Gros Plan sur Loulou Chery (CTH- Haïti)

« Redonner un avenir à Haïti passe par la reconstruction et la création d’emplois »

Endeuillé suite au tremblement de terre qui a ravagé le pays, le mouvement syndical haïtien, soutenu par la solidarité syndicale internationale, s’est aussitôt porté au secours de la population(*). Aide alimentaire, aide médicale et d’hébergement se sont organisées au centre de formation de la CTH à Port-au-Prince, avec le concours des organisations syndicales dominicaines qui ont immédiatement acheminé des secours. Alors que des organisations syndicales dans le monde entier continuent leurs récoltes de fonds destinés à aider Haïti, Loulou Chery, secrétaire général de la Confédération des travailleurs haïtiens (CTH) fait le point sur les besoins d’urgence les plus criants. Il insiste aussi sur la nécessité d’une stratégie à moyen terme de reconstruction et de création d’emplois et lance un appel à soutien à la formation professionnelle.

-Dans quelles circonstances avez-vous vécu le tremblement de terre ?

Entre 3 h et 3h30, je me suis rendu au siège du conseil électoral provisoire où travaillait Denise, la responsable des finances de la CTH. Elle devait signer des chèques pour permettre à des affiliés de faire les démarches administratives pour se rendre a un séminaire organisé par le Conseil des Travailleurs des Caraïbes en République dominicaine du 21 au 25 janvier. Après avoir obtenu sa signature, je suis retourné au siège de la CTH situé rue des miracles. Juste arrivé, encore dans mon véhicule à l’arrêt, j’ai vu que des gens couraient dans la rue. La voiture s’est mise a sauter et j’ai prié en demandant à Dieu qu’il ne me laisse pas mourir ainsi et qu’il me sauve. On entendait des cris qui n’étaient pas habituels. C’était incomparable à ce qu’on connaît. Tout est devenu blanc puis noir. En quelques secondes, les maisons se sont effondrées. Il y avait du sang et des morts partout, ainsi que des gens paniqués. On a alors réalisé que c’était un tremblement de terre. Je pensais laisser le véhicule et puis d’autres circulaient et se frayaient un chemin. J’ai un peu avancé avec mon véhicule, puis quelques mètres plus loin, près du Palais national, j’ai poursuivi en marchant. Mon épouse, Ginette, m’a indiqué au téléphone qu’elle était vivante et les enfants aussi. J’ai marché 50 minutes jusqu’à la maison. C’était affreux, abominable.
Ma maison est fissurée et inhabitable. Apres avoir dormi dans la rue, on a finalement décidé de se rendre a l’INAFOS, le centre de formation sociale de la CTH, dont le bâtiment est resté en parfait état. Depuis lors, nous vivons ici avec de nombreuses familles.

L’impact de cette catastrophe en termes de pertes de vies humaines est très lourd pour le mouvement syndical…

Avec le décès de la camarade Marie Denise Sinclair Almeus, responsable des finances, la CTH est en deuil. Le décès de Denise est un grand choc pour nous. Plusieurs jours après la tragédie, nous-mêmes l’avons retirée des décombres et le mardi 19 janvier, sa dépouille a été enterrée.
Adam Saintenie, la ménagère de l’INAFOS, est aussi morte avec son fils. Plusieurs membres du Comité exécutif ont aussi perdu des proches, surtout des enfants. La plupart de leurs maisons sont détruites ou fissurées, et donc inhabitables.
Le siège de la CTH est sur pied mais tellement fissuré qu’il est dangereux et le local dont nous disposions a Pierre Baptiste s’est effondré.

Quels sont les premiers secours qui vous sont parvenus ?

C’est le MOSCHTA, mouvement affilié à la CASC de République dominicaine, qui nous a accompagnés immédiatement après le séisme. Ils sont venus avec des médecins et des ambulances au siège de l’INAFOS qui les a hébergés. D’ici, ils ont soigné des dizaines de blessés, ont distribué de l’eau et des médicaments. Point de réception des convois acheminés par les syndicats dominicains, l’INAFOS a été transformé en lieu d’accueil pour les victimes, où nous stockons les vivres et venons en aide comme nous le pouvons à ceux qui en ont besoin.

Quels sont aujourd’hui les besoins prioritaires les plus urgents pour la population ?

L’urgence, c’est avoir de l’eau, de la nourriture, des tentes et des soins médicaux. Les médicaments sont rares sur le marché. Il faut aussi des logements pour les travailleurs qui se retrouvent sans maison, aucune liste définitive n’étant encore disponible.

Qu’attendez-vous du mouvement syndical international ?

Le mot magique du mouvement syndical est la solidarité. Nous ne sommes pas des pauvres qui demandons quoi que ce soit. Mais en dehors de l’appui du gouvernement et de l’aide internationale, toujours désorganisés à ce stade, il faut donner au mouvement syndical la capacité d’agir. Nous remercions l’aide internationale qui est parvenue de nombreux gouvernements et organisations, le mouvement syndical a la capacité de contribuer à acheminer cette aide.
L’aide d’urgence qui nous arrive de la CSI montre que c’est possible, il est nécessaire que cette solidarité d’urgence se poursuive.
A moyen terme, nous pensons travailler sur la construction de maisons pour les travailleurs sans abri et nous cherchons des terrains dans ce but. Nous avons déjà discuté avec plusieurs mairies. Cela vaut pour Port-au-Prince mais aussi pour les provinces car les gens ont peur des répliques et beaucoup ont quitté la capitale. Les réfugiés sont nombreux à arriver en province où il y a aussi urgence. Nous devons aussi éviter de rester uniquement à Port-au-Prince, Nous allons partir pour Leogane et Petit Goave pour voir la situation qui ne semble pas meilleure.

Quel est l’enjeu en terme d’emploi ?

A vrai dire, on ne peut pas parler d’emploi. Tout est détruit. Sur le plan de la création d’emploi, il faut reconnaître qu’il y avait déjà urgence avant la catastrophe. L’emploi était déjà un luxe. Sur 5 millions de travailleurs, seuls 250.000 avaient un emploi. Le Palais des Ministères s’est effondré, là où des milliers de travailleurs étaient employés.
Nous ne pourrons nous reconstruire un avenir que par la reconstruction et la création d’emplois. L’INAFOS peut jouer un rôle central pour lancer immédiatement des programmes de formation professionnelle pour que les travailleurs et travailleuses puissent rentrer sur le marché du travail et participer à la reconstruction. Mais il faut qu’il puisse fonctionner dans des bonnes conditions, assurer une bonne capacité d’organisation de formations. Nous pensons notamment a installer des panneaux solaires pour qu’il soit autonome en énergie. Avec le BIT comme avec la CSI, nous pourrions certainement collaborer pour trouver les meilleurs experts formateurs et assurer la sélection des participants aux formations professionnelles identifiés dans les douze secteurs d’activité que compte la CTH.

Propos recueillis par Isabelle Hofferlin (avec N.D.)


(*) Suite au séisme qui a frappé Haïti, la CSI, en coopération avec son organisation régionale américaine la CSA, a lancé un appel syndical à l’assistance humanitaire pour les victimes. Les fonds réunis grâce à cette action sont prioritairement consacrés à la fourniture d’aide humanitaire par le biais des organisations affiliées en Républicaine dominicaine, CASC, CNTD et CNUS vers l’affiliée haïtienne de la CSI, la CTH. Pour plus de détails sur les premières opérations de secours menées en Haïti grâce à la solidarité syndicale, voir le communiqué Enligne de la CSI du 21 janvier 2010

Voir aussi les premières images de l’aide humanitaire apportée par le mouvement syndical sur le terrain