L’ISO échoue à l’examen

Les normes applicables à la gestion de la sécurité au travail devraient être une bonne chose, n’est-ce pas? En effet, mais uniquement si elles sont satisfaisantes. Et le projet de norme concocté par l’Organisation internationale de normalisation (ISO) est loin d’être bon, souligne la secrétaire générale de la CSI, Sharan Burrow.

Lorsque l’Organisation internationale de normalisation (ISO) a décidé, en 2013, de procéder à l’élaboration de sa propre norme internationale sur des systèmes de management de la santé et de la sécurité au travail (ISO 45001), elle savait que la question était délicate.

L’Organisation internationale du travail (OIT) – « où les travailleurs et les employeurs participent aux délibérations des principaux organes sur un pied d’égalité avec les gouvernements, garantit que les points de vue des partenaires sociaux sont fidèlement reflétés dans les normes du travail, les politiques et les programmes de l’Organisation » - avait clairement indiqué que l’ISO, beaucoup moins transparente, ne devrait pas marcher sur ses plates-bandes. Les syndicats, menés par la CSI, ont également été alarmés et se sont opposés énergiquement à l’intrusion de l’ISO.

Après tout, l’ISO ne dispose d’aucun mandat d’expert en matière de santé et de sécurité au travail et ne doit pas écouter ceux qui en ont. L’adhésion est limitée aux organismes nationaux de normalisation. Ces organismes à l’échelle nationale peuvent permettre aux syndicats et aux employeurs d’avoir voix au chapitre mais ils ont été créés, à l’instar de l’ISO, pour établir des normes à l’intention des « consommateurs ». Le British Standards Institute (BSI) (Office de normalisation britannique), qui préside et assure le secrétariat de la norme ISO 45001, compte quelque 10 000 membres, dont un petit nombre inscriront la sécurité des travailleurs/euses sur leur « liste de souhaits ».

L’ISO indique, toutefois, que l’élaboration de ses normes s’inscrit dans une « démarche consensuelle et que les observations des parties prenantes sont prises en compte ». Il y a néanmoins des limites. La CSI « collabore » actuellement à la formulation de seulement deux des quelque 5000 normes en cours d’élaboration par l’ISO en matière de management de la sécurité et d’achats responsables. L’Organisation internationale des employeurs (OIE) collabore également à l’élaboration de deux normes sur le management de la sécurité et le management des ressources humaines.

L’OIE a indiqué que les projets de normes de l’ISO sont « protégés par des droits d’auteur » et que « les organisations observatrices telles que l’OIE, l’OIT et la CSI peuvent formuler des observations mais ne disposent pas du droit de vote, contrairement aux représentants du comité national ». Les employeurs et les syndicats – les deux principaux groupes représentatifs impliqués dans la gestion de la santé et de la sécurité au travail et les questions liées au travail – demeurent une espèce assez exotique et rarement consultée dans ses processus de prise de décisions.

Pour lancer le processus de prise de décisions de la norme, un Protocole d’accord a été signé, en août 2013, entre l’ISO et l’OIT, qui enjoint l’ISO de « respecter et de soutenir » les dispositions des normes de l’OIT et de ne pas aller à l’encontre. « En cas de conflit », les normes de l’OIT primeraient sur le projet de l’ISO, qui devrait être reformulé en conséquence. Conformément à cet accord, le travail peut commencer vers la fin de 2016, date butoir fixée pour la mise en œuvre.

Toutefois, l’ingérence de l’ISO dans les normes relatives à la sécurité sur le lieu de travail n’a pas respecté l’accord. Selon l’OIT, clairement exaspérée, la première mouture de la norme ISO sur la santé et la sécurité au travail du 1er juillet 2014, « ne respecte et ne soutient pas les normes internationales du travail ». En revanche, le projet coûteux – vous pouvez y jeter un coup d’œil si vous versez à l’ISO la généreuse somme de 38 francs suisses – « n’est pas conforme aux normes internationales et à de nombreuses législations nationales », notamment les normes de l’OIT existantes ratifiées par les gouvernements. Il n’est dès lors pas déraisonnable que l’OIT exhorte l’ISO à « respecter l’engagement mutuel » dans le Protocole d’accord.

La promotion d’une « approche fondée sur les comportements » par l’ISO figure en tête des préoccupations partagées par l’OIT et la CSI, remplaçant la gestion responsable de la santé au travail par un système visant à blâmer les travailleurs. La sécurité comportementale ne résout pas les problèmes liés à la santé et à la sécurité sur le lieu de travail, mais les ignore. Elle trouve des boucs émissaires dans la main-d’œuvre, et non pas des solutions de gestion.

Mais l’ISO ne cherche pas seulement à culpabiliser les travailleurs; elle veut pratiquement supprimer toute référence aux travailleurs.

L’OIT affirme que les travailleurs, la « principale partie prenante » lorsqu’elle rédige des normes relatives à la santé et à la sécurité sur le lieu de travail, « sont pratiquement invisibles dans le projet actuel ». Les dirigeants de l’ISO ont appuyé sur la touche de suppression à pratiquement chaque mention du terme « travailleurs ». La « protection des travailleurs » est une autre victime dans la mesure où « leur protection et leur participation » ont été minimisées.

L’OIT souligne que la « participation des travailleurs » a été reléguée à « un rôle secondaire, voire facultatif à la discrétion de la direction », violant ainsi un accord explicite antérieur du comité plénier de rédaction. La condition requise de participation des travailleurs a complètement disparu de l’annexe sur les engagements essentiels à inclure dans une politique en matière de santé et de sécurité au travail.

Le rôle reconnu des « représentants des travailleurs » pour garantir des lieux de travail plus sûrs et plus sains bénéficie également de ce traitement de l’ISO, puisque leur implication n’est mentionnée qu’une seule fois et diluée par l’ajout de l’expression « le cas échéant ». Pour s’assurer que vous savez que la voix des travailleurs n’est pas importante, les dirigeants de l’ISO ont indiqué ces « représentants » entre parenthèses, au même titre que « les comités de sécurité ».

La responsabilité primordiale reconnue à l’échelle internationale et consacrée sur le plan juridique de la garantie de la sécurité sur le lieu de travail par l’employeur a également été supprimée du projet, de même que la référence à « la responsabilité de la direction ». Le texte appuyant la hiérarchie des contrôles, et incluant la suppression des risques en tête de liste, a également été modifié. Un modèle « préparer-faire-évaluer-améliorer » ajouté au projet ne comprend pas de plan pour que les travailleurs qui réalisent le travail fassent autre chose qu’être les bénéficiaires passifs - et, dans certains cas, inéluctablement, les victimes – des décisions de la direction.

Selon la nouvelle norme de l’ISO, la direction de l’entreprise aurait un contrôle absolu et n’aurait aucune responsabilité. Cette approche va à l’encontre des législations modernes sur la sécurité et de l’ensemble des pratiques acceptées et efficaces de gestion de la sécurité et de la santé au travail. Les experts appelés à conseiller l’ISO le savaient. Mais oublions le consensus; l’ISO agit en qualité de censeur.

Les normes de l’OIT concernant la santé et la sécurité ne sont pas parfaites, mais un processus de débat ouvert et éclairé entre les gouvernements, les employeurs et les syndicats requiert que certaines questions, telles que les approches de gestion responsable et la participation des travailleurs, ne soient pas contestées. La sécurité comportementale n’est pas inscrite à l’ordre du jour. Et ceci parce que toutes les parties ne participent pas seulement au débat, mais également à la prise de décision. L’ISO pourrait en tirer de grands enseignements.

La raison pour laquelle l’ISO a pu se tromper au point de rédiger un projet si lamentable réside dans deux facteurs. Le premier est l’absence d’une participation tripartite du gouvernement-syndicat-employeur aux comités de l’ISO qui élaborent le projet. C’est une approche que l’ISO a jugée « critique » d’emblée et qu’elle a ensuite ignorée rapidement. Seulement quatre des 83 experts participant au groupe de travail qui élabore le projet proviennent d’organisations de travailleurs.

Le second problème est que l’ISO n’écoute pas de toute façon. Le texte du projet actuel présenté a été, à la grande consternation de l’OIT et de la CSI, modifié unilatéralement et de façon significative par l’ISO, qui a changé ou compromis une grande partie du contenu convenu avec les experts et l’OIT.

L’approche « consensuelle » autoproclamée par l’ISO a été sapée par son non-respect de l’accord avec l’OIT et discréditée par ses tentatives « nous savons mieux que personne » d’imposer une norme à laquelle s’opposent toutes les parties qui ont un intérêt direct dans les systèmes de gestion de santé et de sécurité au travail. Elle rend le processus inutile. En outre, elle rend le produit insignifiant, dans le meilleur des cas, et très préjudiciable, dans le pire des cas.

En ce qui concerne les normes de sécurité au travail, une norme préjudiciable est une préoccupation majeure. Une norme préjudiciable implique davantage de lieux de travail peu sûrs, davantage de lieux de travail insalubres et davantage de victimes au travail.

Les initiés craignent que le BSI, chargé de coordonner le processus d’élaboration des normes, n’exhorte les organismes nationaux de normalisation à ignorer les préoccupations soulevées par l’OIT et d’autres organisations et à faire avancer le projet actuel de l’ISO, qui comporte de graves lacunes.

Il est encore temps d’agir à cet égard. Le vote par les membres de l’ISO pour déterminer si le projet actuel de l’ISO devrait se poursuivre prendra fin le 18 octobre. Votre organisme de normalisation national pourrait faire une réelle différence, et pas seulement en votant « non » à la norme.

L’ISO doit être bien consciente qu’une norme qui ignore le rôle essentiel des parties concernées dans sa conception et mise en œuvre, qui porte atteinte aux normes de l’OIT déjà établies et qui pourrait donner l’aval de l’ISO aux systèmes visant à blâmer le travailleur ne donnera tout simplement pas de bons résultats.

Il ne s’agit pas simplement d’un bout de papier, mais des travailleurs et des travailleuses. L’ISO ferait bien de s’en souvenir.