Déclaration syndicale à l’assemblée générale de l’OEA

La 46ème session régulière de l’Assemblée Générale de l’Organisation des Etats Américains a eut lieu du 13 au 15 juin 2016 à Saint-Domingue, République Dominicaine. Les syndicats y ont présentés leurs recommandations sur le thème du renforcement institutionnel pour le développement durable dans les Amériques.

DÉCLARATION SYNDICALE

1. Le mouvement syndical des Amériques représenté par son organisation continentale, la Confédération syndicale des travailleuses et travailleurs des Amériques (CSA) et le Conseil syndical de consultation technique (Consejo Sindical de Asesoramiento Técnico, COSATE), réuni dans la ville de Saint-Domingue, République dominicaine, le 12 juin 2016, avec pour objectif de consolider un ensemble d’idées et de recommandations sur le thème du « RENFORCEMENT INSTITUTIONNEL POUR LE DÉVELOPPEMENT DURABLE DANS LES AMÉRIQUES » qui seront portées à la considération des États américains qui siègeront en assemblée les 13, 14 et 15 juillet prochains à Saint-Domingue, République dominicaine.

2. Avant d’entrer dans la présentation de notre vision sur ce thème, nous considérons nécessaire d’évoquer quelques réflexions sur la conjoncture politique, économique et sociale complexe que traverse notre continent. Le considérant totalement d’actualité et pertinent à notre vision, nous nous reporterons, en termes généraux, à l’analyse réalisée lors du 3e Congrès de la CSA, qui s’est tenu en avril dernier à Sao Paolo.

3. Nous restons sous le coup d’une des plus graves crises économiques du capitalisme développé, qui a éclaté en 2008. L’onde de choc de cette crise s’est répercutée immédiatement et avec force sur les pays d’Amérique latine et les taux de croissance de leurs PIB (produit intérieur brut), qui ont accusé une tendance négative. S’ensuivit, néanmoins, une phase de reprise rapide qui a insufflé l’idée d’une « déconnexion » entre les pays centraux et les pays émergents périphériques. Une illusion qui finirait par s’estomper vers 2012-2013.

4. Nous nous trouvons face à un contexte économique où sont pronostiqués de faibles taux de croissance économique, voire des tendances à la récession pour la majorité des pays d’Amérique latine et des Caraïbes. La reprise limitée des États-Unis et du Canada ne s’est pas étendue aux travailleurs. Ce scénario suppose des défis encore plus considérables à l’heure d’impulser un développement tangible, mis en œuvre d’une manière qui réponde équitablement aux nécessités environnementales des générations présentes et futures, fondé sur une justice sociale et des augmentations de la participation du salaire dans le revenu national.

5. Le système financier international hautement déréglementé provoque une crise et ne génère pas d’emplois. Environ 800 banques et fonds d’investissement contrôlent déjà 70% de la production mondiale. La phase de mondialisation néolibérale et la financiarisation des ressources qui l’accompagne ont exacerbé les disparités dans le monde entier, allant jusqu’à renverser la tendance qui s’était observée dans certains pays du nord depuis la Seconde Guerre mondiale. Deux rapports récents [de la banque Crédit Suisse et de l’ONG Oxfam International publiés en janvier 2016] font état de l’aggravation de l’inégalité à travers le monde : 1% de la population mondiale détient plus de richesse que les 99% restants et parmi cette minorité privilégiée, 62 personnes accumulent une richesse équivalente aux avoirs de la moitié la plus pauvre de l’humanité.

6. Les politiques d’ajustement structurel mises en œuvre dans certains pays en réponse à ce nouveau cycle de crises n’ont fait qu’accentuer l’inégalité liée à la distribution du revenu, avec pour conséquences une informalité et une exclusion croissantes, favorisant l’appropriation du revenu et la concentration de la richesse. Dans le même temps, nous nous voyons confrontés à une crise de l’investissement, une crise de la dette et une crise de l’encaisse oisive.

7. La stratégie des grandes entreprises et des gouvernements qui les soutiennent consiste, à l’heure actuelle, à amorcer des processus de négociation de nouveaux accords de libre-échange, dans le but d’imposer des pressions supplémentaires et des conditions sociales et salariales plus défavorables aux travailleurs des pays concernés. D’autre part, les traités de promotion et protection des investissements (TPPI) en vigueur dans la majorité des pays sont configurés dans le cadre de l’autre composant de l’architecture du libre-échange, qui agit comme la grande menace du pouvoir entrepreneurial contre la souveraineté des nations.

L’emploi, les droits au travail et la crise.

8. D’après le rapport Perspectives pour l’emploi et le social dans le monde – Tendances 2015 de l’Organisation internationale du travail (OIT), près de 8 ans après le début de la grande crise internationale, la reprise des marchés du travail reste ténue et inégale. La croissance économique modeste enregistrée dans la seconde moitié de 2013 et au début de 2014 est en train de décliner, avec un ralentissement qui est entraîné par les grands pays de la zone euro. Selon l’OIT, les récentes turbulences dans les marchés financiers rendront plus difficile la réduction du chômage à des taux antérieurs à la crise.

9. De par le monde, les entreprises se servent de la crise économique comme prétexte pour contraindre leurs gouvernements à imposer des mesures allant dans le sens d’une précarisation des conditions d’emploi des travailleurs. Les droits des travailleurs, en particulier ceux relatifs à la liberté syndicale et la négociation collective, sont des droits humains fondamentaux et doivent être défendus face aux mesures anticrise appliquées aux échelons national et international, afin d’éviter leur régression.

10. Même au niveau de la principale économie régionale et mondiale, les États-Unis, la récente reprise économique s’opère au détriment des conditions des travailleurs. Les travailleurs de ce pays sont en proie à une attaque soutenue contre leur liberté syndicale, qui a pour conséquence la dégradation de la distribution du revenu, au détriment des travailleurs.

11. Les retombées adverses de la conjoncture économique en Amérique latine et dans les Caraïbes se poursuivent. Selon le Panorama du travail 2015 de l’OIT, 1,7 million de personnes sont venues grossir les rangs du chômage en Amérique latine et dans les Caraïbes en 2015. Toujours selon le même rapport, la décélération économique provoque non seulement une hausse du chômage mais aussi une informalité accrue. Ces tendances régressives affectent particulièrement les femmes et les jeunes.

12. Encore une fois, l’intérêt des institutions financières internationales et des multinationales est d’imposer aux États des politiques de flexibilisation moyennant des réformes de la législation du travail, pour engager les travailleurs des différents pays dans une course vers le bas au plan de l’emploi et les contraindre, par-là même, à accepter des conditions de travail de plus en plus précaires. L’argument récurrent employé par le capital est celui de la menace de délocalisation et de suppression de postes de travail en cas de refus des conditions d’emploi revues à la baisse. Les accords de libre-échange (ALE) et les traités de promotion et protection des investissements (TPPI) en vigueur à l’heure actuelle contribuent en ce sens.

13. Des modalités d’externalisation sont exploitées par les entreprises pour éviter de devoir remplir leurs responsabilités légales en tant qu’employeurs et visent dans la plupart des cas ouvertement à précariser et affaiblir les conditions de travail et à rendre difficile l’exercice de la liberté syndicale et la négociation collective.

14. L’imposition d’un monde du travail flexibilisé et dérégulé implique en soi l’existence d’emplois plus précaires et moins sûrs. L’absence de politiques publiques qui protègent les travailleurs et l’irresponsabilité des employeurs impliquent également une perte des contrôles et des mécanismes de protection de la vie et de la santé des travailleurs. Il convient, à ce titre, d’alerter à la présence de nouvelles technologies et l’utilisation de substances chimiques en l’absence d’une évaluation adéquate de leurs effets sur la santé des travailleurs, la population et l’environnement.

La crise économique et les menaces contre la démocratie dans les Amériques

15. L’imposition d’un programme radical d’ajustement économique et la limitation du contenu social et des droits représente une sérieuse menace pour la démocratie politique dans les pays de la région. L’autoritarisme de marché contraint par ses pressions les gouvernements à réduire leur mécanisme déjà affaibli de protection sociale de la population. L’assaut lancé contre les entreprises et les services publics oriente une nouvelle vague de privatisations.

16. Les syndicats, les organisations paysannes, les féministes, les écologistes et autres acteurs sociaux sont harcelés, voient leurs droits violés et leur capacité de réaction limitée sous l’effet d’une criminalisation de la lutte démocratique et la persécution violente de leurs dirigeants.

17. Face à cette situation, le mouvement syndical revendique un rôle de gouvernance proactive pour l’État, comme moyen de surmonter la logique de marché qui se trouve aujourd’hui sous la prédominance du capital. Il est important d’appuyer des politiques publiques qui aillent dans le sens de la réalisation des objectifs de développement durable pour l’après-2015 (ODD), et ce aux fins d’inclure le plein emploi et des garanties visant à un environnement propice au renforcement et au développement des organisations syndicales.

18. La Confédération syndicale des travailleuses et travailleurs des Amériques a lancé un avertissement concernant le cadre de déstabilisation de la démocratie dans notre continent, avec le siège de facto imposé par les pouvoirs concentrés du capital, les médias convertis en partis de l’ordre néolibéral, au même titre que les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Concrètement, dans plusieurs pays de la région comme le Honduras, le Paraguay, le Brésil et l’Argentine, nous avons été témoins d’une régression en matière de libertés civiles et d’une persécution explicite des organisations de la société civile et des personnes qui expriment la moindre critique ou opposition aux politiques conservatrices qui ont éliminé des instruments de la politique publique liés à la culture, aux droits humains et à la liberté d’expression.

19. Certains pays ont vu arriver au pouvoir des gouvernements conservateurs armés de programmes restrictifs au plan économique, social et politique, qui visent à démanteler jusqu’aux avancées inscrites dans les constitutions nationales, fruit de conquêtes arrachées à l’issue de décennies de luttes démocratiques au niveau de la région. On assiste en même temps à une offensive cinglante contre les progrès démocratiques chers à la société, comme le combat contre les différentes formes de discrimination et en faveur de l’inclusion de tous les citoyens, indépendamment du sexe, de l’orientation et de l’identité sexuelles, de la race, de l’origine sociale et ethnique, de l’âge ou de tout autre vice autoritaire d’exclusion et de discrimination.

20. Ces gouvernements néolibéraux qui jouissent d’un important soutien de la part du monde des affaires et des institutions internationales, ainsi que des consortiums médiatiques nationaux et internationaux qui défendent les idées du capital tout puissant, s’emploient à affaiblir les mécanismes démocratiques de gouvernance de la société, accélérant par-là même la persécution et la criminalisation des organisations sociales.

21. Et ce qu’il y a de plus regrettable c’est que nous voyons se reproduire dans l’actualité des processus de coup d’État sous différentes formes qui, bien qu’ils se prévalent d’une institutionnalité juridique ou parlementaire, enfreignent par essence la souveraineté populaire. Des faits que nous avions déjà dénoncés lors des coups d’État du Honduras et du Paraguay, qui furent marqués par des formes de rupture constitutionnelle à l’issue desquelles des gouvernements illégitimes se sont installés au pouvoir et des programmes d’ajustement radicaux ont été imposés, cependant que les violations des droits humains se sont approfondies, préparant le terrain à ce qui est désormais dans ces pays le règne de la pauvreté, l’exclusion sociale et la violence.

22. C’est dans ce même chemin que se trouve désormais engagée la démocratie brésilienne, où sous des arguments sans aucun rapport avec des crimes de responsabilité, non seulement la présidente élue Dilma Rousseff a été évincée de son poste mais où on assiste, de surcroît, à une offensive débridée du gouvernement illégitime qui occupe le pouvoir à titre provisoire contre les conquêtes sociales, politiques et économiques arrachées au fil de 30 années de démocratie au Brésil. La conscience démocratique au Brésil et dans le monde a pris position pour condamner ce Putsch institutionnel qui cache un programme agressif au plan social et culturel, au service du grand capital et du libre-échange dans le domaine économique et qui est, par ailleurs, contraire à l’intégration régionale.

23. Un tel recul, lorsqu’il est considéré sur le laps rétrospectivement court de la période écoulée depuis notre dernière session qui s’est tenue l’année dernière à Washington nous amène à nous interroger sur la brèche qui est en train de s’ouvrir entre, d’une part, les discours internationaux sur la promotion d’un environnement habilitant et un focus sur les droits et, de l’autre, la régression qui se vit au niveau de la région. En particulier, l’assassinat de la militante écologiste hondurienne Berta Cáceres, la détention en l’absence d’une procédure régulière de la militante sociale argentine Milagro Sala et la partialité de la justice dans beaucoup de pays – où la mise en accusation de la présidente Dilma Rousseff se dresse comme un paradigme de l’offensive déployée par ce nouvel ordre social – mettent en exergue le fait que dans notre région, les forces conservatrices ont choisi d’avancer dans un sens contraire aux engagements pris dans le cadre du Programme 2030, en particulier en ce qui concerne la cible 16.3 « Promouvoir l’état de droit aux niveaux national et international et donner à tous accès à la justice ».

24. Nous considérons avec préoccupation l’actuelle crise financière de l’OEA et réitérons notre soutien à cet organisme régional et au travail qu’il mène autour des piliers de son action que sont les droits humains, la démocratie, le développement intégral et la sécurité de la région. Pour en revenir au mot d’ordre de la présente Assemblée, nous attirons l’attention sur le travail mené par l’OEA en vue du renforcement des institutions et le soutien qu’elle fournit envers l’élaboration et la mise à exécution de politiques publiques dans différents domaines. À ce propos, nous réitérons ce qui avait déjà été dit à l’occasion de notre Assemblée antérieure, à savoir que « la nouvelle OEA doit être un espace de convergence respectueuse entre la diversité d’expressions politiques, culturelles, ethniques et raciales des nations qui la composent. De coexistence tolérante entre des projets politiques et idéologiques et des modèles démocratiques différents » et que, par ailleurs, « dans un monde de plus en plus multipolaire, l’OEA doit constituer une référence et un espace d’expression de la force d’une région qui a su démontrer son influence croissante sur le cours des affaires internationales ».

25. Nous voyons aussi avec préoccupation l’actuelle crise financière que traverse la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH), qui l’a contrainte à suspendre ses sessions au cours de l’actuel semestre. Les États membres de l’OEA sont appelés à s’engager dans la recherche de solutions efficaces et immédiates pour le financement de l’OEA et des institutions créées tout au long du processus de constitution du système interaméricain des droits de l’homme (Cour et Commission), au même titre que les autres mécanismes de protection des DH créés sous les auspices de l’OEA. Sans quoi, les avancées engrangées au cours des dernières années par notre région en matière de droits de l’homme seront éclipsées, cependant que les cas de restriction démocratique et de violations des droits reprendront leur cours dans notre continent.

Notre vision du développement durable et l’opportunité des Objectifs de développement durable (ODD).

26. Nous défendons un concept du développement qui ne soit pas uniquement économiquement mais aussi socialement et écologiquement durable, qui soit basé non seulement sur le gain et le profit pour le capital mais aussi sur la préservation de la planète pour les prochaines générations, permettant aux pays en développement de faire une transition juste vers une économie bas carbone, reconnaissant le rôle actif et démocratique de l’État. C’est précisément la vision qui est présentée dans la Plateforme pour le développement des Amériques (PLADA) et ratifiée dans les documents adoptés à l’occasion du 3e Congrès de la CSA, où il est indiqué qu’un développement durable ne sera possible que s’il se fonde sur une participation populaire effective des travailleurs, des jeunes, des femmes et des divers mouvements et organisations sociales. Un développement qui promeuve la croissance économique et qui s’appuie sur une redistribution effective de la richesse, le respect des droits humains, l’égalité entre femmes et hommes, le travail décent, la libre circulation des personnes, ainsi que la protection et l’inclusion sociales.

27. Le mouvement syndical a salué l’adoption du Programme 2030, qui a pour principe fondamental de « ne laisser personne pour compte ». Cette consigne met notre continent au défi de concevoir une stratégie de transformation du modèle de développement. Le Programme 2030 est un plan d’action intégral et indivisible et chacun de ses objectifs est indispensable pour que notre région parvienne à construire un modèle inclusif où personne ne soit laissé pour compte. Vu l’ampleur du défi, nous sommes conscients que la priorité pour notre continent reste celui d’élever le bien-être de nos peuples, d’abolir la faim et la pauvreté et de réduire l’inégalité sous toutes ses formes, ce qui supposera, néanmoins, l’accomplissement d’un modèle productif fondé sur le travail décent, un programme d’infrastructure et une industrialisation inclusive.

28. Comme l’a affirmé la CEPALC lors de sa récente 36e période de sessions à Mexico, « le monde doit changer son mode de développement insoutenable ». Le Programme 2030 représente une opportunité inégalable de transformer l’actuel modèle prédateur basé sur la surexploitation des ressources naturelles et des travailleurs – conjugué à des formes d’esclavage moderne qui humilient l’humanité –, qui a entraîné une concentration démesurée de la richesse et porté notre planète au bord du précipice.

29. La conjonction d’une économie à tendance récessive, dont les crises s’échelonnent régionalement, assaille à présent l’Amérique latine et les Caraïbes de plein fouet, tant en termes de la réduction des prix des matières premières qu’au plan du commerce international, marqué par le déclin de la demande et des liquidités excédentaires. Par le passé, cette conjonction de facteurs a donné lieu à des rentrées de capitaux spéculatifs et de court terme dans la région, qui loin de se traduire par un bien-être accru pour la société ont entrainé une plus forte concentration de la richesse et une dette extérieure insoutenable.

30. Face à ce contexte extrêmement volatile, nous soulignons la nécessité pour la région d’élaborer un cadre de réglementation fiscale qui réfracte et sanctionne les systèmes financiers offshore. Cet objectif a d’ores et déjà été exprimé par le mouvement syndical et renforcé par la CEPALC à l’occasion de la Conférence d’Addis-Abeba sur le financement du développement (ONU, 2015), où le progrès en matière de réglementation du système financier mondial a été extrêmement limité. En accord avec le point 22 du PAAA (Programme d’action d’Addis-Abeba), les États membres de l’OEA se sont engagés à améliorer l’équité, la transparence, l’efficacité et l’efficience de leurs systèmes d’imposition, sur la base d’une fiscalité modernisée et progressive.

31. En filigrane de tous les discours des organismes internationaux, on retrouve désormais la même insistance sur la rétraction de l’économie et la nécessité de restreindre les dépenses publiques, en accordant la prépondérance au secteur privé en tant que distributeur efficace des ressources et garant de l’économie capitaliste.

32. Le paradigme de la privatisation, dont le fourvoiement fut mis en évidence à l’issue des crises récurrentes des années 1990 fait désormais place à l’apogée du paradigme des Partenariats public-privé (PPP), brandis comme des approches « novatrices » et plus efficaces de développement et de coopération. Le mouvement syndical des Amériques attire l’attention sur le fait que ces modalités de levier pour le développement des investissements et, en particulier, de l’infrastructure, doivent toujours avoir l’État pour régulateur et instrument politique de redistribution de la richesse.

33. Les preuves empiriques ont montré que dans la majorité des cas, les PPP s’avèrent des méthodes de financement plus coûteuses qui, au lieu de réduire les dépenses publiques les ont augmentées considérablement ; de même, les coûts de construction et de transaction sont plus élevés que dans le cas des travaux publics, ne sont pas efficaces et, en contrepartie, sont peu transparents alors que la reddition des comptes est pratiquement inexistante. Les efforts des gouvernements et des institutions financières doivent se concentrer sur la mise au point d’instruments adéquats permettant d’évaluer s’il est opportun d’utiliser les PPP et si oui, sous quelles conditions. Nous dénonçons le fait que dans la majorité des pays en développement qui ont adopté ce type de partenariats, il n’y a eu ni une réduction de la pauvreté et de l’inégalité, ni une évaluation des impacts environnementaux des travaux et des investissements.

34. Comme il fut affirmé lors du dernier Congrès de la CSA, c’est à l’État qu’il appartient d’être le protagoniste et le garant dans la conception, la mise en œuvre et l’évaluation des politiques de développement, sur la base des priorités exprimées démocratiquement par sa population. En ce sens, nous rejetons la privatisation de la coopération, dont il a été démontré qu’elle est davantage axée sur le profit du secteur privé que sur le développement des peuples. De même, nous défendons des systèmes de financement du développement respectueux de la souveraineté démocratique des États et basés sur la mobilisation des ressources nationales, à travers des réformes fiscales progressives, des politiques de formalisation du travail, le renforcement des politiques salariales et de protection sociale et des mécanismes de négociation collective et de dialogue social.

35. Conscient que tous les Objectifs de développement durable (ODD) expriment une vision intégrale du développement et sont corrélés, le mouvement syndical considère particulièrement pertinents les objectifs suivants : Éliminer la pauvreté sous toutes ses formes (ODD 1), y compris par la « mise en œuvre de systèmes et mesures de protection sociale appropriés pour tous » (cible 1.3) ; Éliminer la faim, assurer la sécurité alimentaire (ODD 2) ; Permettre à tous de vivre en bonne santé et promouvoir le bien-être de tous à tout âge (ODD 3) ; Garantir une éducation de inclusive, équitable et de qualité (ODD 4) ; Parvenir à l’égalité entre les sexes et autonomiser toutes les femmes et les filles (ODD 5) ; Promouvoir une croissance économique soutenue, le plein emploi productif et un travail décent pour tous (ODD 8) ; Bâtir une infrastructure résiliente, promouvoir une industrialisation durable et encourager l’innovation (ODD 9) ; Réduire les inégalités dans toutes ses dimensions (ODD 10) ; Prendre d’urgence des mesures pour lutter contre les changements climatiques et leurs répercussions (ODD 13) ; et Promouvoir l’avènement de sociétés pacifiques, l’accès de tous à la justice et des institutions efficaces, responsables et inclusives à tous les niveaux (ODD 16).

36. Si notre continent a crû au cours de la dernière décennie, il continue néanmoins à arborer comme destin sans appel celui d’être la région la plus inégale de la planète. Les États se sont engagés, dans le cadre du Programme 2030, à réduire l’inégalité (ODD 10) dans toutes ses dimensions, ce qui exige la formulation de politiques efficaces de promotion de l’égalité entre femmes et hommes. Cette égalité doit avoir pour point de départ un engagement précis et exécutoire visant la réduction du taux de féminicide, qui est l’opprobre de nos peuples du point de vue éthique. En l’absence de politiques de genre qui visent à éradiquer toute forme de discrimination basée sur le choix de l’identité sexuelle et de violence et qui promeuvent la participation pleine et effective des femmes et l’égalité des chances (ODD 5, cible 5.5), de même que l’accès universel à la santé reproductive et aux droits reproductifs, notre continent ne pourra atteindre l’Objectif 5 du Programme 2030 - Parvenir à l’égalité des sexes et autonomiser toutes les femmes et les filles.

37. Tout aussi essentiels pour la justice sociale dans les Amériques sont les engagements du Programme 2030 relatifs au monde du travail (ODD 8), où tous les États s’engagent à « d’ici à 2030, parvenir au plein emploi productif et garantir à toutes les femmes et à tous les hommes, y compris les jeunes et les personnes handicapées, un travail décent et un salaire égal pour un travail de valeur égale » (cible 8.5), de même qu’à prendre des mesures immédiates et efficaces pour supprimer le travail forcé et le travail des enfants sous toutes ses formes (cible 8.7).

38. Nous considérons que cette Assemblée de l’OEA réunie à Saint-Domingue doit envoyer un signal résolu comme quoi il existe dans notre région un engagement en faveur de la formulation de politiques qui avancent réellement vers l’accomplissement d’un développement durable et qui rompent avec la logique du conservatisme économique, qui restreint les droits et favorise les intérêts des sociétés multinationales qui dominent l’économie mondiale. Partant de la perspective du mouvement syndical des Amériques, nous savons que le combat pour cet objectif est aussi associé à la défense intransigeante de la démocratie réelle et effective dans nos pays, la promotion de l’intégration souveraine de nos nations et peuples et l’opposition à l’agenda du libre-échange qui limite notre intégration internationale indépendante et non coloniale.

Saint-Domingue, le 12 juin 2016