mort contre moi, et même contre mon fils.

Quelle est la motivation qui vous pousse à prendre tant de risques?

Je crois profondément dans mon travail pour améliorer les conditions des travailleurs et travailleuses.

Quelle est la place des femmes dans les syndicats ?

Sur un total de 1700 travailleurs syndiqués, il y a beaucoup de femmes. Mais il n’y a que 4 femmes sur 49 membres responsables du syndicat de Bassorah. A cause des mentalités et de l’insécurité, les familles font pression pour qu’elles ne prennent pas de risque.

Etes-vous en contact avec des organisations de femmes de la société civile irakienne ?

Oui, on organise par exemple des séminaires où l’on invite différentes organisations de femmes. Lors de la tenue de ces séminaires, on parvient à avoir des participantes syndicalistes qui viennent des différentes régions d’Irak (1).

Quel type de contact avez- vous avec le mouvement syndical international ?

Nous sommes en contact avec l’ ICEM (Fédération syndicale internationale pour l’énergie et les mines), dont notre syndicat est devenu membre cette année. Je suis membre de leur comité des femmes pour le Moyen-Orient et l’Afrique du nord.

J’ai aussi participé à plusieurs missions syndicale internationale à l’étranger, notamment en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis où j’ai pu rencontrer des syndicalistes du mouvement « labour against war », et aussi de nombreux medias. On a beaucoup de communications à l’étranger via internet.

Propos recueillis par Natacha David.


(1) LA CSI soutien des activités régulières de formation de syndicalistes irakiens. En Mars dernier, la CSI a également soutenu une conférence à Amman réunissant des représentants syndicaux irakiens et des représentants de la Banque mondiale et du FM, en présence du secrétaire général de la CSI Guy Ryder. A plusieurs reprises, la CSI, en collaboration avec l’OIT et ses autres organisations partenaires, a condamné les assassinats et violences graves dont ont été victimes plusieurs syndicalistes irakiens. Le mouvement syndical international apporte une attention particulière au secteur pétrolier irakien, menacé par un projet de législation contraire aux intérêts des travailleurs.


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